S comme de Saint-Michel-Chef-Chef à Nueil

Un texte de Laurence GABARD

J’ai partagé, du moins je le croyais, une belle complicité avec ma grand-mère maternelle. Mais si je savais qu’elle était partie toute jeune de Saint-Michel-Chef-Chef, pays de l’océan et des galettes, vers le Maine-et-Loire, la commune de Saint-Lambert-la-Potherie, pourquoi ? Quand ? Mystère… Et si je savais aussi qu’après, elle est venue se marier et vivre en Deux-Sèvres, à Nueil-les-Aubiers, là encore comment et pourquoi ? Ma grand-mère était une taiseuse sur ces questions du passé et il était bien difficile pour moi petite fille de la convaincre de regarder les photos dans le tiroir de son buffet ! « beut, beut beut, laisse donc ça ! » me disait-elle. Alors quand il a été question d’écrire un article sur les migrations, et plutôt en général sur les déracinements, j’ai pensé à elle et me suis lancée sur ses traces, sur son histoire. Et quelle histoire quand même.

Tu es née le 16 février 1914 à Saint-Michel-Chef-Chef dans le village de la Haute-Rinais. Ta famille, aussi bien du côté de ta mère Philomène Clavier que de ton père Léon Allais, y vivait depuis de nombreuses années, fin du XVIIIe siècle au moins. Il est facile de t’imaginer toi petite fille faisant un saut après la messe avec les cousins cousines en bord de mer, respirant les embruns, mettant tes mains dans le sable, chantonnant avec ta sœur Germaine, mais aussi rêvassant devant ce flot incessant de vagues dès que tu le pouvais. J’aime à penser que tu étais heureuse de cette vie simple et familiale et que tu y as puisé une force qui t’a toujours accompagnée !

Photo de toi en haut dans les bras de ta tante Émilienne célibataire. Tes parents sont à droite assis. Sur les genoux de ta mère, ta sœur Germaine. À gauche, assis aussi, ton oncle François et ta tante Marie
 

1922 : un déracinement nécessaire pour faire vivre une grande famille ! Gens de la terre, vous viviez à la Haute-Rinais en ce début du XXe siècle à deux familles qui quasiment chaque année s’agrandissaient : la tienne, celle de Léon (8 enfants en 1919) et celle de ton oncle François (7 enfants). La ferme devenant trop petite pour faire vivre de si grandes familles, il a fallu pour les deux couples penser changement. Trouver une exploitation de taille suffisante à cette époque du côté de Saint-Michel-Chef-Chef n’a pu hélas se faire ! Alors quand le propriétaire de la Haute-Rinais parle d’une grande ferme disponible dans le Maine-et-Loire, à Saint-Lambert-la-Potherie, les deux chefs de famille pèsent le pour et le contre et, même si cette terre est bien loin de chez eux (mais ils avaient évoqué partir en Algérie…), ils sont partants : la ferme de 70 hectares est grande, les bâtiments fonctionnels et l’habitation adaptée. La ferme est tellement grande qu’il y sera possible d’accueillir les deux sœurs célibataires de Léon et François. Mais il faut dire qu’à l’époque l’on ne craint pas la cohabitation et que chacun se contente d’un espace réduit !

La ferme des Buissons

En 1922, la décision est prise et les deux familles vont quitter la « Loire-Inférieure » pour la ferme des Buissons à Saint-Lambert-la-Potherie. Tu as donc 8 ans quand tu prends ton baluchon toi aussi pour partir de Saint-Michel-Chef-Chef. Tu as sans doute comme tes frères et sœurs, cousins et cousines, appréhendé ce changement avec tristesse et peur, mais aussi avec un certain entrain car vous étiez 21 à partager cet événement et à prendre la route cette fin du mois d’octobre.

La famille (tu es à droite de la photo)

Quel déménagement ! Il faut transporter le matériel mais aussi le bétail. Ce dernier arrive par le train en gare de Bouchemaine et il faut rejoindre Les Buissons à pied avec les animaux. Mais ce déménagement s’accompagne aussi d’un heureux événement : le petit dernier de Léon et Philomène, ton frère Georges, naît le 18 avril 1923.
C’est au milieu de toute cette famille bien élargie que tu grandis en suivant les cours à l’école des Sœurs à Saint-Lambert. Tu quittes l’école comme ta sœur Germaine à 14 ans avec le certificat d’études en poche.
Deux de tes frères et sœurs se sont mariés et sont repartis vers Saint-Michel-Chef-Chef qui restera donc un port d’attache longtemps pour vous tous.

Un curé entremetteur pour un mariage en 1938, nouveau déracinement !

23 ans et toujours pas mariée ! L’on commence sans doute à y penser dans la famille. Toujours est-il que le curé de Saint-Lambert-la-Potherie s’arrange pour te présenter un de ses cousins, originaire de Nueil-les-Aubiers, dans les Deux-Sèvres, toujours célibataire lui aussi. Il pensait à Joseph Charrier son cousin de 31 ans mais tu as préféré le frère de celui-ci, Gabriel. Vous êtes-vous beaucoup « fréquentés » ? Sans doute peu, compte tenu de la distance. Vous vous êtes écrits, c’était plus facile…
Vous  vous êtes mariés le 6 septembre 1938, tu avais 24 ans et Gabriel en avait 30 ans, à Saint-Lambert-la-Potherie en présence de tous ceux qui t’entouraient alors : parents, oncles, tantes, frères et sœurs, cousins, cousines… mais aussi le fameux curé Brégeon que l’on voit sur la photo de mariage derrière tes parents.
Quel bouleversement à nouveau pour toi de laisser les tiens pour partir aussi loin ! Pépé Gabriel a dû rester quelques jours à la ferme du Buisson avec tes parents mais il fallait se rendre vite en Deux-Sèvres : la ferme de Montlouis attendait, il y avait du travail, il ne pouvait laisser trop longtemps son frère Joseph seul. Il était certes là avec toi pour ce nouveau voyage et il t’a accueilli dans la ferme de Mont-Louis à Nueil-les-Aubiers sans doute du mieux qu’il a pu. Tu as dû te familiariser avec cette grande famille Charrier, le père Charrier avait un caractère bien trempé, et il a fallu surtout que tu te mettes à l’ouvrage :  pas de promiscuité avec les beaux-parents restés à la Chauvinière mais seule femme à gérer la maison et les « bonnes » et deux hommes à nourrir ! Courageuse et solide, tu as dû chercher l’eau du puits par tous les temps et t’occuper des vaches, cochons, volailles. L’année a dû passer très vite, il faut faire, apprendre de nouvelles pratiques, connaître les voisins, la famille, apprendre à comprendre le parler de ce nouveau pays…
Étais-tu déjà totalement insérée et ancrée dans ce nouveau terroir le 3 septembre 1939 lorsqu’à peine un an après ton mariage la déclaration de la guerre 39-40 a mobilisé les deux hommes de la ferme, ton mari et son frère, te laissant seule ? Drôle de façon de fêter un 1er anniversaire de mariage… Tu as dû affronter, gérer la ferme (tu nous as laissé le livre de comptes de l’époque) certes avec l’aide formidable d’Irène Papin, plus confidente et amie que « bonne » et avec Armand et Georges Caillé de la famille Charrier, non mobilisés !
Et un heureux événement est attendu. Alors, Germaine ta sœur vient t’aider pendant 6 mois : Marie-Claude naîtra le 11 février 1940 avec un père absent qui ne reviendra qu’en 1943 mais cela est une autre histoire…

Photo de toi pendant la guerre avec Irène et la petite Marie-Claude

Quitter ses racines, c’est surtout ne plus côtoyer facilement les personnes que l’on a connu et que l’on aime, tenter de maintenir les liens mais aussi s’inquiéter pour eux… Nous avons de la peine à nous rendre compte aujourd’hui, à l’heure des téléphones portables et des échanges immédiats, de ces ruptures de communication de l’époque ! Les décès, on les apprenait par télégramme me racontait mon oncle, les nouvelles se transmettaient par courrier ou au fil de visites bien espacées…Quitter ses racines ou les garder bien au fond de soi, toujours ? Réussir même à les transmettre ? Appartenir à un pays est une évidence, quelque chose qui se passe dans « ses tripes » : Pour mémée Marie, Saint-Michel-Chef-Chef était son fief, ses racines… et je crois bien que ce sentiment viscéral a réussi à se transmettre à quelques-uns de nous, ses petits-enfants.

5 commentaires sur « S comme de Saint-Michel-Chef-Chef à Nueil »

  1. Émotions et prise de conscience que les hommes sont souvent plus à l’honneur que les femmes et pourtant votre texte montre bien qu’elles ont eu leurs rôles à jouer (si on peut dire) et surtout en temps de guerre, Merci, Bravo!

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  2. Bonjour, je viens de lire votre texte qui m’a beaucoup touché. En fait votre histoire s’est faite à l’opposé de la mienne : originaire de Nueil par mon père, j’ai vécu dans le Maine et Loire à Cholet. Aujourd’hui je vis à la Bernerie en Retz à 15 km de Saint Michel Chef Chef. Je suis toujours très attaché à mes racines de Nueil. Les noms qui apparaissaient dans votre récit ne me sont pas inconnus, je les ai déjà entendus chez mes grands parents. Je fais également beaucoup de recherches généalogiques. Un grand merci pour votre récit.

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