Jean-Philippe Poignant a découvert la brève exploitation d’une verrerie royale à La Chapelle-Seguin à la fin du XVIIIe siècle. Son très documenté article paraîtra dans un futur numéro de la revue Généa79. En attendant ce jour, j’ai extrait de son texte ce que les registres paroissiaux de La Chapelle-Seguin lui ont appris sur cette verrerie et sur ceux qui y vivent ou y travaillent, pour certains venus de très loin.
La Chapelle-Seguin est un petit village de la commune de L’Absie. Autrefois c’était une paroisse. En 1836, L’Absie est devenu le chef-lieu communal et La Chapelle-Seguin a sombré dans l’oubli. Pourtant, il aurait pu en être autrement. Quelques années avant la Révolution, La Chapelle-Seguin a connu une notoriété régionale grâce à l’installation dans son bourg d’une verrerie qui a employé jusqu’à 40 ouvriers. Pour lancer la production, des verriers allemands, lorrains, parisiens ou sarthois s’y sont installés. Mais la Révolution, la guerre civile vendéenne et aussi quelques incendies ont tout bouleversé.
L’entrepreneur de cette verrerie est un « gentilhomme verrier », Bertrand de Chazelle (1730-1804), écuyer, seigneur de la Faurie en Dordogne. Issu d’une famille noble du Périgord, un de ses ancêtres a été reconnu dès 1572 comme maître verrier. Bertrand de Chazelles s’est marié en 1770 à Thorigné (79) à Marie-Anne Frapin. Il était alors installé à Celles-sur-Belle où le couple a eu 5 enfants. Un arrêt du conseil de Louis XVI du 17 septembre 1780 permet à son projet de verrerie de voir le jour. Grâce aux registres paroissiaux de La Chapelle-Seguin tenus à cette période par l’abbé Burnet-Merlin, on peut mieux connaitre la famille de Chazelle et le personnel de la verrerie.
- Le 13 juillet 1781, est baptisée Marie Constantine de Chazelle, née de la veille. Il s’agit du sixième enfant du couple. La marraine est Constantine Biraud, fille de Jacques Biraud alors notaire royal à L’Absie. La famille de Chazelle est donc désormais installée à La Chapelle-Seguin et s’est déjà mêlée aux familles de notables locaux. On peut supposer que la verrerie est en cours de construction et a peut-être déjà lancée sa production.
- Le 28 octobre 1781 a lieu la sépulture de « Vénérable homme Jean Baptiste Ruppel, environ 60 ans, allemand de nation, ancien souffleur et fournier à la verrerie royale nouvellement établie en notre paroisse, époux en son vivant de dame Barbe Blaskowitz. Assistent à la sépulture Mrs Joseph Ruppel son fils, François Andrés, Pierre Gabriel Barrière, ouvriers en verre à vitre et bouteilles, La Pointe et autres souffleurs en bouteille… »
M. de Chazelle s’est donc assuré les services de verriers qualifiés allemands pour lancer sa production. C’est en fait toute une colonie de « travailleurs immigrés » qui s’est installée à la Chapelle-Seguin. La famille Ruppel avait déjà beaucoup voyagé puisqu’on la retrouve en Belgique près de Bruxelles en 1770.
- Le 26 juin 1782 a lieu la sépulture de « Pierre Lapointe, lorrain de nation, garçon verrier de 48 ans ». En marge, le curé a noté que le défunt a été tué d’un coup de barre de fer par le nommé Barrière, parisien … Cela confirme l’origine lointaine de la main-d’œuvre, et une ambiance au travail particulière… À peine la verrerie est-elle installée qu’elle est le lieu d’un meurtre. On imagine ce que la population locale a dû en penser…

A gauche la mention des circonstances du décès.
- Le 6 mars 1783, a lieu le baptême de « Marianne Andritz, fille de Maître François Andritz, ouvrier en verre, vitres et bouteilles travaillant à la verrerie royale. La marraine est l’illustre dame Marie-Anne Frapin, épouse de messire Bertrand de Chazelle.» Le père de l’enfant est en fait l’homme dénommé précédemment François Andrés. Il signe Frantz Andreß et est lui aussi allemand, né en 1748 à Illingen dans la Sarre. Le curé semble avoir du mal avec l’accent germanique…
- Le 4 septembre 1783 a lieu la sépulture de « Jacques Hocqmillaire, allemand, ouvrier en verre à vitre, âgé de 34 ans ». Sont présents son frère Jean-François Hocquemiller, Frantz Andreß, Joseph Soudé, François (Frantz) Matis, Quentin Rousseau, tous ouvriers à la verrerie.
Cet acte nous apporte de nombreuses informations sur le personnel de la verrerie et les recherches sur le site Geneanet ont permis de découvrir les éléments suivants :
– Il existe une famille Hocquemiller, souffleurs de verre, dont certains sont nés à Illingen. Les deux frères Hocquemiller sont donc probablement cousins de Frantz Andreß. La famille résidait à Villers-Cotterêts (Aisne) en 1780.
– Frantz Matis est né le 14 décembre 1751 à Dannelbourg (Moselle) d’une famille de verriers. Frantz Andreß était son témoin de mariage en 1779 à Villers-Cotterêts (Aisne).
– Il semble qu’en 1780 la verrerie de Villers-Cotterêts a arrêté son activité ce qui explique la présence simultanée des familles Hocquemiller, Matis et Andreß qui se connaissent depuis longtemps.
-Joseph Soudé est né en 1757 à Coudrecieux dans la Sarthe, lui aussi dans une famille de verriers. Ce village à 20 km du Mans abrite alors une verrerie depuis 1732.
Ces verriers ont-ils été recrutés seulement pour apporter leur expertise lors du lancement de l’activité ? Sont-ils restés jusqu’à la fin ? Cet acte est le dernier qui les mentionne à La Chapelle-Seguin. Nous avons découvert que Frantz Matis est décédé en 1815 dans la Nièvre. On retrouve la famille Hocquemiller à Anor (Nord) après la Révolution. Quant à Joseph Soudé, il est retourné à Coudrecieux où il est décédé en 1817.
- Le 5 mai 1785 a lieu le baptême de « Marie Anne, fille de Jean Seigneur et de dame Marianne Paillard. La marraine est dame Marianne Frapin épouse de messire Bertrand de Chazelle, propriétaire de la verrerie royale. Le parrain est Hilarion Burnet Merlin, bourgeois, le frère du curé. Les parents sont originaires de la Brie, près de Provins et résident à la verrerie. Leur acte de mariage de 1777 à Voulton mentionne qu’ils sont issus de familles de paysans aisés.
- Le 12 juillet 1786 a été baptisée en danger de mort par la sage-femme à la verrerie, Jeanne Françoise Petronille Seigneur, fille de Jean Seigneur, bourgeois, et de dame Marianne Paillard. Ces nouvelles précisions laissent à penser que Jean Seigneur seconde Bertrand de Chazelle dans la direction de la verrerie. Le parrain est François Lagoutte, menuisier, originaire de la Vienne, installé à La Chapelle-Seguin depuis au moins 1768, année de son mariage. La marraine est Marie Jeanne Fourestier, une jeune servante d’une famille de La Chapelle-Seguin alors âgée de 13 ans.

La famille Seigneur quittera plus tard La Chapelle-Seguin et retournera dans sa région d’origine. On retrouve Jean Seigneur à Provins dans les années 1790. Il y mourra en 1825.
- Le 15 février 1787, a eu lieu la « sépulture d’Antoine Chevet dit Secondin, bucheron d’environ 73 ans décédé d’hier à la verrerie royale ». Sont présents aux obsèques ses fils Claude et Léonard. En fait, Antoine Chevet était probablement né en 1717 à Saint-Secondin, dans le sud de la Vienne, d’où son surnom. Cela nous prouve que ceux qui s’occupaient de l’approvisionnement en charbon de bois à la verrerie étaient eux aussi issus d’autres régions.
- Le 22 mars 1787 : a eu lieu la sépulture de Jacques Roy, « garçon décédé d’hier à la verrerie royale y travaillant en qualité de manœuvre âgé d’environ 32 ans ». Jacques Roy était originaire par son père de Vernoux-en-Gâtine et de Pougne par sa mère. Cet acte mentionne donc pour la première fois un employé de la verrerie vraiment gâtinais.
- Le 4 mai 1787 a eu lieu la sépulture de « dame Marie Anne Frapin, épouse de messire Bertrand de Chazelle ». Il est mentionné en marge qu’elle avait 45 ans. A noter qu’ont signé l’acte de sépulture son mari, son fils Jean-Baptiste Bertrand, ses cousins Guillaume de Vard, d’Angoulême et François du Coudray. Pour marquer l’importance de la défunte, ce sont trois prêtres qui ont officié ce jour-là, l’abbé Burnet-Merlin étant appuyé par le curé de La Chapelle-Saint-Etienne et par le chapelain de l’abbaye de L’Absie.
- Le 29 janvier 1788, on retrouve encore une mention de la verrerie dans un acte paroissial. Il s’agit du mariage de Claude Chevet, fils d’Antoine Chevet évoqué précédemment, et de Renée Maury, fille d’un paysan de Largeasse. Le fils de Chazelle est signataire de l’acte. Claude Chevet est mentionné comme « cy-devant fondeur à la verrerie royale établie dans cette paroisse ». Le curé Burnet-Merlin parle de la profession du marié au passé. Il s’agit du dernier acte où il mentionne la verrerie et où la famille de Chazelle apparait.
- On retrouve l’entrepreneur Bertrand de Chazelle le 14 juin 1788, à Cours, près de Champdeniers. Il s’y est remarié avec Marie-Françoise d’Ellenne de Monbail, née en 1734 à Clessé. Ce remariage peut sembler rapide, mais c’était une pratique courante à l’époque. L’acte mentionne que Bertrand de Chazelle réside encore à l’époque à La Chapelle-Seguin. C’est la dernière trace qui le relie à la verrerie.
Nous n’avons rien pu découvrir sur ce qu’il est devenu pendant la Révolution. La généalogie familiale a seulement pu nous informer que son fils aîné, Jean Baptiste Bertrand, a été tué pendant les guerres de Vendée, sans que l’on en sache plus sur les circonstances.
En septembre 1802, lors du mariage de son seul fils survivant, François, à Celles-sur-Belle on retrouve à nouveau la trace de « Bertrand Chazelle ». Effet de la Révolution, il ne porte plus la particule de son nom. Il est mentionné qu’il demeure à Beauvoir-sur-Niort où il est instituteur. Alors âgé de plus de 70 ans, c’est probablement le seul moyen qu’il ait pu trouver pour survivre et échapper à la misère la plus totale.
Selon le dictionnaire historique et généalogique du Poitou par H. Beauchet-Filleau, Bertrand de Chazelle est décédé le 1er novembre 1804. Le lieu n’est pas précisé. Son fils François et sa fille Constantine, née à La Chapelle-Seguin, lui ont assuré une nombreuse descendance.
Merci à Jean-Philippe dont les recherches permettent de se rappeler de ces bâtiments qui ont été récemment rasés. Si vous voulez lire l’intégralité de son article, il est à retrouver sur le site du château de Pugny en attendant sa publication dans notre revue.

Passionnant ! Un grand merci !
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Oh mais merci Jean-Philippe !
J’ai tout une branche dans ce coin, je n’avais pas encore étudié le lieu, cet article est très intéressant !
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Très beau et étonnant ce sable siliceux partiellement fondu.
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Ayant particulièrement souffert ces dernières années, le bâtiment a tout récemment été démoli. Une partie des pierres, notamment celle du tympan, avec la date « 1609 », visible sur la gauche de la photo, a été récupérée par le nouveau propriétaire, le reste a servi de remblais.
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