
Un texte de Cécile GIRARDIN
auteure de : Port Boinot
Je me suis intéressée à Victor Davignac bourrelier puis carrossier niortais en écrivant l’histoire du groupe Prévost Finances. Cet arrière-arrière-grand-père du dirigeant actuel établit les bases de la future activité d’EDAC, à l’origine du groupe en question. Le parcours de Victor Davignac est-il celui d’un migrant ? Avait-il l’âme d’un voyageur ? Son métier allait-il lui permettre de voir du pays ?

Victor Davignac est né en 1879 dans le petit village de Germond à côté de Niort. Il grandit dans un milieu très modeste. Son père Adolphe se gage de ferme en ferme pour faire vivre sa famille : son épouse et lui élèvent trois enfants, Victor, le fils aîné, Henri né en 1881 et Alfred René né en 1893. Il semble que Victor soit épris de liberté et qu’il cherche à s’extirper de sa condition sociale. Par choix, par nécessité financière ou attiré par une carrière militaire, il s’engage à 21 ans pour trois ans dans le 5e régiment de Dragons. Il accède ainsi à une formation, découvre un nouveau milieu et voyage en France. Son frère Henri partage le même désir d’émancipation, il devient cuisinier à Paris puis à Londres avant de revenir en Deux-Sèvres tenir un café-restaurant à Moncoutant. Alfred René le plus jeune suit les pas de son grand frère Victor puisqu’on le retrouve bourrelier à ses côtés à Niort en 1914.
Victor revient de l’armée à 24 ans et réussit à s’établir comme artisan bourrelier à Frontenay-Rohan-Rohan. Un an plus tard, il se marie à 25 avec Mathilde Mercier, 18 ans, le 12 septembre 1904. Les affaires marchent bien. Il ambitionne de s’installer à Niort : lorsqu’un de ses confrères vend sa bourrellerie située à deux pas de la place de la Brèche, il achète. En octobre 1905, le voici propriétaire du 21 avenue de Paris : 150 m2, un atelier ouvrant sur l’impasse du Colombier et une boutique donnant sur l’avenue. En 1911, il s’agrandit en achetant une maison dans l’impasse et investit l’atelier voisin du 23 avenue de Paris. La Première Guerre mondiale met un coup d’arrêt à son activité. On sait qu’il est mobilisé comme brigadier-sellier au 20e régiment dès août 1914, mois durant lequel il perd son petit frère tué en Belgique. Victor, lui, revient sain et sauf et ne traine pas à reprendre sa stratégie de conquête de l’avenue de Paris. Car notre artisan ne compte plus bouger de son avenue de Paris qu’il aime tant. Il passera les années à venir à acheter plusieurs immeubles et terrains de part et d’autre de l’avenue au profit de son commerce. Le 8 février 1919, il achète l’immeuble du 1ter, une parcelle immense de 600 m2 qui débouche sur la rue arrière de la Boule d’or. Son projet est clair : transformer le lieu en bourrellerie et en atelier de fabrication de voitures hippomobiles en complément des ateliers conservés impasse du Colombier.

Quitter Niort et sa chère avenue de Paris, s’expatrier au moyen d’une charrette de sa conception ? Quelle idée ! Dix ans plus tard, il ouvre même une « carrosserie automobile » au 1 avenue de Paris. En 1934, il recrute son premier « voyageur » un ancien bourrelier James Robert Dussous qui partira sur les routes pour le compte de la « maison Davignac ». La même année, Victor achète la vaste propriété du 116 avenue de Paris, futur siège de la Maif en 1937. II ne s’arrête pas en si bon chemin car en 1935, il achète l’hôtel-café « Au roulage » aux 20 et 22 avenue de Paris. L’apogée de sa carrière ? L’achat en 1937 des 1800 m2 du 17 avenue de Paris qu’il transformera en une carrosserie flambant neuve. Il est dit industriel et… roule en Peugeot 402 ! Mais de voyage, de vent de liberté qui semblait le pousser plus jeune à se déplacer, il n’en est plus question. S’il a migré, c’est dans l’avenue de Paris à laquelle il était tant attaché. Victor Davignac apparait comme un anti-migrant désireux de s’enraciner dans l’avenue qui fit sa renommée et le fit vivre. Encore aujourd’hui, les descendants de Victor gardent une vive affection pour l’avenue de Paris et pour la bourrellerie du 1ter qui restera en activité jusqu’en 1980 et qui appartient toujours à la famille.
Crédit photos : fonds privé – reproduction Éric Chauvet
Photo 1 : En 1900, Victor Davignac s’engage dans l’armée dans le 5e régiment de dragons puis dans le 12e régiment de chasseurs. Il a 21 ans et a fière allure dans son uniforme militaire. Ses yeux bleus semblent sonder le futur et on aimerait savoir ce qu’il pense, revenir dans son village natal de Germond, gravir les échelons dans l’armée ? S’éloigner définitivement des Deux-Sèvres ?
Photo 2 : Cette photographie de la bourrellerie de Victor Davignac a été prise dix ans après celle de son portrait militaire, soit vers 1910. Victor est revenu à la vie civile, il s’est installé comme bourrelier, s’est marié et a déjà trois enfants. Il est entouré de quatre employés dont l’un est peut-être son plus jeune frère (à gauche) qui sera tué en août 1914 à 21 ans.
Le groupe a probablement été photographié devant la boutique du 21 avenue de Paris à Niort. Cette adresse est le point de départ de la conquête immobilière de l’avenue par Victor bien décidé à ne pas quitter cette artère commerçante
On peut réussir aussi en restant dans sa région. Et il y a eu d’autres réussites de selliers bourreliers comme Vincent GOIRAND qui s’est établi à Melle puis à Paris, grâce à une invention utilisée par l’armée. Ses fils sont devenus avoués, député, sénateur.
J’aimeAimé par 1 personne
Le service militaire puis la guerre a fait voyager bien des jeunes hommes. Victor a peut-être jugé ensuite que rien ne justifiait de s’éloigner de sa région.
J’aimeAimé par 1 personne