Un article de Michel GRIMAULT

J’ai reçu en héritage un petit cadre vitré protégeant une broderie aux couleurs fanées, que j’ai accroché dans un coin sombre. Il y figure un alphabet, une suite de nombres de 1 à 11, deux petites vignettes et enfin le nom de la brodeuse et la date : FAIT PAR MARIE MOINET EN 1838. Qui donc était cette Marie Moinet ? C’est bien souvent ainsi que commence l’aventure généalogique. Je savais que cet objet provenait de la famille de ma grand-mère paternelle, Marie Marguerite Bourreau. En remontant l’ascendance par les registres de l’Etat civil, j’ai identifié ma brodeuse comme étant la grand-mère de ma propre grand-mère : Marie Louise Moinet, née le 6 décembre 1828, à Niort. Elle avait donc 9 ans ½ lorsqu’elle réalisa ce modeste ouvrage, très certainement à l’école, où les travaux d’aiguille faisaient partie du programme de l’enseignement dispensé aux filles. Il n’y avait pas d’école primaire communale pour les filles à cette époque à Niort, et neuf institutions ou pensions privées pouvaient en recevoir[1]. Je ne peux donc savoir à quelle école Marie Louise Moinet a réalisé son ouvrage.
Deux petites vignettes illustrent la broderie, l’une représentant une brouette, un arrosoir et un arbuste en pot, l’autre deux oiseaux perchés sur une branche au-dessus d’une cage ouverte. S’agissait-il d’un choix imposé ou libre ? Je pencherais volontiers pour la seconde hypothèse, la première illustration représentant des outils de jardinage, alors que Marie-Louise est issue d’une famille de jardiniers. Jacques Moinet, son père, était jardinier et avait épousé Louise Chateigner, fille de jardinier. Marie-Louise sera elle-même jardinière et transmettra cette profession à sa descendance, dont un fils épousera lui-même une fille de jardinier. Ces alliances, peut-être dues à la fréquentation des gens d’un même milieu, l’étaient aussi très certainement dans une logique patrimoniale de préservation d’un outil de travail. Ces jardiniers – on en comptait 450 à Niort en 1855[2] – étaient des horticulteurs, propriétaires des terres ceinturant la ville de Niort, dont ils alimentaient les habitants en fruits, légumes et végétaux d’ornement. Marie-Louise est née dans la maison familiale, avenue de Paris, où j’ai moi-même passé mon adolescence. Elle a assurément traîné dans la boutique qui existait alors, au milieu des légumes, des fruits et des fleurs proposés aux chalands. Il est également vraisemblable qu’elle a joué dans les jardins et les pépinières symboliquement représentés sur sa broderie. La seconde image brodée représente deux oiseaux libérés d’une cage, faut-il y voir un désir d’émancipation, bien précoce à son jeune âge ?
L’alphabet en tête de la broderie m’a intrigué : A… U, V, X, Y, Z. Le W est absent. S’agit-il d’une omission ? J’ai ouvert un dictionnaire de 1840[3] de ma bibliothèque : le W y figure, mais les mots mentionnés y sont peu nombreux et la lettre est présentée comme servant pour des mots étrangers venant du Nord mais n’appartenant point à l’alphabet français. D’après Wikipédia, le petit Larousse n’aurait accepté le W comme lettre de l’alphabet qu’en 1948. En 1838, Marie-Louise a eu raison de l’ignorer.
[1] Niort de 1848 à 1914 : ouvrage d’André Texier, Editions du terroir, Niort, 1982
[2] Histoire de Niort, p. 369 : ouvrage collectif édité par Projet éditions,, Poitiers, 1987.
[3] Dictionnaire général et grammatical des dictionnaires français : Napoléon Landais, Paris.1840.
Quelle chance d’avoir un ouvrage ancien, même défraîchi, en héritage, et de pouvoir retrouver son histoire
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Une histoire d’enfance heureuse (ou presque si l’on excepte le désir d’émancipation précoce), ça existe donc aussi ! Merci à Michel et à Marie la brodeuse jardinière qui nous rappelle à travers son ouvrage, que l’histoire de notre langue se lit aussi dans l’absence d’une lettre de l’alphabet.
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« Donner la même éducation aux filles et aux garçons, c’est confondre ce que la nature, le bon sens, l’ordre, la société, la religion commandent de distinguer. » déclarait Mgr Donnet, archevêque de Bordeaux à la même période. J’imagine toutes les petites Marie rêvant de liberté en tirant l’aiguille …
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Encore merci
Plus la technique si efficace nous grise plus la nostalgie nous gagne à la vue d’ouvrages qui exaltent la main de l’homme
W…..Wouah!!! C’est la fin …..Vite une question : je termine un modeste travail sur une famille de meuniers de Boismé .Quelqu’un a t il connaissance qu’en Poitou…. il y ait eut des moulins en bois amovibles car démontables du genre moulin de Valmy???????? C’est très important pour moi Merci pour toute aide ……. Mon adresse mail peut être communiquée sans restriction : mortaudjp@orange.fr
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On imagine cette fillette, tirant l’aiguille et bien fière de réaliser ce bel ouvrage, sans penser qu’il deviendra aussi précieux et fera l’objet d’un joli récit au XXIe siècle.
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C’est juste magnifique ! 1838 en plus, quelle chance que cet ouvrage ait traversé le temps !
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Bonjour,
Quel bel article!! Émouvant et passionnant à la fois. Une narration pleine de vie et d’amour… cela se sent! J’y ai appris beaucoup de choses.
Née en 1954, j’ai arpenté bien souvent cette avenue de Paris avec ma maman. Et ma grand-mère paternelle a tenu la petite épicerie qui faisait un angle de rue pour remonter ensuite vers la rue de la Burgonce (j’habitais Au 121/123). Des souvenirs tendres et heureux pour moi.
Merci à vous et belle journée Isabelle
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le petit Larousse n’aurait accepté le W comme lettre de l’alphabet qu’en 1948. … Waouh je l’ignorai totalement
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Waouh la date de ce trésor 🥰 Magnifique témoin du passé.
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