Un texte de Claudy GUERIN & Jacqueline TEXIER
Né au Breuil de Saint-Christophe-sur-Roc le 10 janvier 1781, Charles est tour à tour journalier, bordier, tisserand ; quant à Marie Renée plus communément appelée Françoise, née à Soignée le 2 février 1784, elle est domestique et vit chez ses parents.
Mariés le 17 novembre 1807 à Saint-Denis – commune qui a fusionné avec la commune voisine de Champdeniers en 1972 – Charles et Marie Renée s’installent au hameau de Soignée, village où je vis aujourd’hui.
Ils y auront 10 enfants, 7 garçons dont 4 survivront et 3 filles, épouses des Prouteau, Rivollet et Bonnin, familles des alentours.
Le huitième de la fratrie né le 20 août 1822 – 200 ans cette année ! – se nomme Pierre Orfrance mais on l’appellera Alphonse, (pouvons-nous suggérer qu’il s’agit peut-être là d’un homophone ?). Cantonnier comme ses frères Louis et Noël-Jean, il se marie à Marie Modeste de Cherveux, fille de poêlier, en octobre 1850. Soignée-Cherveux par les chemins, c’est rien. Ces deux-là ont dû se rencontrer à une balade, une journée de battage ou une noce peut-être.

Trois des cinq enfants du couple vont naître à Soignée. Pierre, premier né, verra le jour en 1852 à La Saunerie, village proche où vivent Jean et Françoise, oncle et tante des enfants. Joseph né le 2 septembre 1854 décèdera début 1855. Rosalie, petite dernière, naîtra sur la commune de Germond, à l’Aumônerie, petit hameau attenant à Champdeniers. Le pont qui enjambe l’Egray à cet endroit sépare les deux communes de Champdeniers et Germond.
Les garçons qui tous savent lire et écrire seront cantonniers comme leur père, excepté Victor qui voit le jour le 8 mars 1856 et qui pour l’heure travaille comme domestique, jardinier. C’est sur Victor que se porte notre regard ces jours de Challenge.

Il ira probablement comme ses frères à l’école de Saint-Denis, bâtiment édifié sur les recommandations de Louis Tribert, conseiller général et propriétaire du Logis de Puyraveau sur cette commune de Saint-Denis.
Au printemps 1871, un drame survient dans la famille : Alphonse, le père, meurt le 3 avril à Soignée suivi de Louis son frère quelques jours plus tard. 48 et 55 ans…
Le 13 décembre 1877, Victor rejoint, comme son frère Pierre avant lui, le 74e RI en tant qu’appelé, jeune soldat de la classe 1876. Une opportunité, certes pas toujours appréciée mais qui permettait aux jeunes gens de quitter le giron familial et voir un peu de pays.
Caporal le 17 août 1878, il est nommé sergent le 16 octobre 1879. Envoyé en congés le 6 octobre 1881 en attendant son passage dans la réserve de l’armée active, il vit alors avec sa mère et ses frères et sœur à l’Aumônerie de Germond. Le 11 octobre 1882, il est témoin avec son oncle Jean au mariage de son frère Noël qui épouse Françoise de Xaintray, comme lui domestique à la Grange Laidet chez François Belleculée.

Il est clair que Victor ne sera pas cantonnier. Le goût de l’armée, la discipline, l’évasion peut-être et l’opportunité d’apprendre l’ont sans doute séduit.
Son certificat de bonne conduite en main, il est incorporé à la Garde à pied à la Légion de la Garde républicaine suivant décision ministérielle du 27 janvier 1883 ; il prête serment le 24 février 1883 devant le tribunal de première instance de Paris.
Le destin de Victor prend là un tournant décisif.
Il ne sera pas de la noce 4 mois plus tard, lorsque Rosalie épousera Auguste, à Champdeniers avec Pierre et Noël pour témoins.
Il restera à Paris 4 années jusqu’à sa nomination de gendarme à pied à la 3e Compagnie de la 19e légion de gendarmerie en mai 1887, affectation qui le conduira le mois suivant à Constantine.
C’est ainsi que notre Saint-Dionysien découvre l’Algérie, au sein d’une caserne de gendarmes. Il vit à Bône, sous-préfecture du département de Constantine qui deviendra plus tard Wilaya Annaba.

C’est là qu’il rencontre Pascal qui a suivi le même parcours que lui, quelques années plus tôt, à la Garde républicaine puis à Constantine.
Le gendarme à pied corse né à Tolla en 1851 vit là en famille avec son épouse Marie Catherine et leur fille Précieuse, couturière, née le 14 mai 1871 à Ucciani.
La jeune fille n’aura sans doute pas résisté aux yeux bleus du jeune gendarme… La permission de contracter mariage accordée par les autorités militaires, les jeunes gens s’épousent le 7 mars 1888 dans la grande salle de la mairie à Constantine entourés de collègues gendarmes. Point de famille venue des Deux-Sèvres. Les voyages coûtent cher… 6 mois plus tard, le 28 septembre 1888, Pierre, le frère aîné, meurt à Soignée à 36 ans… Victor n’a sans doute pu venir accompagner les siens. Le maigre salaire du jeune gendarme n’y aurait suffi d’autant que Précieuse attend un enfant qui va naître le 16 décembre 1888 dans le quartier Sainte-Anne de Bône, au domicile des parents de la jeune femme. Il portera les prénoms de son grand-père paternel, Alphonse et de l’oncle disparu trois mois plus tôt, Pierre.

La vie s’installe dans et autour de la caserne dans ce décor algérien, tellement loin des Deux-Sèvres. Le petit garçon ira à l’école communale de la rue Petit à Constantine puis au lycée Aumale.
Le 10 août 1894, c’est Marie Modeste, maman de Victor qui meurt chez sa fille et son gendre, Grand’ Rue à Champdeniers. Le petit Alphonse n’aura pas connu ses grands-parents paternels.
L’éloignement n’a sans doute pas permis à Victor d’accompagner sa mère et sa famille, Absent au moment de la succession en octobre de la même année, quelle correspondance ont-ils pu avoir tout au long de leur vie respective ?
En 1896, Victor passe dans la réserve de l’armée territoriale et obtient la médaille militaire par décret du 27 décembre 1897.
Autorisé à se retirer dans ses foyers en juillet 1903, il se retire à La Calle, au Cap Rosa – quartier de Constantine – en août 1903.
Le fils unique dont Victor et Précieuse seront de toute évidence très fiers sera militaire et terminera sa carrière Maréchal de France. Comme ses parents, il s’est marié à Constantine et y a fondé famille.
D’aucuns ont écrit de nombreux ouvrages sur le fils et n’ont pas manqué d’y adjoindre quelques notes sur Victor,
« Le père d’Alphonse Juin, un homme simple, discret et rigoureux, se montre particulièrement attentif à l’avenir de son fils. Pour lui permettre de poursuivre ses études, Victor Juin, placé en retraite de la gendarmerie, continue de travailler. L’ancien gendarme obtient une place d’appariteur au tribunal de commerce de Constantine. » (1)
« … sous son modeste uniforme, était un homme de grande clarté de vues et de jugement sûr. Lecteur passionné, il s’était formé lui-même, il avait beaucoup appris dans les livres sur lesquels il était constamment penché. Il était parvenu à une grande culture, à une véritable érudition, dont restaient surpris tous ceux qui l’approchaient. » (2)
Précieuse mourra à Constantine boulevard Victor Hugo le 1er juin 1939, suivie de près par Victor le 28 novembre 1940, leur fils étant à cette époque prisonnier de guerre, incarcéré à la forteresse de Königstein.
Sont-ils restés en terre algérienne ?
Nous n’avons à ce jour aucune information sur le lieu de sépulture de Victor et Précieuse.
Début des années 90, c’est un des arrière-petits-fils de son frère Noël qui inaugurera la place du Maréchal Alphonse Juin à Champdeniers, place précédemment appelée Place de la République.
Un remerciement particulier à Brigitte Snejkovsky pour son aide précieuse.
Histoire et patrimoine des gendarmes – Benoît Haberbusch – SHD (1)
GAMT : Association généalogique Algérie Maroc Tunisie
Général Chambe : Le maréchal Juin, duc du Garigliano 1983 (2)
Histoire des communes des Deux-Sèvres – Val de Sèvre – Maurice Poignat – Michel Fontaine éditeur
Musée de la gendarmerie – Melun
Sœurs Clarisses de la Visitation – Tarascon
Carte Cassini Cartes postales – Collection personnelle
Belle histoire de famille
J’aimeAimé par 1 personne
Une histoire très bien racontée. La fin a été une surprise.
J’aimeAimé par 1 personne
Une migration inattendue, c’est une belle histoire qui m’a donné envie de rechercher la biographie d’Alphonse Juin.
J’aimeAimé par 1 personne