R comme Robin Marie, la prédicante

Un texte de Sylvette Brizard

Le Poitou que nous connaissons aujourd’hui n’a pas toujours été aussi calme, surtout entre le XVIIe et le XVIIIe siècle où les droits des protestants et la pratique de leur religion étaient contestés. On leur demandait de devenir catholiques en abjurant. Devant leur résolution de garder leur foi, le pouvoir de Louis XIV mettait en œuvre des méthodes barbares et ces guerres de religion ont engendré 57 000 morts. Le siège de La Rochelle a décimé 23 000 personnes ne laissant que 5 000 habitants en 1628. Le Poitou a connu des condamnations sévères : 747 victimes, 29 tués ou exécutés dont 359 prisonniers, 97 galériens, 15 000 exilés. Les premières dragonnades ont eu lieu dans le sud Deux-Sèvres en 1661. Il fallait effrayer, ruiner et contraindre les protestants par tous les sévices possibles afin de les faire abjurer. Mais le peuple résistait et dans la région melloise, dans de nombreux villages, il y ne restait qu’un nombre infime de catholiques.

Toutefois, mon but n’est pas de vous faire revivre cette terrible période d’histoire que de nombreuses personnes connaissent parfaitement mais de parler d’une femme célèbre ayant vécu dans ce contexte. Il s’agit de Marie Robin née à Bois-le-Bon de Vançais, fille de Marie Biget et de Jean Robin, charpentier devenu en 1681 « un régent de ceux de la RPR » (Religion prétendue réformée). De nombreux mystères demeurent sur la vie de cette célèbre prédicante. C’est pourquoi j’éviterai de répéter les textes lus qui parfois se contredisent en raison de l’ancienneté des faits. Je vais relater et interpréter son histoire sous une autre forme plus personnelle.

Pâques 1698, la Mauvetiére de Lezay

Marie Robin DITE LA ROBINE arrive dans ce lieu pittoresque du moyen Poitou en compagnie de son mari, Samuel Potet. Ils rejoignent Jacques Travert afin de prêcher de nuit. C’est l’effervescence, une foule de plus en plus nombreuse parvient jusqu’à eux après un long périple à travers bois. Dans un premier temps, les participants prennent soin d’éteindre les chandelles dès que les ministres apparaissent car la prédication se fait dans l’obscurité. Il faut redoubler d’attentions et de prudence dans cette période dangereuse où la religion protestante est bannie.  En effet, l’Édit de Nantes étant révoqué depuis octobre 1685, Louis XIV ne veut plus de protestants en France. Le souvenir des dragonnades reste présent dans toutes les mémoires. La peur subsiste mais on a repris confiance. La grande flambée de ces assemblées depuis 1695 veut montrer au roi de France que le protestantisme reste vivant et qu’il faut exiger la liberté de conscience. Mais à quel prix ? Les participants ne savent jamais à l’avance le lieu de ces réunions de peur des indiscrétions. Un petit nombre de personnes sûres étant informées, le public se rend chez elles le soir avant d’aller toujours la nuit dans des lieux abrités et écartés.

Ce soir-là, il fait doux. On chante et on compte sur les prédicants pour prêcher.  Ils sont trois et on attend toujours avec la même impatience que Marie prenne la parole. Sa voix angélique touche les cœurs, elle apporte la paix dans ces vies aussi tourmentées.   Elle récite les sermons par cœur et voici un extrait du plus célèbre : « La colombe est un oiseau doux et pacifique. En est-il ainsi de l’Église Romaine qui est dure, sans pitié, pleine de gens cruels qui oppriment leurs frères, dépouillent les vrais fidèles de leurs biens, les chassent de leurs maisons, les traînent dans les cachots, leur font souffrir la question, les galères et la roue… Ma colombe, montre-moi ta face et que j’entende ta voix. Car ta voix est douce et belle. Lève-toi amie, et viens, car l’hiver est passé, les fleurs naissent, et voilà le temps des chansons. N’entends-tu pas la tourterelle ? Lève-toi mon amie, ma belle, et viens vers moi. »

 Ce texte est du Pasteur Claude Brousson. Il a fait le choix de la résistance non violente et a commencé le tour de France des églises du désert. Son influence en Poitou grandit de plus en plus. En route vers cette région, il n’y arrivera jamais car il est arrêté. Marie a une mémoire infaillible. La foule raffole de ses prêches qu’elle débite de sa voix suave et agréable. Samuel Potet, son époux depuis 1696 animé par la même ferveur prêche lui-même fort bien. Leur mariage n’est pas reconnu par l’église selon la coutume protestante, ce qui les condamne encore plus aux yeux des prêtres. Jacques Travert, le 3e prédicant se joint à eux et ils prêchent jusqu’à minuit dans une ambiance recueillie.

Mais Marie et Samuel sont de plus en plus inquiets car ils se savent persécutés. Ils prêchent depuis 1696 (peut-être même dès 1694 selon certaines sources) partout autour d’un rayon qui s’étend de la forêt de l’Hermitain à Beaussais. Dans tous ses prêches, Marie a toujours prié pour le roi de France. Elle a choisi la résistance pacifique pour tenter de convaincre Louis XIV de revenir à la liberté de conscience. Elle a même lors de l’assemblée à Villemart de Beaussais demandé à la foule de prier pour le prince Guillaume d’Orange, pressenti roi d’Angleterre, croyant fermement qu’il s’accorderait avec le roi de France pour trouver la paix de tous. Mais Louis XIV reste sur ses positions et le danger règne car les auditoires deviennent de plus en plus nombreux. La célébrité de celle que l’on appelle selon les usages de la région la Robine grandit à tel point que les foules accourent pour l’écouter.

Surveillée en permanence, son principal ennemi le curé Babu va même jusqu’à la calomnier dans ses écrits la traitant de catin, de coureuse, de débauchée. Déjà en 1696, la demoiselle de Rognac, en visite au château de Faugeré épia l’assemblée et alla raconter au lieutenant de la sénéchaussée de Saint-Maixent qu’elle a entendu un grand bruit de voix, chantant des psaumes ainsi qu’on le faisait autrefois au temple de ceux de la RPR, et quand ce chant avait cessé, la voix d’une fille qui se serait mise à prêcher lui parvenait distinctement (propos du Pasteur Riviére). À cela s’ajoutent des dénonciations permanentes et des calomnies en raison de son mariage illicite ayant eu lieu au désert.  Pourtant elle apaise l’excitation anticatholique et protège les prêtres présents qui vont la dénoncer et déclencher des représailles. Résister devient un grand risque même quand on prend soin de ne pas porter d’armes. On mise sur un grand nombre pour impressionner l’adversaire. Le prêcheur est entouré d’un service de sûreté dissuasif. Mais les espions surveillent les habitations et peuvent les surprendre à tout moment, bien qu’ils se cachent. Elle continue malgré cette menace permanente à enchaîner les assemblées avec Samuel Potet car ils ont besoin d’exprimer leur foi, de la faire partager malgré les arrestations, les pendaisons mais ils sont menacés de mort par contumace (le procès est à ce jour introuvable).  Le secours attendu par le prince d’Orange n’arrivera jamais. Samuel Potet réussit à s’échapper miraculeusement d’un guet-apens et Jacques Travert qui s’était joint à eux en 1698 va en procès. C’est alors qu’ils se décidèrent de fuir au refuge après le carême de 1699. Le départ fut consigné à Saint-Martin de Pamproux dans un mémoire à l’intendant (sources : maison du protestantisme).

La fuite leur arrachait le cœur, quitter sa famille, son peuple, renoncer à tous les liens tissés, partir vers une autre culture et s’exposer au risque d’être arrêtés, emprisonnés, condamnés à mort. En plus Marie était bergère et Samuel certainement un homme qui travaillait la terre. Ils ne possédaient pas le savoir-faire des artisans qui se reclassaient plus facilement en retrouvant le même métier. Les nobles qui choisissaient cette option avaient moins de souci à se faire. Mais ils n’avaient plus le choix s’ils voulaient éviter la potence et ils partirent pour l’Angleterre, terre d’accueil des huguenots qui conservait le culte calviniste. Charles II, roi d’Angleterre, sous les pressions de l’opinion publique et du parlement, devant les persécutions en France, accordait des privilèges aux réfugiés français des 1681. Puis Guillaume d’Orange après avoir envahi l’Angleterre se fit le défenseur déclaré de la foi protestante. Il assurait les français du refuge et de sa protection. À la fin du 17e siècle, les réfugiés français représentaient 1 % de la population avec 50 000 huguenots qui y avaient trouvé asile et on comptait déjà 14 églises françaises protestantes à Londres. Le départ au refuge était bien organisé, avec des conseils clandestins et des caisses mutuelles afin de parer aux problèmes pécuniaires. Deux itinéraires étaient possibles : soit par La Rochelle ou par Granville. C’est souvent ce dernier qui était choisi car depuis 1681, la surveillance des ports s’accélérait, surtout pour La Rochelle où même les gardes pouvaient contrôler les bateaux. De nombreux protestants prenaient pour plus de sécurité les routes à travers la campagne en achetant des itinéraires écrits. Certains même payaient un passeur. Ils étaient accueillis par des gens sûrs soit à Coutances ou à Granville en attendant le départ du bateau. Mais une fois embarqués, les frégates de surveillance et les gardes-côtes patrouillaient. Marie et Samuel sont bien arrivés puis j’ai perdu leur trace.

Plusieurs contacts en Angleterre ne m’ont malheureusement pas permis de continuer l’histoire. À ce jour, le contact avec la bibliothèque de Londres reste sans réponse en raison de sa fermeture à cause de la covid 19.

Mais, quelle n’a pas été ma surprise en pianotant sur le net de retrouver un site anglais (Le Comité français de secours de Londres) répertoriant les huguenots réfugiés en Grande-Bretagne qui étaient dans le besoin. En effet, la Reine accordait 12 000 livres sterling aux pauvres protestants réfugiés en Angleterre pour l’année 1705, tout ceci administré par le Comité français sous les ordres des seigneurs nommés par sa Majesté et par la Direction des commissaires anglais. On y lit que Marie Robin, 45 ans, veuve de Samuel Potet avait reçu 5 livres en 1705. Elle était classée sans profession vivant de ses biens. Elle habitait à Spitalfields dans la ville de Londres. Ce quartier des tisserands était occupé par une majorité de Français qui ont pour certains contribué à l’essor de Londres. On la retrouve en 1709 pour 15 livres puis en 1721 pour un secours de 11 livres. Tout porte à croire qu’elle était dans le dénuement. D’après le pasteur Bonnet, elle serait décédée à Jersey mais le mystère de sa disparition reste entier…

Plus de trois cents ans nous séparent de ces faits, mais si un jour, vos pas vous guident au village de Vançais, à l’entrée un panneau honore la mémoire de cette femme courageuse rappelant la lutte et la persévérance de ces habitants pour garder leur foi religieuse qu’ils avaient embrassée au temps de la réforme.

          

8 commentaires sur « R comme Robin Marie, la prédicante »

  1. J’ai une ancêtre protestante partie à l’étranger. Ce n’est pas Marie ROBIN mais Marie DARDIN. Elle a abjuré en 1681 et serait partie avant 1686. Pourriez-vous SVP me donner les références du site anglais ?

    Aimé par 1 personne

    1. Lorsque j’ai effectué les recherches, un site m’a particulièrement aidé : French réfugiés in great Britain. Les noms des protestants y sont répertoriés avec les aides qui leur ont été apportées. Il existe également à Londres la bibliothéque des huguenots qui possède un site sur internet.
      Bonne recherche.
      Sylvette Brizard

      Aimé par 2 personnes

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