Le 5ème et dernier article de la très productive Caroline Cesbron, dite La Drôlesse
Pendant des années, j’ai été intriguée par la naissance de mon arrière-arrière grand-mère, Madeleine Justine Goudeau, en 1846, à Dompierre-sur-Mer, près de La Rochelle. Je pensais que ses parents, Magdelaine Couturier et Jacques Goudeau avaient souhaité s’embarquer pour la Nouvelle France, mais je ne comprenais pas, alors, pourquoi ils étaient revenus à Verruyes en Gâtine où ils sont finalement morts et enterrés, après cette escapade charentaise.
Aujourd’hui, je ne connais pas encore toute l’histoire, et je continue mes recherches, mais une partie était cachée depuis plus de cent cinquante ans dans un tiroir de la bonnetière de la salle à manger.
C’est l’histoire de deux femmes, dont l’une a très certainement changé la vie de la seconde.
Magdelaine Couturier 1812-1892
Magdelaine Couturier est l’aînée des enfants du second mariage de Jacques Couturier avec Marie Jeanne Godard. Si Jacques est né à Azay-sur-Thouet, sa famille est malgré tout originaire de Verruyes, en Gâtine. Il s’y marie les deux fois et ses enfants y naissent. Il décède en 1818 en laissant deux filles (à minima) dont l’une déjà mariée, de son premier mariage, et quatre autres enfants, âgés de 6 ans à quelques mois, de son union avec Marie Jeanne.
Magdelaine n’a alors que six ans. Elle grandit. Comment ? Je n’en sais rien mais certainement avec l’aide de ses sœurs aînées, et des familles de ses parents, les Godard et les Couturier, des paysans peut etre un peu aisés de Verruyes. Marie-Jeanne, sa mère ne se remariera pas mais sera déclarée comme mendiante à son décès. Dès qu’elle a l’âge de travailler, Magdelaine est certainement placée comme domestique.
Elle sert notamment chez une noble dame poitevine, Jeanne-Adélaïde de la Broue de Vareilles. Je ne sais toujours pas quand et comment Magdelaine est entrée au service de Jeanne-Adelaïde mais elle devient sa fille de confiance, c’est-à-dire sa servante attitrée, sa gouvernante.
Jeanne-Adelaïde de la Broue-Vareilles 1748-1842
Née vers 1748, Jeanne-Adélaïde est la fille de François de la Broue de Vareilles, Seigneur d’Exireuil, dans les plaines Saint-Maixentaises, et de sa femme, Marguerite Céleste Maron, et fait partie de la noblesse poitevine. Chacune de ses sœurs portent aussi, au temps de leur jeunesse, le nom d’une terre familiale pour mieux les distinguer : Mademoiselle d’Aubigny, Mademoiselle d’Exireuil, Mademoiselle de la Clergerie, Mademoiselle de la Broue.
Mademoiselle de la Broue, c’est Charlotte, qui épouse le 26 aout 1776 Isaac Charles de Lestang, Seigneur de Ringère.
Trois ans plus tard, en 1779, à un peu plus de trente ans, Jeanne-Adélaïde se marie à Exireuil, au château familial d’Aubigny, avec Silvain Hubert Lamaisonneuve de Vilbouin, un châtelain deux-sévrien d’Amailloux.
Ils ont une maison à Parthenay, dans la Citadelle, au quartier Sainte-Croix, des biens dans les Deux-Sèvres, en Gâtine évidemment, des biens aussi en Charente où ils semblent avoir des attaches.
En mai 1786, à Dompierre-sur-Mer, près de La Rochelle, ils sont ainsi tous les deux le parrain et la marraine par procuration, n’étant pas sur place, d’un enfant de la famille.
La Révolution arrive… Silvain met en ordre ses affaires en 1789.
Il rédige son testament en faveur de sa femme et décède à l’âge de 67 ans, quelques mois plus tard en mars 1790. Selon les recherches d’Albéric Véron, Jeanne-Adélaïde est déclarée émigrée en 1793.
Après la Révolution, elle semble vivre plutôt dans sa propriété de Dompierre-sur-Mer, au village de Chagnollet.
Premier testament, 20 janvier 1835, Chagnollet, Charente-Maritime
Qu’il doit paraître loin le temps où Jeanne-Adélaïde était appelée Mademoiselle de Faye !
Qu’elle doit être intimidée… ou exulter, Magdelaine, si elle sait que Jeanne-Adélaïde fait ce qu’il faut pour qu’elle se souvienne d’elle après sa mort !
En ce 20 janvier 1835, à Chagnollet, Jeanne-Adélaïde fait son testament, qui sera enregistré à La Rochelle, sept ans plus tard, le 5 juillet 1842 chez Maitre Fournier.
En préambule, elle écrit Au nom du père, du fils et du Saint esprit.
La vieille dame déclare ensuite : Je, soussignée, Jeanne-Adélaïde Labroue, veuve de Silvain Hubert Lamaisonneuve de Vilbouin, domicilié à Poitiers, département de la Vienne, et de présent à Chagnollet, département de la Charente inférieure, commune de Dompierre près La Rochelle, je donne à Magdelaine Couturier une rente viagère de cent francs, sans retenue, qui lui sera payée d’avance à commencer du jour de ma mort et continuer ainsy d’estre payée d’années en années jusqu’à sa mort et je luy donne aussi ainsy qu’à Rose Bernard, à partager entre elles deux mes nippes, mes habillements et linge qui servent à mon usage particulier personnel, j’en excepte pourtant deux vrayes dentelles que je donne à Mademoiselle Félicité Fléandraux.
Magdelaine, en janvier 1835 n’a pas encore fêté ses vingt trois printemps. Depuis combien de temps est elle au service de Jeanne-Adélaïde pour que ses années aux côtés de Mademoiselle de Faye lui octroient déjà tant de reconnaissance ?
Second testament, 2 avril 1840, Chagnollet, Charente-Maritime
Cinq ans plus tard, le 2 avril 1840, Jeanne-Adélaïde reprend son testament et y note :
J’ajoute à ce présent testament que je veux et entends qu’il soit payé à Magdelaine Couturier, ma fille de confiance, une rente viagère de cent cinquante francs au lieu de cent francs qu’elle est marquée dans mon présent testament et avec les mêmes clauses et conditions,
À Chagnollet, le 2 avril 1840.
Là encore, que s’est il passé pour que la vieille dame renforce sa reconnaissance envers Magdelaine ?
Exécution testamentaire, 13 juillet 1842, Chagnollet, Charente-Maritime
Le 13 juillet 1842, deux ans après le second testament et sept ans après le premier, Maitre Fournier, le notaire qui a gardé l’original du testament, rédige un acte portant délivrance de legs aux termes duquel Monsieur de l’Estang a fait délivrance à la fille Couturier qui a accepté
1° 150 francs de rente viagère à elle légués par les testaments
2° ses gages jusqu’au 24 juin 1843
3° une somme de quatre vingt francs pour remplacer la nourriture jusqu’à la dite époque du 24 juin
Et encore par le même acte, la dite Couturier s’est reconnue en possession de la part lui revenant dans les nippes, habillement et linge a elle légué par le testament.
Je n’ai pas retrouvé l’acte de décès de Jeanne-Adélaïde, et je ne peux que supposer qu’elle serait décédée peu avant le 13 juillet 1842, à l’âge vénérable de 96 ans. Et certainement sans descendance, puisqu’il semble que ce soit – vraisemblablement – son neveu, qui fait le nécessaire avec le notaire.
En 1835, Magdelaine est à priori seule en Charente-Maritime, Jacques Goudeau son cousin issu de germains, futur époux, est recensé en 1836 à Verruyes.
En 1840 et en 1842, je ne peux pas vérifier si Jacques est arrivé à Dompierre, les recensements des AD17 ne sont toujours pas en ligne à ces dates. Mais en tout état de cause, Jacques et Magdelaine se marient le 27 septembre 1843, à Dompierre, précisément à Chagnollet, où ils semblent s’être installés.
Deux filles y naîtront, Marie-Louise en 1844 et Marie-Madelaine Justine en 1846. Françoise, la troisième fille connue, elle, verra le jour en Gâtine, à Verruyes en 1852, où donc, ils sont revenus, avec la précieuse rente.
Épilogue, 7 octobre 1871, Poitiers, Vienne
Je soussigné, tant en mon nom que me faisant fort de Mesdames de Beauregard, de Chevigné et de Mademoiselle de L’Estang, mes soeurs, reconnais que la rente de cent cinquante francs léguée par Madame de Vilbouin à Madelaine Couturier, pendant sa vie et sur sa tête, continue à être due et je renonce pour moi et pour mes soeurs à invoquer toute péremption du testament ci-dessus.
Bon pour titre nouvel, de l’Estang de Ringère, 7 octobre 1871, par délégation
Jeanne-Adélaïde est décédée depuis près de trente ans et ce sont ses petits neveux – les petits enfants de sa soeur Charlotte -, Marie Delphin de Lestang de Ringère, baron d’Aubigny, Marie Félicité Célina de Beauregard, Marie Caroline Alphonsine de Chevigné, et Marie Caroline de Lestang de Ringère d’Aubigny, qui doivent désormais honorer la rente viagère et continuer à s’engager à son versement annuel.
Magdelaine a désormais soixante ans et a pris soin d’obtenir et surtout conserver ces extraits de testament qui lui prouvent ce qu’on lui doit.
Elle décédera vingt et un ans plus tard, en 1892 à l’âge de 80 ans, le document testamentaire précieusement conservé, pour parvenir plus de cent cinquante ans plus tard à l’arrière-petite-fille de sa petite-fille, cinq générations plus tard.
Une grande cuillerée de pragmatisme, une belle pincée de persévérance, quelques brins d’âpreté pour vivre et survivre… l’âme gâtinelle !