T comme Tabarie Victor : les secrets du tailleur d’habits

Un article de Dany LE DU

Il y a bien longtemps l’ancien moulin dans lequel je vis aujourd’hui fut occupé par un homme et sa famille dont l’histoire suscite l’admiration de ses descendants. Exemple de résilience, Victor Tabarie commença sa vie comme enfant trouvé à Luçon avant d’être recueilli par l’hospice de Fontenay-le-Comte. Il ne fréquenta jamais l’école, ne sut jamais écrire mais, sans doute placé chez un meunier, il en apprit le métier. Devenu adulte, il se maria et eut dix enfants qu’il éleva au moulin de la Lunardière, puis à Borliat dont il devint locataire avant d’en racheter les terres. Peu à peu il agrandit sa propriété et permit à ses enfants de s’installer et de réussir comme agriculteurs dans toute la région.

Marie, Baptiste, Victor, Auguste, Ernest, François, Pascal, Louise et Alexandrine. (Joséphine, l’aînée des filles est morte à l’âge de 9 ans). Les enfants de Victor Tabarie (photo 1920/1930)

Si les grandes lignes de son trajet de vie n’ont pas été très difficiles à retracer il n’en est pas de même des conditions dans lesquelles il a été confié à ce qui ne s’appelait pas encore l’Assistance publique, car son acte de naissance laisse planer beaucoup d’incertitudes quant à la véracité des faits qui y sont relatés.

À 9 h 30, le 7 février 1833 Pierre A., tailleur de son état, âgé de soixante-sept ans, marié, deux enfants, se présente à la mairie de Luçon. Il vient y déclarer un enfant qu’il dit avoir recueilli la veille au soir, vers 6 heures, dans le tour d’abandon de l’Hôpital. L’officier d’état-civil recueille la déposition de Pierre A. mais il ne semble pas s’étonner de quelques détails.

Le tour d’abandon consistait en une boîte tournante dans le mur de l’hôpital. La mère y plaçait son enfant puis elle faisait tourner la boite et sonnait une cloche pour avertir le personnel de l’établissement. L’enfant passait ainsi de l’extérieur à l’intérieur et était pris en charge par le veilleur de l’hôpital. La mère confiait ainsi rapidement et discrètement son enfant à la société. Le tailleur d’habits raconte avoir trouvé cet enfant la veille à six heures du soir dans le tour de l’Hôpital. Ainsi, un peu avant, une femme aurait déposé son bébé dans le tour et elle ne l’aurait pas fait tourner ? Elle n’aurait pas non plus sonné la cloche pour avertir le veilleur de la présence du petit ? Et, si elle l’a fait, le veilleur n’aurait pas entendu ? Et l’enfant serait resté à l’extérieur ? La mère serait partie en laissant son enfant exposé aux passants ?

Pierre A. serait alors passé par là. Voyant cet enfant dans le tour, lui non plus n’aurait pas sonné la cloche ? Ni frappé à la porte de l’Hôpital ? Ou bien une fois encore le veilleur n’aurait rien entendu ? Le tailleur aurait pris l’enfant pour le ramener chez lui ? Avant de se raviser le lendemain matin et l’apporter à la mairie ?

La version que donne Pierre A. est difficilement crédible. S’il n’a pas trouvé le petit dans le tour la veille au soir comme il l’affirme, si sa version est fausse, quelle est la vérité ? Que cherche-t-il à cacher ? D’où vient ce bébé ?

Lorsque les mères « déposaient » leur enfant c’était la plupart du temps une décision contrainte par la misère ou par la honte d’une grossesse hors mariage. La description du trousseau de l’enfant peut alors donner quelques indications sur ses origines. Comme il en a l’obligation, l’officier d’état-civil en fait donc la liste : trois langes, deux de boulanger gris, un de tricot blanc tous trois très mauvais, un drapeau, une chemise, une brassière de cotonnade bleue, une pointe de mousseline bleu et rouge, une culotte d’indienne rouge et blanche rayée de fleurs jaunes et garnie de dentelle. Certes le trousseau est en mauvais état ce qui peut conforter la thèse d’un milieu très pauvre, mais la présence de mousseline, d’indienne, de dentelle implique un accès à ces étoffes. La mère était-elle vraiment une simple et pauvre femme poussée par la nécessité ?

Un autre détail soulève une nouvelle question : les mères qui déposaient leur enfant dans le tour étaient autorisées à laisser une « remarque », c’est à dire un indice qui leur permettrait, si les jours devaient s’avérer meilleurs, de s’identifier auprès de leur enfant. Ainsi de nombreux petits étaient-ils laissés avec des rubans, des médailles ou des petits billets déchirés en deux. La première moitié du billet était glissée dans le lange du bébé tandis que la mère gardait l’autre moitié afin de pouvoir le reconstituer. Or, ce n’est pas le cas de cet enfant. Pas de prénom, pas de message, pas d’indice. La mère a-t-elle voulu ne laisser aucune trace d’elle ? Les « remarques » ont-elles été enlevées ? Le petit a-t-il été déposé à l’insu de sa mère ? Une main étrangère aurait-elle joué un rôle dans cet abandon ?

Ainsi en ce matin d’hiver, si l’on en croit sa déposition, Pierre A. quitte son domicile peu avant 9 heures. Le jour vient de se lever et la mairie va ouvrir ses portes. La ville s’éveille et il y a du monde dans les rues. Que dirait-on si on le voyait sortir de sa maison avec un bébé dans les bras ? Ne risquerait-on pas de penser que l’enfant appartient à l’une de ses deux filles ou à sa servante ? Autant pour protéger le petit du froid que pour le cacher des regards suspicieux il le camoufle sans doute dans son « tabard » comme on appelle, dans le Sud-Ouest, ces grands manteaux longs. Lorsqu’il s’agira de nommer l’enfant, l’officier de l’état-civil sera-t-il inspiré par ce terme qu’il transformera en Tabarie ?

Je ne suis pas seule à questionner cet acte de naissance et à extrapoler ainsi sur des détails, des horaires, des morceaux de tissu, un nom de famille. Depuis longtemps, les descendants de Victor Tabarie se sont interrogés sur le récit du tailleur et leurs questionnements sont encore sans réponses : pourquoi, par qui et dans quelles circonstances cet enfant, leur père, grand-père, arrière-grand-père a-t-il été confié aux soins de l’état ce 7 février 1833 ?

Plusieurs scénarios sont possibles.

Le plus simple, c’est celui auquel a cru l’officier d’état-civil : une jeune femme a déposé son enfant, elle n’a pas fait tourner le tour mais elle a sonné et s’est enfuie sans attendre. Peut-être était-elle placée dans une famille bourgeoise et aurait-elle confectionné les vêtements de l’enfant avec des chutes de tissu de ses employeurs. Bien décidée à oublier cette grossesse mal venue, elle n’aurait en effet laissé aucune trace d’elle sur l’enfant. Pierre A. serait passé par là quelques minutes plus tard, aurait vu l’enfant, sonné puis frappé à la porte de l’hôpital. Personne n’ayant ouvert il n’aurait pas voulu laisser le petit dans la froid et l’aurait ramené chez lui pour la nuit, puis conduit à la mairie le lendemain matin.

Une autre version plus sombre peut aussi s’imaginer : Pierre A., le tailleur, a deux filles. L’une d’elle serait tombée enceinte. Elle aurait confectionné le trousseau de son petit avec des chutes de tissu de son père et aurait été envoyée à la campagne pour y terminer sa grossesse. Lorsqu’elle serait revenue chez ses parents avec le bébé, le père l’aurait contrainte à abandonner son enfant et comme elle aurait refusé il s’en serait occupé lui-même. Il aurait détruit les indices cachés dans les langes du bébé et ce matin du 7 février 1833 aurait déclaré l’enfant à la mairie comme enfant « trouvé ».

Pour choisir entre ces versions, en imaginer d’autres (une cliente à laquelle le tailleur aurait rendu service, l’enfant de sa servante dont il serait le père… ?) et peut-être trouver la vérité, il faut se pencher sur le principal acteur de l’affaire : Pierre A. Qui était-il ? Que savait-il de cet enfant et de sa mère ? A-t-il parlé à ses proches de cet évènement ? Il est le plus proche témoin comme on dit dans les romans policiers, et pour l’instant nous savons très peu de choses sur lui.

Mais l’enquête est en cours !





Merci à Guillaume Le Du pour la documentation

2 commentaires sur « T comme Tabarie Victor : les secrets du tailleur d’habits »

  1. Bonjour je suis un descendant de Victor thabarie et j’aimerai bien prendre contact avec l’auteur de l’article j’ai une version différente, de source familiale ? amicalement jean louis durant

    Aimé par 1 personne

  2. Affaire complexe, je suis curieuse d’en savoir davantage sur les échanges avec durant.jl@free.fr , si vous décidez de les communiquer..
    Mon arrière-grand-mère n’a pas été déposée dans un tour et les parents en 1890 s’engageaient à confier définitivement leurs enfants. Elle n’a jamais eu d’information sur son abandon avec ces 3 frères. Blessure à vie, je ne désespère pas d’apprendre un jour ce que sont devenus ses parents.

    Aimé par 1 personne

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