Un article de Jean-Jacques GRETEAU
Pauvre Quentin ! Quand il avait fallu choisir dans l’équipe des copains celui qui allait lire en fin d’année de sixième, le poème qu’avec son groupe d’amis ils avaient écrit, il avait bien cru que c’est lui qui aurait l’honneur de la déclamation devant le parterre de professeurs du lycée de Niort. Était également annoncée la présence du proviseur, du censeur des études et peut-être même de Monsieur Guilaudeau l’inspecteur d’académie.
En toute logique, mais Quentin était fâché avec la logique lui préférant un mode de travail – et même de vie – tout entier d’inspiration – il aurait dû faire contre mauvaise fortune bon cœur, se ranger avec ses camarades derrière Robert qui, lui, avait été choisi ; en fait il avait été tiré au sort, pour prononcer devant l’aréopage des personnalités l’inoubliable « Ode à Marie » une suite de douze alexandrins qui allaient, pensaient-ils tous, rester dans les archives, sans doute même dans les annales du lycée.

Mais Quentin ne se tenait pas pour battu. Assis dans la salle d’études entre Paul et Robert qui ânonnait à mi-voix le poème qu’il allait bientôt réciter, il réfléchissait. C’est lui qui avait eu l’idée de ce poème, il en avait choisi le thème : l’ode à Marie était son cri du cœur à cette fille dont il espérait conquérir le cœur en récitant un texte si largement de sa composition. Il savait que Marie serait dans la salle et il avait prévu de déclamer son poème en la regardant, en lui souriant, de son bon sourire ingénu, quand il arriverait à la huitième strophe, celle où il lui déclarerait son amour, bien certain qu’elle comprendrait :
Le soir à la chandelle, je cite ton nom, Marie
Je caresse tes cheveux aussi blonds que les blés
Pourquoi baisses-tu les yeux si beaux quand tu souris
N’es-tu donque qu’un rêve qui berce mes nuitées ?
Il avait bien vu que certaines rimes étaient bancales mais peu lui chaudait. L’important était que Marie comprît. S’il avait pu lui-même prononcer le poème qu’il avait si largement composé, il était sûr de lui. Le cœur de la petite Marie lui appartiendrait vite. Mais c’est Robert qui allait prononcer ces paroles auxquelles il ne comprenait rien. Oh ! Certes Quentin ne risquait rien avec Robert. Peu de chances que Marie aux cheveux si blonds et au regard si pudique tombe sous le charme de ce gros garçon si joufflu, si gras qu’on aurait dit un tonnelet. Comment pourrait-elle imaginer que le délicat quatrain qu’on vient de découvrir était la déclaration d’amour de Robert ?
Puisque l’exercice d’art oratoire auquel il s’était si bien préparé lui était interdit, Quentin eut soudain l’idée qui allait dénouer ce fichu nœud gordien qui lui triturait les intestins et lui donnait la colique. Ses neurones avaient dégagé un petit interstice dans lequel il allait se glisser. S’il ne serait pas celui qui prononcerait le texte, il fallait que toute l’assemblée des professeurs, le proviseur, le censeur, l’inspecteur d’académie, les élèves réunis pour la remise prix de fin d’année aux élèves de sixième, mais surtout car elle était la seule qui comptait à ses yeux, que Marie donc sache qui était l’auteur de ce poème inoubliable et dont elle serait sans doute la seule à comprendre que c’était à elle qu’il était destiné. Quentin estimait avoir un vrai droit d’auteur sur le texte et il fallait qu’il l’impose à ceux qui avaient de ci-de là émis une idée ou rédigé deux bouts de phrase qu’il lui avait fallu corriger tant elles étaient mal écrites.
Les discussions furent pénibles, non pas avec les six camarades avec lesquels il avait travaillé, souvent à la veillée, pour écrire les douze strophes mais avec le septième. Car Robert avait décidé de faire de la résistance ! Quentin avait réuni le groupe d’amis et avait exposé calmement sa demande. Il lui semblait logique que son nom apparaisse au « générique » du morceau d’anthologie que Robert allait prononcer. Il avait eu l’idée de cette ode et il en avait écrit l’essentiel. « J’y ai mis, vous le savez bien toute mon émotion, tous mes sentiments, tout mon amour même pour cette belle inconnue dont nous avons fini par tous tomber amoureux. Cette Marie imaginaire je vous l’ai inscrite dans vos cœurs, j’en suis sûr ». Imaginaire ? Quelle blague ! Pour les autres sans doute, pour lui, elle n’avait rien d’imaginaire. Mais Robert ne voulait rien laisser à Quentin. Non pas qu’il ait compris à qui s’adressait cette ode mais parce qu’il avait tiré le gros lot et qu’il ne voulait pas en laisser une miette à un camarade.
La situation était bloquée. Les six autres jeunes enfants avaient fini par se désintéresser de la question. Quelle importance pour eux qu’on sache que c’était Quentin qui avait écrit le texte ? Ils avaient fait ce que le maître leur avait demandé de faire et maintenant basta !
C’est alors que Quentin eut l’idée qui permit de sortir de cette situation qui avait fini par lui gâcher ses nuits. Il connaissait son Robert par cœur. Il savait à quoi il était sensible : les gadgets ! Ses parents avaient rapporté du mont Saint-Michel des kaléidoscopes, ces petits appareils qui par des clics et des clacs permettaient de voir apparaître des photos. Sa mère les avait rangés dans la grande armoire sans plus de précautions. Quentin en choisit deux qui avaient des reflets lumineux et les montra à Robert. Celui-ci n’en revenait pas.
- Ils sont pour moi ? Je savais bien que tu étais un pote.
Il n’arrêtait pas de porter un appareil devant ses yeux et faisait défiler les photos. Quand Quentin lui mit le marché en mains, Robert était épanoui. Ces appareils contre un nom sur le feuillet qu’il allait déclamer trois jours plus tard. Mais c’était d’accord, bien sûr !
Le samedi suivant la salle du Patronage laïque de la rue Terraudière n’avait jamais été aussi plein. L’aréopage de personnalités avait pris place sur l’estrade. Quand Robert s’avança pour prononcer l’Ode à Marie, Quentin chercha dans la foule celle à qui la huitième strophe était dédiée. Il fouillait du regard dans le moindre coin, se leva même à un moment (ce qui mit en accents circonflexes les sourcils du surveillant général) et revint, le pas un peu lourd à sa place. Il devait se rendre à la triste évidence. Marie n’était pas là.
Un malheur n’arrive que rarement seul. Le lendemain, sa mère avait constaté le vol des beaux kaléidoscopes et Quentin avait dû lui avouer son minable forfait. Au lieu du beau centre aéré au bord de la Sèvre où il devait passer les quinze premiers jours de vacances, c’est dans sa chambre qu’il allait méditer tout à loisir sur Marie et ses blonds cheveux.
Aîe, aïe, qu’elle était dure la vie à Fontanes !
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Les premiers émois d’un jeune lycéen … Quelle histoire touchante pour les adolescents que nous fûmes.
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