T comme : Torpillage

« Aujourd’hui, c’est Claudy Guérin qui est d’astreinte pour le ChallengeAZ spécial Gâtine. Claudy vit dans sa ferme familiale au cœur de la Gâtine. Elle a longtemps exercé le métier de libraire et s’est toujours intéressée à la vie de ses ancêtres. Elle anime aujourd’hui des ateliers de généalogie à Champdeniers.

J’avais 10 ans lorsque pour la première fois, j’ai entendu le nom de Victor Guérin. Il était l’oncle de mon grand-père paternel qui, alors que je l’interrogeais sur ses parents, prenait soudain un air douloureux : ah le tonton Victor, qu’est mort dans les Dardanelles… y l’on jamais revu. Ce nom de Dardanelles était emprunt de mystère, de drame… je le sentais bien.

Victor Auguste Guérin était le cinquième de la fratrie, né le 18 janvier 1873 à la ferme de la Salinière de Saint-Pardoux. Pierre et Françoise ses parents étaient fermiers au château du même nom. Après leur mariage, ils sont restés à la ferme où ils ont eu 7 enfants.
Victor est resté longtemps à la Salinière à travailler avec son frère Pierre, mon arrière-grand-père de trois ans son aîné.
Le 15 novembre 1894, il rejoint le 18e bataillon de chasseurs à pied, service national oblige. Il sera chasseur de 1ère classe en décembre 1896 et passera dans la disponibilité de l’armée active le 18 septembre 1897… bonne conduite accordée.
De retour au pays, il devra faire deux périodes d’exercices, en 1900 et 1903 avant de passer dans l’armée territoriale le 1er octobre 1907.
En 1908, il épouse Marie Euphrosine Baudry, d’Adilly. Il a 35 ans. Les parents Guérin décédés, la noce a lieu en octobre, à Saint-Aubin-le-Cloud. Sûr que les petits neveux et nièces sont de la fête… Le jeune couple habite alors au Bois, à 4 km de la famille, où naît Henri cinq ans plus tard. Il partagera les jeux de ses cousins, Maurice, Henri et André.

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1er août 1914, c’est la guerre. Victor a-t-il pensé, vu son âge (41 ans) et chargé de famille, que la France aurait besoin de lui ? Pourtant, il est mobilisé le 24 novembre 1914 et se retrouve, ce 3 octobre 1916, avec Léon Babin de la Boucherie de Saint-Pardoux, avec Jean Gaillard de Saurais et bien d’autres des Deux-Sèvres, comme lui du 113e R.I.T. à Toulon, prêt à embarquer sur le Gallia. Ce bateau, transformé en transport de troupes comme croiseur auxiliaire, est affecté au transport de l’armée d’orient. Il est commandé par le lieutenant de vaisseau Eugène Alphonse Kerboul.

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Sûr que les gars n’avaient jamais rien vu de pareil… dans leurs contrées de Gâtine.
Destination, Salonique afin de soutenir l’armée serbe…

5.jpgSur ce bateau, plus de 2350 personnes embarquent, dont 1650 soldats français.
Le 4 octobre, tout semble lisse sur cette Méditerranée, entre Sardaigne et Tunisie : les soldats, revêtus de leur gilet de sauvetage prennent le temps de manger. Victor, Jean et Léon étaient-ils ensemble, confiants, inquiets ? Ont-ils causé de la famille, des femmes au pays dont ils n’avaient plus de nouvelles ? Des petits drôles qui leur manquaient tant ? Henri avait un an quand Victor est parti…
17 h 50 le repas se termine : c’est à ce moment-là qu’une explosion retentit et assourdit tout le monde. Les officiers rassurent disant que ce n’est rien.
15 minutes plus tard, le gros bateau coule, emportant tout ceux qui n’ont pu ou voulu sauter. Les mules et les soldats se battent dans les eaux pour atteindre les embarcations de secours.
Parti des Baléares, un des plus grands sous-marins allemands U-35, conduit par le lieutenant de vaisseau Lothar von Arnauld de La Perière, venait de lancer sa dernière torpille.

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De Victor et des copains du pays, plus rien.
52 soldats des Deux-Sèvres seront ainsi considérés comme disparus en mer… sur 1300 soldats français noyés dans cette tragédie maritime.

Décédé en 1989, mon pépé n’a rien su de ce qui était arrivé à son oncle, disparu en Méditerranée.
Les carnets de guerre de quelques rescapés ont pu nous renseigner, presque cent ans plus tard, sur le déroulement de ce drame : le site chtimiste rend compte de tous ces évènements. C’est là que j’ai vu le nom du tonton, avec tant d’autres.
Enfin il existait, enfin cette histoire prenait sens.

En 2014, alors que j’assistais à une cousinade Guérin à Saint-Pardoux, évènement organisé par Marie-Madeleine Bertin, je découvrais, non sans émotion, le visage de Victor Auguste Guérin, au cœur d’une décoration funéraire, entre Croix militaire et  Croix de guerre.
Il était couché dans le livre de famille, près de ses frères et sœurs, avec Euphrosine son épouse, Henri son fils marié à Édith, ses 4 petits-enfants et arrières-petits-enfants.

Tous nés après lui, de lui.

Le tonton Victor de mon pépé était revenu vers nous : il avait retrouvé sa place.

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Articles à lire pour plus d’informations sur cette tragédie :
Le Chtimiste
France 24
Blog Pour ceux de 14

12 commentaires sur « T comme : Torpillage »

    1. Merci! Quelle chance nous avons aujourd’hui, de profiter de la richesse de tous ces sites sur l’Histoire – 14/18 en particulier – sites qui nourrissent nos arbres de famille; Je ne pensais pas un jour, trouver le récit des derniers jour du tonton…

      Aimé par 2 personnes

  1. Emouvant hommage à Victor des Dardanelles, où l’art de redonner un peu de vie à nos ancêtres !
    Bravo plus large aux cousinades qui font émerger les visages.
    Sait-on si quelqu’un a déjà travaillé sur les 52 deux-sévriens qui composaient le groupe ?

    Aimé par 2 personnes

    1. Merci. Aucune connaissance d’une recherche dans ce sens. Juste la liste de ces disparus Mémoires des Hommes, à la date du 4 octobre 1916/ Deux-Sèvres) J’avais envie de vérifier que le tonton n’était pas seul, si loin des siens et de sa Gâtine.J’avoue avoir pensé faire des recherches sur d’éventuels rescapés Deux-Sèvriens de cette tragédie.

      Aimé par 3 personnes

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