
Un texte de Marguerite MORISSON,
auteure de : Poitevins au Canada aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Élie n’est pas son vrai prénom. Cette histoire est relativement récente. Elle a été portée à ma connaissance il y a peu de temps par sa famille, dont il existe des descendants bien vivants. Donc la discrétion s’impose…

C’est en 1928 qu’Élie arrive à Paris. Il vient de Wilno en Poméranie, où il est né en 1906. Les frontières de ces pays de l’Est étant en perpétuel changement, à cette époque la Poméranie était en Pologne. Aujourd’hui Wilno est devenu Vilnius et se trouve en Lituanie.
Élie a 22 ans et souhaite poursuivre ses études en France. Il va donc rester à Paris jusqu’en 1931 ; il va parfaire ses connaissances en langue française, langue qu’il parle déjà très correctement. Il parle aussi le polonais et l’allemand. À partir d’octobre 1931, il va à Bordeaux, où il s’inscrit à la fac de sciences, en dernière année de l’école de radiotélégraphie.
C’est pendant ce séjour à Bordeaux, qu’il va faire la connaissance d’Amélie, une jeune Niortaise, employée de commerce. L’amour ne connaît pas les frontières et se joue de tous les obstacles. Élie et Amélie vont se marier très vite en juillet 1932 à Bordeaux. Ils reviennent ensuite à Niort chez les beaux-parents, leur budget n’étant pas suffisant pour les faire vivre, surtout que la famille va s’agrandir. En septembre 1932 nait une petite Colette qui, des années plus tard, deviendra ma copine au lycée de jeunes filles de Niort, où nous allons rester 7 ans ensemble, dans la même section et donc dans la même classe.
Nous sommes en 1943 ; le lycée est occupé par les Allemands. Nous faisons donc notre année de 6e à l’école Ferdinand Buisson, les filles le matin et les garçons l’après-midi ; en février on inversera, les garçons le matin les filles l’après-midi. Surtout pas de mixité !
Colette est souriante, gentille, douce, mais elle semble souvent triste et préoccupée. Elle n’a pas de fous rires et ne fait ou ne dit jamais de blagues comme toutes les autres filles de la classe. C’est une bonne élève, attentive et sérieuse. Tout le monde l’aime bien, mais aucune d’entre nous n’ose se lier intimement avec elle, on la sent réticente et lointaine. Jamais elle ne nous parle de sa famille, on ne sait pas si elle a des frères et des sœurs, ni où elle habite…
…jusqu’au jour où, sous son écharpe blanche, on aperçoit une étoile jaune !! Ce jour-là on comprend tout. J’avoue en avoir été tellement bouleversée, que ce souvenir me glace aujourd’hui encore ! Petite bonne femme d’à peine douze ans, contrainte et forcée de porter un tel fardeau, parce que son papa, pourtant naturalisé français en 1933, est juif polonais pour les Allemands !
À la rentrée d’octobre 1944, les Allemands ne sont plus là. Le lycée ouvre ses portes et son internat. Avec Colette, nous nous retrouvons dans la même classe en 5e. Nous avons toutes grandi et mûri très vite avec cette guerre, ses peurs, ses privations, ses réquisitions, ses dénonciations, ses horreurs. Je n’ai pas le souvenir de crise d’adolescence, ni de caprice parmi toutes les filles, élèves du lycée. À vrai dire, on ne savait pas ce que c’était.
Élie et sa famille sont installés à Niort ; Élie a trouvé la stabilité, mais pas la paix définitive. En janvier 1944, il a fait partie de la rafle générale et fut dirigé vers Drancy, où sa connaissance de trois langues, utiles aux Allemands, lui a sauvé la vie. Ils ont eu besoin de lui. Il n’a donc pas été déporté en camp d’extermination. En août 1944, Il a retrouvé sa famille à Niort et une petite Marianne est née en 1947, 15 ans après sa sœur aînée. Je n’ai appris que récemment l’existence d’un petit frère né en 1942, Colette n’en n’avait jamais parlé ! À signaler qu’Élie a pieusement conservé dans un sous-verre son numéro de Drancy et son étoile jaune !
Quant à Amélie, la maman, au nom pourtant bien poitevin, elle a elle aussi, à la cinquième génération du côté paternel, un émigré venu se marier à Saint-Maixent, avant la Révolution, avec Anne-Marie de Saint-Maixent. Son nom a de belles consonances germaniques et il est dit : « musicien de profession et allemand de nation ». Ce nom, tellement déformé par l’usage et par le patois poitevin, jamais vu dans les registres des Deux-Sèvres, a forcément aiguisé ma curiosité.
Comme quoi l’émigration a existé de tout temps. Tous, nous avons quelques gênes venues on sait d’où et c’est bien ainsi, pour contrebalancer les mariages consanguins tellement nombreux. Aussi devrions-nous être tous naturellement modestes, tolérants, bienveillants, solidaires et respectueux de l’autre. Mais que faire ? Un vaccin peut-être ?
Beau témoignage d’une histoire contemporaine douloureuse qui heureusement pour une fois finie bien.
J’aimeAimé par 1 personne
C’est une très belle histoire dans l’HISTOIRE qui nous replonge dans une sombre période. Ces souvenirs de copines de lycée sont très émouvants !
J’aimeAimé par 1 personne