Celle qui rédige aujourd’hui notre billet, Nat, écrit régulièrement sur son blog intitulé « Parentajhe à moé ». Elle y parle avec beaucoup d’émotion de ses aïeux qui, pour la plupart, ont vécu en Gâtine. Nat est aussi administratrice du groupe Facebook « Généalogie : la boîte à outils pour tous » : un groupe très convivial, de plus de 3 000 membres, où chacun peut trouver et apporter des infos et de l’entraide.
« Qu’est-ce que je m’ennuie ! … Tu parles d’une vie ! …
Ce n’est pas que je n’aime pas ces quatre murs, au contraire, au moins je ne vois pas les autres et je suis tranquille, mais parfois j’aimerais sortir, respirer l’air pur et profiter de grands espaces. J’entends dire autour de moi qu’il ne faut surtout pas que je sorte, que je suis trop fragile et patati et patata, tu parles ! J’ai de la force, moi ! Ne dit-on pas que je suis de la « grande espèce » ?
Mais ils sont tous têtus comme des mules, tout le monde s’imagine que je vais attraper « la mort » juste en sortant ! Je voudrais bien les voir à ma place…
Bon, si ! Il y en a un qui est sympa. Il vient me mettre de petites tapes dans le dos de temps et temps, mais surtout c’est lui qui me donne à manger ! Un ancêtre de Nat, vous savez celle qui fait parler ses aïeux… Drôle d’idée, je trouve, mais bon.
René COLLIN qu’il s’appelle. Y’a son fils aussi, François… Tous les deux s’occupent de moi mais parfois j’aimerais bien qu’ils me lâchent un peu « la grappe ». Qu’ils aillent voir un peu les membres de l’autre sexe qui, ELLES, ont le droit de sortir évidemment !
Soyons honnête, il m’arrive de prendre l’air ou plutôt de juste changer de pièce et là, j’ai intérêt à être au meilleur de ma forme ! D’ailleurs, je crois bien qu’on me garde et me préserve juste pour ces moments-là. C’est un peu horrible quand on y pense… Mais bon du coup, j’ai double ration au dîner et ça, c’est cool.
On m’a dit que j’étais sale et moche… Non mais « what the fuck »?! Bon d’accord, j’ai les cheveux longs et je ne les brosse pas, mais c’est mon style, c’est tout ! En plus c’est bon pour ma peau, ça la protège. Pourtant quand j’étais petit, on me trouvait tout mignon, tout mutin, tout doux et on me caressait les cheveux tout le temps.
Et d’ailleurs ! Vous savez comment on m’appelle ? Le GUENILLOU ! Ou pire encore, le BOURAILLOU ! Tout ça parce que je ne prends pas soin de mon apparence. Mais mon apparence, je n’en ai rien à faire, c’est ce qui permet de me reconnaître en un clin d’œil. Vous comprenez : je suis de noble race.
Et oui, messieurs-dames ! Car je suis un baudet du Poitou.
Sur ce, je vous laisse, j’ai faim ! Mais ne partez pas, hein !… Nat va vous raconter la suite, elle aime mes congénères, vous savez … Et elle en est bigrement fière, cette Poitevine ! »
Bien sûr que je suis fière de nos baudets du Poitou !
Cette race, que ce soit au XVIIIe siècle ou de nos jours, n’a jamais réussi à faire considérablement croître son nombre d’individus. Faite d’aussi peu de sujets, elle fait partie des rares espèces qui purent garder si longtemps une telle renommée.
Voici ce qu’en disait un mémoire publié par le conseil du Roi en 1717 :
« Il se trouve dans le Haut Poitou des animaux qui sont presque aussi hauts que les plus grands mulets, mais d’une figure différente. Ils ont presque tous le poil long d’un demi-pied sur tout le corps ; les boulets, les jambes et les jarrets presqu’aussi larges que ceux des chevaux de carrosses. On les tient à l’écurie séparément, dans des espèces de loges, attachés à des chaînes de fer ; on ne les fait sortir que pour saillir les juments. Ils sont pour la plupart, très vicieux et cruels. Si ces animaux se joignaient, ils s’étrangleraient … »
Élevé pour sa réputation d’étalon géniteur, il est utilisé exclusivement comme reproducteur. Son existence est liée au fonctionnement des haras adonnés à la production de la mule et à la multiplication des chevaux de traits dits de « race mulassière ». La mule, c’est cet animal précieux, devenu indispensable et vivement recherché à cette époque, qui se transforme en pluie d’or pour le pays qui la voit naître. Cette pratique de l’hybridation mulassière existe de temps immémoriaux en Poitou, et l’hybride obtenu est contre nature, troublé dans sa constitution. Preuve en est qu’outre ses qualités exceptionnelles, son infécondité est à peu près absolue.
Revenons-en au Baudet…
La mise-bas d’une ânesse dans les haras de baudets est un véritable évènement. C’est qu’on attend le dénouement avec une impatience anxieuse, toute différente de l’intérêt ordinaire qu’on porte à l’accouchement des autres femelles, car le produit espéré sera de valeur très inégale suivant son sexe : si le hasard veut que ce soit un mâle, un « fedon », son arrivée sera fêtée alors comme il se doit.
Le fedon se tient debout dès son premier jour et accompagne rapidement sa mère au pâturage, toujours à proximité cependant de l’habitation de l’éleveur pour que la surveillance puisse continuer à s’exercer.
Le sevrage s’effectue vers l’âge de huit ou neuf mois. Une fois réalisé, les jeunes baudets passent souvent entre d’autres mains, surtout si ce sont des mâles. Ils vont ainsi suivre une destinée différente selon s’ils sont un mâle ou une femelle. Celles-ci continuent de mener une vie de plein air alors que les mâles sont brutalement retirés dans leur écurie pour y être claustrés dans une loge réservée à chacun d’entre eux. Pour le futur étalon, c’est désormais la stabulation en permanence, enfermé dans un box de quelques pieds carrés, condamné à une existence solitaire de reclus.
Cependant, autant l’éleveur s’intéresse peu à la femelle, autant il se préoccupe de son jeune bourriquet qui représente à lui seul l’objet de valeur de l’exploitation.
Sa nourriture est alors choisie avec soin : les fourrages sont de la meilleure qualité, du foin de luzerne, des grains en petite quantité et parfois même du pain dont il se montre très friand. Les aliments verts sont quasiment bannis et, l’hiver, quelques carottes ou betteraves suffisent pour corriger son alimentation trop sèche. Pendant la saison des saillies, il est de coutume d’augmenter sa ration et il sera gratifié d’un supplément pour chaque saillie réalisée.
Le jeune baudet est par ailleurs maintenu sans soins corporels, dans une immobilité presque complète, privé de lumière et protégé des intempéries. Ces conditions d’élevage, réalisées depuis toujours, n’ont pas été adoptées sans motif et il est assez aisé d’en deviner les raisons : le petit nombre de mâles reproducteurs, la difficulté de les amener à l’âge de deux ou trois ans et leur grand prix ont fait naître la crainte de les perdre de maladies ou d’accidents.
L’absence de pansage s’explique quant à lui par l’importance primordiale traditionnellement accordée à l’abondance et à la longueur du pelage ; le baudet porte sur tout le corps des poils longs, fins et ondulés et conserve le reliquat de mues précédentes sous la forme d’un manteau déguenillé qui descend en loques de chaque côté et sous le tronc. Ce pelage fait la parure de ces animaux et constitue « le titre de noblesse et d’origine » des baudets du Poitou. En effet, les tondre serait un sacrilège pour les gens du pays.
Vers l’âge de deux ou trois ans, on demande au jeune mâle de prouver sa « vigueur » et de s’habituer aux pratiques, mais dès sa seconde saison de monte, il se verra accorder autant de juments que les vétérans, surtout s’il fait montre de beaucoup d’ardeur.
Il est donc logé dans une écurie qui présente une disposition assez caractéristique : au centre du bâtiment, un espace libre servant de « salle de monte » avec de chaque côté l’alignement des cases individuelles des étalons. Au milieu de cette salle de monte, pièce obscure d’une vingtaine de mètres carrés, deux barres de bois, obliques, fixées en avant à la muraille à une hauteur d’environ 1,2 m et en arrière au sol. Cette pièce est nommée une trole. Une pièce transversale à laquelle l’étalonnier attache la jument les réunit. Le sol est excavé entre les deux branches de façon à mettre la femelle à bonne hauteur pour l’accouplement, le reproducteur étant presque toujours plus petit. Le baudet est ainsi mené dans la salle de saillie, ou atelier, puis stimulé par des bruits divers : toute une comédie de sifflets, de musique, de chants, jusqu’à l’obtention d’une érection. Et ça marchait !« Le trelandage qu’on appelait ça »*
Les baudets peuvent « servir » huit à dix juments par jour et jusqu’à une centaine de juments pendant tout le temps de la monte.
L’ânesse, quant à elle, est conservée uniquement pour la reproduction et aucun travail ne lui est demandé en dehors de son rôle de mère et de nourrice. Entretenue sans grand soin, elle erre dans les pacages les plus maigres de la ferme et se contente l’hiver d’une ration parcimonieuse de foin. Elle est menée au baudet seulement lorsque la monte des juments est terminée.
Le baudet n’est guère élevé en grand que dans les Deux-Sèvres, plus particulièrement dans l’arrondissement de Melle, mais aussi bien sûr, quoique de façon plus clairsemée, en Gâtine !
Mon ancêtre René COLLIN, garde étalon à Amailloux au XVIIIè, et son fils François, ont-ils réellement œuvré auprès de ces animaux si représentatifs du Poitou ? J’aime à le croire… Mais, une chose est certaine : « y’avait bien des guenilloux à Amailloux ! » La preuve en est que sur l’ouvrage « Mémoire statistique du département des Deux-Sèvres » d’Étienne DUPIN, il est dit que sur cette commune, il se trouve deux haras dont un de baudets.
Notes :
Il ne restait en 1977 que 44 baudets de race pure dans tout le Poitou-Charentes et Vendée. Une élève vétérinaire, Annick Audiot, a réussi à alerter les autorités compétentes et à collaborer à un programme de sauvetage. Avec 132 ânes en 1999, 174 naissances de baudets du Poitou en 2009, cette espèce tient le triste privilège de posséder le plus faible effectif des races d’équidés. S’il s’agissait d’espèces sauvages, sur la liste rouge de L’Union Mondiale pour la Nature (UICN), cette race serait probablement rangée dans la catégorie « en danger critique d’extinction » avec quelques espèces emblématiques telles que la tortue Luth, le rhinocéros noir ou le cheval de Przewalski … « Les baudets du Poitou, le trait mulassier et la mule poitevine ont encore toute leur place dans la gestion des prairies. Producteurs d’une énergie aussi peu polluante que bon marché, ce sont en outre d’agréables compagnons, tant pour le travail que pour le loisir. Reste à le faire savoir … »
Je tiens à remercier particulièrement Mr Jean-Luc CLÉMENT, du temps qu’il a bien voulu m’accorder et de sa confiance pour le prêt de ses précieux livres.
Sources :
- L’âne, les chevaux mulassiers et la mule du Poitou – Léon SAUSSEAU – Ed. LAVAUZELLE
- De l’industrie mulassière en Poitou – Eugène AYRAULT – Ed. Librairie agricole de la maison rustique.
- Le Baudet du Poitou – Éric ROUSSEAUX – Geste Éditions
- Gallica : Mémoire statistique du département des Deux-Sèvres Etienne DUPIN
- Images : Weheartit et Pinterest
Un précieux folklore à préserver ! Voici un article très instructif, bien documenté et agréable à lire !
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Merci Christelle 🙂
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Article très intéressant, René Collin est mon sosa 198
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Sosa 138 pour moi, alors nous cousinons ! 😉
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Même le « braillou », possède une voix à décoder. S’agissait juste d’y penser !
Que c’est joliment fait !
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Merci 🙂
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il est magnifique ce baudet, même si on aurait envie de lui donner un coup de brosse 🙂
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Ah mais non surtout pas ! 😉
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Et en plus, tu es très beau sur cette photo !
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C’est une photo ancienne, j’avais plus de cheveux et ils étaient longs !
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A reblogué ceci sur Parentajhe à moéet a ajouté:
Ma petite contribution au challengeAZ de Généa79…
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Je parlais au baudet évidemment !
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Encore un article passionnant… Quelle magnifique façon d’aborder chacun de ceux que tu présentes en te mettant à leur place. Une fois de plus bravo…
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