Un article de Raphaël SUPIOT, archiviste de la ville de Parthenay
En amical souvenir de Pierre Arches (ⴕ)
Parmi les documents conservés aux archives municipales de Parthenay se trouve un registre de placement des enfants trouvés en provenance de l’ancien hôpital-hospice, qui fut longtemps entreposé dans le grenier du pavillon Bertin, rue de la Citadelle.
Ce registre intéresse particulièrement notre public généalogiste. Il comporte 123 folios reliés de format 39X26 cm. Chaque double page en vis-à-vis forme un tableau à 12 colonnes : n° d’ordre ; date de naissance ; noms et prénoms ; et une colonne par année de la 12e à la 20e où est indiqué la personne et le lieu auprès duquel l’enfant se trouve placé par l’hospice des enfants trouvés. À partir de sa majorité civile (21 ans), l’enfant trouvé n’est plus aux charges de l’hospice et on ne sait pas ce qu’il devient.
Les données concernent les enfants placés nés de 1840 à 1865. Il est certain qu’il a été confectionné bien après 1840, à la fin du Second Empire. En effet, pour les enfants nés en 1840, seuls les placements des 19e et 20e années sont renseignés, on ne sait rien des placements antérieurs. Au contraire, les enfants nés en 1865 voient leur parcours de placement enregistré dès leur douzième année au sein du registre. On y observe au moins trois écritures manuscrites différentes successives.
Aux archives municipales, nous recevons régulièrement des demandes de consultation ou de recherche d’informations dans ce registre de placement. En effet, lorsque des généalogistes découvrent à travers les actes de naissance de Parthenay l’existence d’un enfant trouvé parmi leurs ancêtres, ils cherchent assez souvent à en savoir plus, soit par curiosité, soit parce qu’ils espèrent pouvoir découvrir par des recherches complémentaires les parents de l’enfant (par définition, la présence d’un enfant trouvé plonge dans le néant tout un pan de leur ascendance).

La présentation de ce registre nécessite quelques rappels sur le sort des enfants trouvés au XIXe siècle. À cette époque, l’hôpital-hospice de Parthenay compte parmi ses obligations légales l’accueil des enfants trouvés : en effet, le décret impérial de 1811 a prévu la création d’un hospice-dépositaire des enfants trouvés dans chaque arrondissement. Un « tour » fut alors mis en place afin de permettre l’exposition et donc l’abandon d’un enfant sans être vu ; si ce dispositif nous paraît aujourd’hui barbare, il s’agit en réalité d’un progrès par rapport aux pratiques antérieures des expositions « sauvages ». Le nombre d’abandons se révèle très important : on compte, selon Guillaume Kalb, 413 abandons pour la seule décennie 1841-1850. Ce chiffre s’explique par la détresse matérielle et morale des parents pauvres. Je ne reviens pas sur les noms qui ont pu être donnés à ces enfants trouvés, un aspect déjà étudié par Guillaume Kalb et Pierre Arches (voir la bibliographie).
Dans les premières années de leur vie, les enfants trouvés sont confiés à des nourrices (une charge qui revient au conseil général). Ils doivent dans l’idéal, selon le décret de 1811, quitter leurs parents nourriciers après 12 ans ; selon sa constitution physique ou son état de santé, ils peuvent alors soit retourner à l’hospice, soit apprendre un métier. C’est pour assurer le suivi administratif et comptable de ces placements après 12 ans que le registre a été constitué. Il mentionne donc rarement un maintien au domicile des « parents nourriciers » : néanmoins, on apprend par exemple que Louise Triboire, née en 1855, habite encore chez les nourriciers Gauthier, à la Petite Roche de Pompaire.
Nous avons effectué un sondage concernant les enfants nés en 1846 : sur 16 enfants dont le placement est enregistré, 14 d’entre eux sont bien des enfants trouvés de provenance locale, c’est-à-dire dont la naissance est enregistrée à Parthenay. Deux autres (Marie Fouquet et Hélène Marie) ne sont pas nés à Parthenay : il s’agit sans doute d’enfants provenant d’autres hospices, une procédure de déplacement des enfants entre établissements ayant été mise en place. La situation inverse est également signalée : des enfants nés à Parthenay migrent dans des hospices plus ou moins éloignés, ainsi Marie Marguerite Gelin, née en 1860, se trouve placée à l’hospice de Rochefort dans sa vingtième année.
Comme nous le rappelle Pierre Arches dans son article sur le sujet, « les garçons sont placés en général dans les exploitations agricoles, plus rarement chez un artisan. Les filles sont vouées à devenir servantes, même si certaines apprennent le métier de couturière, de lingère par exemple ». Pour les familles d’accueil, l’apport de ces enfants trouvés n’est pas négligeable : ils constituent une main d’œuvre enfantine disponible à bon compte. Même si les données du registre restent succinctes, elles permettent de retracer des parcours de vie de ces enfants placés.
La très grande majorité des placements se situe dans les communes rurales de Gâtine, plus rarement du Bocage bressuirais. Plusieurs enfants sont domiciliés à la colonie agricole de Luché-Thouarsais sur laquelle je reviendrai. On trouve plusieurs placements comme serviteurs/servantes ou apprentis dans les villes de Parthenay, Bressuire ou Niort. Mais je relève peu de placements plus éloignés géographiquement : cinq déplacements au sein d’institutions religieuses ou hospitalières de villes du centre-ouest (Bon Pasteur d’Angers et Poitiers, asile Sainte-Anne et hôpital de Poitiers, couvent de religieuses à Saint-Jean-d’Angély), une employée d’une institutrice à Melle, un domestique à Saint-Hilaire des-Loges (Vendée) …
L’emploi occupé de manière prédominante par les enfants placés reste bien sûr celui de domestique ou travailleur agricole. Ils sont habituellement gagés lors des foires de la Saint-Jean : ainsi, le 24 juin 1873, Bertrand Claudion, né en 1860, est placé pour un an chez Henry, à la Maison Neuve de Châtillon-sur-Thouet, pour 37 F. Le montant payé progresse évidemment avec l’âge et les conditions matérielles et financières peuvent varier : ainsi, l’année suivante, le même Claudion est engagé pour trois années par les mêmes patrons mais il est précisé qu’il sera entretenu de tout par ces derniers, qui, à l’expiration de la troisième année, mettrons pour lui 100 F à la Caisse d’Épargne.
D’autres enfants sont recrutés comme serviteur ou servante au domicile d’un notable, par exemple Marie Brune employée chez un bourgeois de Parthenay à 17 ans puis un capitaine du dépôt de Saint-Maixent à 20 ans. Deux garçons, François Josué, né en 1841, ou Théodore Peuplier, né en 1845, deviennent successivement domestiques du curé à Saint-Aubin-le-Cloud ; la décence ne permettait sans doute pas l’entretien de jeunes filles chez des ecclésiastiques !
Certains enfants sont déclarés « en apprentissage » sans autre précision mais dans d’autres cas la profession du patron se trouve heureusement indiquée. Peu d’enfants sont employés dans un contexte industriel : Guillaume Jacob, né en 1840, se trouve placé à la fabrique de gilets Guilloteau à Parthenay ; né en 1858, Émile Guibert figure en tant que fileur à l’usine de Pompairain dès sa treizième année. Mais, dans la plupart des cas, les enfants effectuent leur apprentissage chez de petits commerçants et artisans, aussi bien à la campagne qu’à la ville. Nées en 1842, Candide Abella et Marie-Louise Valon deviennent pâtissière à Bressuire et lingère à Clessé. Parmi les professions relevées : un cordonnier, un charron, un tisserand, un bourrelier, un cordier, plusieurs couturières, sabotiers, maçons ou maréchaux-ferrants. Deux filles nées en 1849 sont mises en apprentissage à la salle d’Asile de Parthenay. Deux garçons apparaissent en « voyage » comme Compagnons, pour leur « Tour de France » : Honoré Pie, né en 1841, menuisier, et Ferdinand Marsini, né en 1863, boulanger.
Certains patrons prennent successivement à leur service plusieurs enfants : ainsi la famille Meunier, domiciliée à La Rochette de Viennay, emploie Amédée Sergius né en 1856, Perpétue Urbana, née en 1860, et Amédée Pinchère né en 1870.
Les parcours ne sont pas toujours stables et linéaires : René Mathurin, boulanger à Parthenay à 17 ans, se trouve infirmier à l’hospice de Poitiers à 20 ans. Certains garçons finissent à l’armée ; Barthélémy Bréda termine « engagé dans la marine marchande ».
Exceptionnellement, le registre mentionne des enfants restitués à leur ascendants : « remise à sa mère » (pour Constance Eulalie Dodot, née en 1847, lors de sa 14e année ; Marie Pauline Pelier, née en 1849, lors de sa 13e année) ou « à ses parents » (pour Julie Hortense Verger, née en 1862, suivant une décision préfectorale, en 1876 ; Euphrosine Benjamin, née en 1856, lors de sa 12e année ; Armantine Noguet née en 1854, lors de sa 14e année). Nous n’avons pas trouvé d’informations précises sur la manière dont ils ont pu être reconnus par leurs parents et restitués.
Je n’ai noté que deux problèmes de discipline ou de délinquance mentionnés dans le registre. Elisabeth Tabula, née en 1860, termine sa vingtième année à l’hospice de Niort, un déplacement inscrit comme une « punition ». Mélanie Alexandre est condamnée à 15 jours de prison le 2 mars 1863 pour vol et placée le 26 mars au Bon Pasteur de Poitiers jusqu’à sa majorité.
À plusieurs reprises, le registre fait état du placement d’enfants à la « colonie » ou « ferme-école » de Luché. Il s’agit de la colonie Saint-Hilaire de Luché-Thouarsais : née en 1850 de l’idée charitable d’un prêtre, elle rassemblait des enfants délaissés confiés au curé Jean-Louis Rousseau (1807-1880). Dans son presbytère, il leur enseignait des rudiments de lecture et d’écriture tout en les occupant à des travaux de jardinage. Bientôt, il dut demander l’aide de la Société des Frères de Saint-François d’Assisse dits « Frères agriculteurs » qui transforment l’établissement en colonie agricole ouverte aux enfants abandonnés. En 1867, la Société de Marie (Marianistes) devient propriétaire et construit à l’écart du village un immense bâtiment qui n’accueillera jamais plus d’une vingtaine d’enfants âgés de 11 à 19 ans mais aussi des étables, des écuries, une forge, une boulangerie, etc. La discipline et le travail de la terre y formaient le socle de l’éducation.

Pour terminer cette petite étude, on peut rappeler qu’Ernest Pérochon a évoqué le sort des enfants pris en charge par l’assistance publique en Deux-Sèvres à travers le personnage émouvant de Francine Riant, une des héroïnes de son roman Les Gardiennes, adapté récemment au cinéma par Xavier Beauvois.
Bibliographie :
-Pierre ARCHES, « Enfants abandonnés à Parthenay dans le tour de l’hospice de 1816 à 1861 », Société historique de Parthenay et du pays de Gâtine, n° 5, 2009, p. 3-29.
-Guillaume KALB, « Les enfants trouvés de Parthenay ». Publié sur le blog CGW79 : http://cgw79.free.fr/blog79/, 2015.
Remerciements à Jean-Pierre Camuzard et Dominique Lenne pour les renseignements fournis sur la colonie de Luché-Thouarsais. Photo Pascal Alonso.
C’est très intéressant, cette exploitation méticuleuse des données. Merci beaucoup pour ce partage !
(bémol triste pour l’état de la colonie aujourd’hui)
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C’est une piste intéressante et nécessaire pour retracer la vie de ces jeunes, là où ils ont grandi. Merci.
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