Un article de Danièle BIZET-BILLAUDEAU
Un prénom accolé à un patronyme, pour rassembler sous une identité fictive, deux enfants-soldats, dont les destins similairement tragiques, se lisent encore sur les plaques de nos rues niortaises où je les ai croisés à la faveur d’un embouteillage.
Cette fin de matinée-là, le centre-ville est particulièrement encombré, en raison de travaux de voieries qui visent, ironie du sort, à fluidifier la circulation. Accessible par la seule rue Paul François Proust, la rue Viala que j’avais programmée, est fermée par une tranchée, mais il subsiste au pied d’un immeuble, ce panneau directionnel qui indique la Brèche, et mon GPS persiste dans ses ordres impossibles :
– Tournez à gauche !
Puisque la rue est coupée, je n’ai bien sûr, d’autre choix que de désobéir pour aller tout droit, mais je suis stoppée net par le feu qui, de l’orange, vient de virer au rouge.
– Tournez à gauche,
S’entête l’abominable bébête, incapable de reconnaître la couleur de l’interdit et de détecter l’inaccessibilité par la gauche, de l’avenue de Limoges. Je la traverse donc le moment venu, emprunte enfin la première rue sur ma gauche qui, par le haut de la Brèche, me ramènera vers l’église Saint-Hilaire où je pourrai me stationner, peut-être. La première à gauche est carrément bloquée !
Tandis qu’en pianotant sur mon volant, j’attends impatiemment de pouvoir avancer de quelques centimètres, un groupe d’adolescents émergeant du collège Fontanes, s’assied à même le trottoir et entame une partie de cartes. Ce n’est pas leur position insolite en ce lieu, ni même leur jeu qui m’intrigue, mais la plaque bleue de la rue, fixée au mur, juste au-dessus de leurs têtes. Elle porte un nom et deux dates extrêmes : Rue Barrat 1780 – 1793, soit un adolescent pour nommer une rue empruntée, chaque jour, par des adolescents, indifférents au sort tragique du premier. Voilà le parallèle qui m’interpelle et me renvoie aux balbutiements de notre République. De Viala à Barrat, il n’y a pour moi, ce matin-là, que quelques pas très ralentis.
Mon pianotage énervé change son orientation : par mon téléphone portable et ses diverses applications, les blogs, Facebook, Instagram et autres réseaux sociaux, le jeune Bara m’apprend : Je suis né à Palaiseau, le 30 juillet 1779, neuvième enfant de Marie-Anne Le Roy qui en a eu dix. Elle est domestique chez les Desmarres et mon père, de son vivant, garde-chasse du seigneur de Palaiseau. C’est pour aider ma pauvre mère qui est veuve et dans le besoin, que je m’engage volontairement, à 13 ans, au 8e régiment de hussards où je suis affecté à la division de Bressuire, à cause du commandant Desmarres devenu mon protecteur. Je ne suis pas mort au combat comme on le prétend parfois. J’ai été tué, près de Cholet, par des voleurs de chevaux, le 17 frimaire de l’an II. J’ai défendu mon tambour et les chevaux de la République autant que je l’ai pu, mais les balles royalistes m’ont terrassé. J’ai quand même eu le temps de leur crier au nez : Vive la République !
Mes faits de bravoure ont failli me faire entrer au Panthéon, mais le projet n’a pas abouti. En revanche j’ai été immortalisé en sculpture et en peinture, jusque sur les images d’Epinal et ma mémoire s’est perpétuée à travers les livres de l’école primaire jusque dans les années 1970. Une trentaine de communes françaises dont Paris, Agen, Angers, Palaiseau, Saint-Étienne, ont une rue, une avenue, un boulevard ou une école qui porte mon nom.

Ainsi Bara, tambour de la République, ne sait pas qu’à Niort une rue porte son nom !
Les voies numériques de la communication, sont heureusement plus fluides que les urbaines. Alors, à défaut de pouvoir éclaircir la circulation niortaise je tente d’élucider cette histoire de tambour qui me chagrine : qui de Viala ou de Bara était tambour de la république ? À peine quelques secondes plus tard, un nouveau contact est établi. C’est Joseph Agricol qui s’exprime :
Je suis né à Avignon le 22 février 1778. Avant de devenir le héros de la Durance, je suis entré dans la Garde Nationale où j’ai commandé l’Espérance de la Patrie, un bataillon d’enfants qui défile lors des fêtes civiques. C’est mon oncle, Agricol Mourau, autrement appelé le sans-culotte du midi qui m’a entraîné dans l’aventure, faisant ainsi de moi le premier enfant-soldat qui a donné sa vie pour la patrie, avant même Bara. Lui, on le connait par son tambour et ses chevaux, moi on me représente plus guerrier, je suis armé d’une hache sur mon épaule. Avec elle, j’ai coupé les cordages qui retenaient le bac de Bonpas sur la Durance. Enfin, j’ai essayé, parce que les balles royalistes ont été les plus rapides. Je suis tombé et l’ennemi m’a transpercé à coups de baïonnette. Il a jeté mon corps à la rivière. C’était le 8 juillet 1793. Ma tentative n’a pu empêcher les insurgés de traverser, mais, grâce à mon intervention, les républicains ont eu le temps de faire une retraite honorable. Je suis mort pour la patrie ! C’est ma mère qui l’a dit !

De moi, on connait, une gravure distribuée dans les écoles et mon nom est inscrit sur l’Arc de triomphe à Paris, sur la 18e colonne du pilier est. Comme mon compatriote Bara, j’ai inspiré quelques peintres et graveurs. Mais ma plus belle reconnaissance, je la dois à Victor Hugo qui se souvient de moi en 1872, lorsqu’il écrit son poème La barricade, où il évoque l’enfance dans la violence pour dénoncer la répression sanglante de la Commune.
… Mais le rire cessa, car soudain l’enfant pâle,
Brusquement reparu, fier comme Viala,
Vint s’adosser au mur et leur dit : Me voilà !
La mort stupide eut honte et l’officier fit grâce.
Depuis que Marie-Joseph Chénier nous a associés dans le Chant du départ, Joseph Bara et Joseph Agricol Viala vont rarement l’un sans l’autre.
De Barra, de Viala le sort nous fait envie ;
Ils sont morts, mais ils ont vaincu.
Le lâche, accablé d’ans n’a point connu la vie :
Qui meurt pour le peuple a vécu !
Deux Joseph pour un tambour qui appartient à Bara, tandis que Viala défend la République avec sa hache ! À présent tout est à sa place !
De clic en clic, j’apprends que la littérature scolaire et l’historiographie ont contribué au retour de ces deux figures sous la Troisième République. C’est bien dans ce contexte que Niort leur attribue à chacun une rue : un arrêté municipal de janvier 1888, débaptise la rue Bérulle, ouverte en 1861, lors de la construction du lycée de garçons, au profit de Joseph Bara et la rue Sainte-Macrine ouverte à la même époque, au profit de Joseph Agricol Viala.
L’encombrement urbain aura au moins permis de combler une brèche dans le mur de mon ignorance, parce que mes connaissances se sont enrichies en même temps que la circulation niortaise s’est éclaircie. J’avance enfin de plusieurs mètres, laissant quelques adolescents du XXIe siècle, profiter de leur insouciance et, si je l’écris aujourd’hui, c’est pour que de là où ils se trouvent, nos deux enfants-soldats de la république sachent bien qu’à Niort on n’a pas oublié leur sacrifice. Je me dis qu’au moins l’urbain destin de ces deux-là, n’aura pas été vain.
Bravo Danièle, magnifique article ! Quelle plume !
Mais si je comprends bien, tu pianotes sur ton smartphone au volant ?
C’est interdit, même à l’arrêt ;-))
Christian G
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C’est entre nous ! Il ne faut surtout pas le dire !
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L’admirateur que je crois reconnaître derrière « chrisgad79 » serait-il encore soucieux de la prévention des risques automobiles ?
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Des enfants soldats… Décidément, ce thème de l’enfance mène à tout. C’est une page d’histoire exposée avec talent, et … de bons conseils pour ne point perdre de temps dans notre quotidien !
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Merci Mauricette, au moins quelqu’un qui me comprend !
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J’aime beaucoup ce texte joliment tourné alors même que le sujet est plus que sombre 👏👏
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