N comme Normand, Tourangeau…

Un texte de Marie-Isabelle FEMENIA

Dans la même famille des Deux-Sèvres sont entrés successivement un tamiseur normand, un tireur d’étain tourangeau, des maçons limousins et un fils de Cantalou.

En 1664, Marie JACOB que j’ai déjà évoqué, fille d’un blanconnier niortais, épouse Isaac GODEFROY, marchand tamiseur venu de Fleury dans la Manche. Les registres de Fleury n’allant pas au-delà de 1694, je ne sais pas quand est né Isaac. D’après son acte de décès, il serait né vers 1624, de Julien GODEFROY et Françoise LEFEBURE.

La belle signature en 1664 d’un parent d’Isaac, Nicolas LEFEBURE

Dans la Manche, le centre de fabrication des tamis était à Gavray, à 12 km de Fleury, et de nombreux villages alentour participaient à la production. Les tamis étaient fabriqués avec du crin de cheval. On commençait par laver le crin dans la rivière puis on le regroupait par paquets, on le peignait sur un outil aux longues pointes et on le tissait avec un métier horizontal. La toile obtenue s’appelait la rapatelle. On en faisait des tamis pour passer la farine, le plâtre, la confiture, les épices, le cidre, et des sacs.

Les tamiseurs ou tamisiers partaient parfois très loin, parfois plus d’un an, pour vendre leurs produits. Ils ne voyageaient jamais seuls, ils s’associaient ou trouvaient un commis ou un apprenti. Ils s’engageaient en échange des services de l’apprenti à lui apprendre le métier, et à le conduire dans les pays où ils trafiquaient, et prenaient à leur charge les dépenses de nourriture et d’habillement.

Souvent ils finissaient par s’installer dans les contrées qu’ils visitaient, en Bretagne surtout, mais aussi un peu partout en France, et jusqu’en Allemagne et aux Pays Bas. La famille GODEFROY a choisi la Saintonge et le Poitou. Le frère d’Isaac, Jean, s’est marié à Fontenay-le-Comte en 1653. Et encore avant, en 1630, un Vincent GODEFROY de Fleury est décédé à Saint-Jean-d’Angély. Comme il était étranger à la paroisse, il fallait au prêtre pour l’enterrer en terre consacrée des témoignages indiquant qu’il était un homme de bonne vie. Sept personnes voyageant avec le défunt, toutes de Fleury ou des paroisses voisines, ont donc témoigné, nous confirmant les voyages en groupes.

Isaac a dû faire venir sa mère qui est décédée à Niort en 1670. Étant entré dans une famille bien implantée à Niort, il y a semble-t-il bien vécu. Mais son frère Jean, moins bien implanté à Fontenay, n’ayant qu’un fils tamiseur, est qualifié dans son acte d’inhumation de pauvre homme. Les trois fils survivants d’Isaac seront teinturiers, peut-être l’était-il devenu lui-même ?

Un siècle plus tard en 1779 une arrière-petite-fille d’Isaac, Louise Charlotte GODEFROY épouse à Celles-sur-Belle Julien STEPHANY un tireur d’étain venu de Touraine, mais Tourangeau seulement par sa mère, Breton du golfe du Morbihan par son père, lesdits parents mariés à Nantes, et lui-même né à Angers en 1750.

Le tireur d’étain c’est en fait un peigneur de laine. Le peignage est une opération longue et pénible qui consiste à faire passer la laine par une série de peignes chauffés et graissés en évitant que les fils cassent. La laine peignée donne un fil plus doux, plus solide, plus régulier que la laine cardée, le fil d’étain. Mais le travail est difficile et très mal payé. Julien ne reste pas longtemps tireur d’étain. Il devient comme son beau-père et son beau-frère teinturier.

Après dix ans de mariage, Louise Charlotte décède à la naissance de son cinquième enfant. Julien ne tarde pas à se remarier et aura sept autres enfants.

En mars 1794, il appelle un fils Sincère Républicain. Et de frimaire an IV à ventôse an VI (environ novembre 1795 à février 1798) il est agent municipal de Celles-sur-Belle. À l’époque, le conseil est cantonal. Chaque commune élit un agent municipal qui participe à l’administration de la municipalité cantonale et un adjoint.

Grâce à cela, à partir d’un acte d’état civil par lui rédigé, j’ai pu faire faire une analyse graphologique et avoir une idée de son caractère : « C’est un homme d’ordre, résolu et combatif, qui s’employait à faire régner la discipline autour de lui. Il savait ce qu’il voulait et comment l’obtenir. On peut l’imaginer expéditif, efficace et exact. Il a un esprit clair, méthodique, un peu tatillon dans les détails, pouvant discuter avec une certaine agressivité mais gardant calme et mesure dans l’exercice de la fonction municipale, étant très soucieux de remplir sa tâche. Il sait organiser son action, est prudent et prévoyant, mais aussi avisé ou malin. Le comportement est courtois en société, plus exigeant et dominateur en famille où il ne doit pas laisser parler beaucoup l’entourage. Il a des idées arrêtées, des principes fermes, une conduite irréductible. Fort autoritaire et très méfiant. »

Je n’ai pas sa description physique mais celle de son père soldat dans le régiment d’infanterie du Piémont en 1747 et déjà âgé « cheveux châtain clair, yeux gris enfoncés, nez long et aquilin, bouche petite, visage long et ridé, joues creuses, 4 pieds 11 pouces« , et aussi celle d’un de ses fils qui s’est blessé pour ne pas participer aux guerres napoléoniennes en 1811 « châtain, yeux roux, nez relevé, teint coloré« . Alors à qui ressemblait Julien ?

Il décède jeune en 1804 peut être de maladie liée à son travail malsain. Grâce à l’inventaire après son décès, on sait beaucoup de choses de lui.

Au niveau habillement, il avait des culottes d’étoffe de maison bleue, un habit d’étamine grise, un autre de cotonnade rouge, un gilet de basin blanc, un autre de cotonnade rayée rouge… On pouvait voir qu’il était républicain et teinturier.

On pénètre dans sa maison avec outre les nombreux lits et paillasses, les ustensiles de cuisine, des meubles en cerisier, des fauteuils, des assiettes en faïence, des couverts en étain, un fusil, deux kilos de viande dans une armoire en pierre, une barrique moitié pleine de vin de pays.

On pénètre aussi dans sa boutique avec des balances en bois et en cuivre, des chevalets pour carder la laine, des rouets garnis, et dans l’atelier avec, entre autres, un moulin à passer l’indigo, un mortier et son pilon de fonte, des tamis à teinture, des chaudières, un tour à tourner l’étoffe dans la chaudière, un paquet de corde à tendre la laine.

Mais Julien laissera plus de dettes que de biens. Vivait-il au-dessus de ses moyens ? Il y avait de la concurrence, j’ai compté sur le recensement de 1799 de Celles 5 teinturiers, 18 cardeurs, 1 peigneur, 1 fileuse, 1 filtoupier, 5 tisserands, 7 tailleurs, 9 sergiers ou sergetiers.

Ses fils ne seront pas teinturiers mais paveur, marchand mercier, serrurier, maçon.

Sa fille aînée va épouser successivement deux maçons de Haute-Vienne, de deux villages voisins, Saint-Sornin-la-Marche et La Croix-sur-Gartempe, près de Bellac.

Un de ses petits-fils va épouser une native de Trieste.

Une arrière-petite-fille épousera le fils d’un marchand quincaillier cantalou de Marchastel nommé Antoine QUEUILLE. Cet homme ayant fait un bon mariage avec la fille de l’officier de santé de Celles, ses enfants seront commerçants, cheminot et curé de Verrines-sous-Celles, et son petit-fils pharmacien à Niort. Antoine comme Isaac n’était pas venu seul, son frère Jean, marchand colporteur, étant établi à Prahecq.

Sources pour la Normandie : Michel Le Pesant, Un centre d’émigration en Normandie sous l’ancien régime – le cas de Percy

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