Un texte de Matteo MADIER.
Au petit matin du mardi 1er Mai 1821, Francisco est impatient. Ce matin, il n’ira pas travailler, à 11 heures il est attendu à la mairie de Niort pour officialiser son union avec Françoise Favriou, une jeune femme issue d’une famille niortaise modeste.
Avant de se rendre à la mairie, il enfile son plus beau costume puis se remémore toutes les péripéties qu’il a déjà vécu.

Francisco Rodrigo est né en 1782 ou 1783 dans la paroisse Saint-Jean de la ville de Porto, au nord du Portugal. Il est impossible de connaître la date exacte, son acte de baptême est actuellement introuvable, les archives du Portugal étant encore peu numérisées. Il apprend le métier de faïencier, probablement par son père et reçoit une légère éducation comme en témoigne sa signature sur les différents actes d’état civil. Vers 1809, Francisco s’engage dans l’armée pour lutter contre l’expansion française et les troupes napoléoniennes. Malheureusement, en 1813, lors des combats, Francisco et ses compagnons sont fait prisonniers par les Français « à la dernière affaire qui a eu lieu à trois lieux de Bayonne ». Les conditions de vie des prisonniers de guerre sont médiocres et pour se soustraire à leur sort, Francisco et ses camarades prennent du service sous Napoléon et retournent combattre contre l’armée dont il faisait auparavant partie. Après l’effondrement de l’Empire napoléonien en 1815, le nouveau roi de France, Louis XVIII, donne possibilité aux soldats de quitter l’armée. Nos jeunes soldats quittent alors l’armée et, par peur d’être fusillés s’ils retournent dans leur pays, décident de rester en France et s’installent à Poitiers.
Francisco se voit alors son nom francisé en François Rodrigue, ce qui convient mieux à l’administration française. Il s’installe chez Madeleine Léon nommée « veuve Rabatet » au faubourg Tranchée et travaille pour elle en qualité de faïencier. Les parents de Madeleine ainsi que ses trois maris furent faïenciers ou fabricants de faïence dans ce faubourg et suite au décès de son 3e mari en l’an XIII de la République, Madeleine a hérité et pris les rênes de la faïencerie où Francisco est employé. Au bout de quelques années au service de la veuve Rabatet, Francisco souhaite se marier et prépare son mariage avec Rosalie Maillaud, jeune femme de la paroisse Saint-Pierre de Poitiers.

Cependant, l’officier de l’état civil lui réclame son acte de baptême qu’il est dans l’incapacité de fournir, aucune de ses lettres envoyés au Portugal ne sont revenus à lui. Francisco se rend alors en janvier 1817 chez le juge de paix du second arrondissement de Poitiers pour y établir un acte de notoriété qui lui servira d’acte de naissance auprès des services de l’état civil. C’est dans ce document de quatre pages que Francisco raconte son parcours du Portugal à la France. Cependant, pour une raison inconnue, le mariage avec Rosalie Maillaud n’aura pas lieu. Suite à ce mariage annulé, Francisco déménage à Niort.
À Niort, il est employé dans la fabrique de tuiles et de poterie dirigé par Jacques Lezay et Mars et Désirée Lezay, ses deux enfants. Cependant, le malheur frappe encore Francisco, cette fois-ci, la fabrique fait faillite. Le procès-verbal du 29 décembre 1818 dresse la liste des 87 créanciers de la fabrique, Francisco qui occupe le poste de tourneur en poterie est le numéro 46 de cette liste, son employeur lui doit 111 francs et 50 centimes de salaire. Après la perte de son emploi, son parcours devient flou, son contrat de mariage indique qu’il demeure à Saint-Léger-lès-Melle tandis que son acte de mariage indique qu’il demeure à Niort depuis plus de 2 ans et aucune mention de Saint-Léger-lès-Melle n’est faite par l’officier de l’état civil.

Le 29 avril 1821, Francisco se rend chez le notaire Bonneau à Niort pour établir son contrat de mariage avec Françoise Favriou, une jeune fille niortaise, fille de feu André Favriou dit Bondieu et de Magdelaine Guérin consentant au mariage de sa fille. Les futurs époux décident de se marier sous le régime de la communauté légale pour être « commune en tous biens meubles et acquêts fait pendant le mariage ». Le futur amène en dot ses vêtements, linge et hardes à son usage et ses deniers comptants, le tout provenant de ses gains et épargnes évalué à 300 francs. De son côté, la future amène en dot ses vêtements, linges et hardes à son usage ainsi que ses meubles et ses deniers comptants, le tout provenant de la succession de son père ainsi que de ses gains et épargnes, le tout est aussi évalué à 300 francs. Comme convenu plus tôt, les biens apportés par chaque époux ne feront pas parti de la communauté qui aura lieu entre les époux. Avant de clore le contrat, les futurs époux souhaitant « se donner des preuves de leur mutuelle amitié » se font donation mutuelle en cas de décès.
Deux jours plus tard, Francisco et Françoise se rendent à la mairie juste après 11 heures, et les époux se disent oui pour la vie. Les jeunes mariés et leur cortège marchent ensuite jusqu’à l’église Notre-Dame où le prêtre célèbre leur union. Comme convenu dans le contrat de mariage, Francisco s’installe chez Françoise et sa mère au bord de la Sèvre Niortaise, rue du Quai, rue qui a aujourd’hui disparu, remplacée par le boulevard Main.
C’est rue du Quai que naîtra Louis-Clémentin, le 1er enfant du couple le 28 janvier 1822. Peu de temps après cette naissance, le couple est en meilleure situation financière et Francisco peut devenir indépendant. Il achète alors une grange et un quéreux sur la commune de Magné et y déménage. Il y crée son atelier de poterie de terre au cours de l’an 1823. L’année suivante est marquée par la mort de la mère de Françoise le 5 mars 1824 puis quelques semaines plus tard par la naissance de sa seconde fille, Monique Célestine le 19 avril 1824. La poterie de Francisco est relativement florissante, en effet, il y emploie au moins un ouvrier, Étienne Dubourg. Après 11 années à tournasser des pots dans son atelier, Francisco quitte le monde le matin du 26 février 1834, laissant sa femme et 2 enfants de 13 et 11 ans. Il leur laisse les bâtiments de la poterie ainsi que ses meubles évalués à 195 francs. Son épouse, ne sachant que faire de tous les instruments et outils de poterie de Francisco, décide de les louer à Pierre Gourgeau, un autre potier du village pour le loyer annuel de 45 francs.
Des actes notariés aux tribunaux de commerce en passant par les justices de paix et les passeports pour l’intérieur, les multiples péripéties de Francisco nous sont racontés dans le moindre détail. Nous avons pu établir ses conditions de vie, ce qui dément l’adage souvent entendu qui nous dit que les étrangers sont plus difficiles, voire quasiment impossible à trouver dans les archives, dans ce cas-là, c’est le contraire, mais, il nous reste encore plein de choses à trouver sur son parcours. Francisco, à son image, est un exemple d’intégration, il a quitté son pays, sa famille, ses amis, forcé par la grande Histoire, pour s’installer en France, pays dont il ne connaissait probablement ni la langue ni la culture et les us et coutumes.
Sources :
Wikipédia : Gravure
AD79 :6 U Non coté : Tribunal de Commerce de Niort : Faillites 1817-1830. État civil des communes de Niort et Magné. 3 E 11573 : Minutes notariales de Bonneau Louis François Pierre Marguerite Janvier-juin 1821. 8 U 104 : Répertoire notarial de Crochery Hippolyte Louis
AD86 : 4 U 22/72 : Justice de paix de Poitiers Sud : Acte de notoriété.
En effet c’est incroyable d’avoir autant de détails sur son parcours ! Les archives du Portugal sont disponibles en ligne, le plus facile est de passer par ce site : https://tombo.pt/m/prt
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Merci pour l’info Christelle
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Tout Porto est numérisé depuis le début du XVIIème, mais je ne connais pas de paroisse Saint-Jean.
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Une très belle recherche très bien racontée qui nous fait voyager au pays des azulejos
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Merci beaucoup !
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magnifique Mattéo ! Quel périple … c’est vraiment très intéressant d’avoir pu retrouver tout le parcours tant géographique que de vie de ton ancêtre. Il y a une famille Montaireau à Prailles dont l’ancètre espagnol est venu en France en suivant les armées de Napoléon. A bientôt te voir . Suzette
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Merci, concernant les Espagnols de l’armée napoléonienne en Deux-Sèvres, Laurent Delenne, archiviste, a rédigé un article dessus pour la société historique des Deux-Sèvres, je ne sais pas encore s’il est paru, si ce n’est pas le cas, il le sera sous peu.
Mattéo
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Voilà une vie bien tourmentée ! Mais Francisco avait de la ressource, il a su profiter des opportunités. Quelle richesse de parcours ! Merci au conteur !
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Merci beaucoup.
A bientôt pour la lecture de ton article.
Mattéo
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Merci beaucoup pour cette enquête. D’autres prisonniers des guerres napoléoniennes ne sont fixés en Poitou : des Espagnols à St-Maixent, des Hongrois et Polonais du côté de Chef-Boutonne… On croise quelques Portugais sous l’Ancien régime comme le dénommé Emmanuel FERNANDE, sellier présent chez nous dès les années 1670, qui s’est vu confier la charge de sergent verdier du château d’Augé… Les marchands portugais qui viennent aux foires de Niort sont en réalité les descendants de juifs chassés d’Espagne, puis du Portugal, établis à Bayonne, Bordeaux, la Rochelle, Nantes…
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Toujours un grand plaisir de retrouver les textes de Mattéo. Une histoire bien documentée qui nous invite à comprendre l’importance des arrivées d’ étrangers dans la construction de notre pays. Merci Mattéo
Annette
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Merci Annette,
Bonne semaine,
Mattéo
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