Z comme Zingreau

Un texte de Jeannette CHESSÉ

C’est ainsi que le notaire Pierre Duguet de Québec orthographie le patronyme de Charles Gingreau (Gingra en patois poitevin) lors de son contrat de mariage passé le jeudi 17 octobre 1675 avec Françoise Amiot. Du côté de l’époux sont présents son frère Sébastien Gingras, arrivé au Canada quelques années avant lui et le beau-père de celui-ci. La famille de Françoise Amiot y est installée depuis plus longtemps, on signale sa présence dès 1636. C’est une famille originaire de Picardie, et en s’alliant avec cette famille, Charles Gingras entre dans une famille au « statut considérable », car « le fils aîné est interprète pour les Jésuites, le cadet est marchand, bourgeois et notable de Québec, et le père Mathieu Amiot est sieur de Villeneuve et a acquis au fil des ans de nombreuses propriétés foncières ».

Mais revenons à Charles Gingras. Parti de Saint-Michel-le-Cloucq, bourgade vendéenne, il est arrivé dans sa nouvelle patrie très certainement en 1669, et « engagé » il doit faire ses « trente- six mois » . Un « engagé » est un émigrant sans ressources qui ne peut payer les frais de sa traversée et donc signe avec un « passeur » ou « engagiste » un contrat par lequel il promet de le servir aux colonies pendant trois ans. Le passeur avait droit de disposer de son engagé et aussi de le céder à un tiers selon son gré ! Les engagés pour la Nouvelle-France étaient en majorité des laboureurs (à bœufs ou à bras) au service des seigneurs, car il y a déjà plus de cinquante seigneuries concédées au Canada au XVIIe siècle. Le 22 septembre 1671, il se rend chez le notaire accompagné de Jean Juchereau, sieur de Maur et seigneur du Cap-Rouge, qui lui concède une terre de trois arpents de front (175 mètres) le long du fleuve Saint-Laurent, sur trente arpents de profondeur (1 755 mètres) soit une surface de 30 hectares avec droits de pêche et de chasse. De plus, il consent à payer au seigneur les seize livres et six sols de cens et rentes que lui devait le premier concessionnaire de la terre de qui il obtient une promesse de vente par billet le 19 juillet 1670. Ce détail nous révèle que les trente-six mois de Charles Gingras lui laissaient du temps libre puisque dès 1670, il peut faire « les essouchements sur sa nouvelle terre ».

Quand Charles Gingras se marie, le mardi 5 novembre 1675, il est âgé de trente-quatre ans et Françoise Amiot en a seulement quinze ! Mais à cette époque, les filles se mariaient très jeunes et c’est en partie ce qui explique les familles nombreuses au Canada. Douze ans après leur mariage, les époux Gingras ont six enfants. Huit autres petites têtes se succèderont dans le berceau familial, une couronne de quatorze beaux joyaux. Notons en passant une faible mortalité chez les Gingras. Alors que les morts de nourrissons et de jeunes enfants étaient fréquentes au XVIIe siècle, pas un seul des quatorze enfants de Charles et Françoise ne mourra au berceau !

Charles Gingras est installé aux Roches-Saint-Augustin de la seigneurie de Saint-Maur et Raymond Gingras, généalogiste reconnu au Québec, leur descendant à la  huitième génération est fier de dire que  « la terre ancestrale fut occupée par un descendant de 1671 à 1965, soit durant huit générations !  » Avec Françoise, ils auront donc une nombreuse descendance !

Il n’en est pas de même pour son frère Sébastien qui meurt jeune, à 50 ans, dont la descendance s’éteint « dans les mâles à la troisième génération ».

Actuellement, il est impossible de dénombrer les Gingras en Amérique du Nord avec précision. Du Canada aux États-Unis, on arrive à un estimé d’environ 20 000 personnes du nom de Gingras : 12 000 au Québec, 3 000 dans les provinces canadiennes et 5 000 aux États-Unis. Bien sûr, le patronyme s’est transformé, américanisé et l’on trouve des descendants qui se nomment Gingraw , Gangrow , Jangraww , Jangrow , Gangraww…

Le nom de Gingras a été honoré un peu partout en Amérique du Nord, particulièrement au Québec pour rappeler le souvenir d’une famille pionnière ou en l’honneur d’un cousin plus célèbre. Aujourd’hui, le nom Gingras est gravé sur des édifices et désigne des routes, des rues et avenues, des montagnes, des lacs… Le hall Gingras de la Faculté de médecine de l’Université Laval (Sainte-Foy) fut nommé en 1972 en souvenir d’un ancien doyen, le docteur Rosaire Gingras. En 1856, le bureau de poste Gingras desservait les citoyens de la nouvelle paroisse de Saint-Apollinaire.

La petite stèle qui existe toujours, a été érigée sur la terre lors du grand rassemblement familial de 1960

Quand Raymond Gingras, généalogiste, a voulu rechercher des cousins de France, il s’est adressé aux Gingreau de Boismé. Mais le grand handicap à Boismé, c’est qu’il n’y a pas d’archives avant 1800 car pendant les guerres de Vendée, les colonnes infernales de la Révolution française commandées par le général Westerman ont brûlé le bourg et ses archives le 3 juillet 1793. Cependant, on a pu retrouver les années 1629 à 1664 échappées des flammes. Seront-elles utiles, nous le verrons plus tard !

La grande question reste : les Gingreau de Boismé ont-ils des liens avec les émigrés au Canada ? Rien ne peut le prouver. Les Gingreau de Boismé descendent tous du même ancêtre : Janvier Valentin, décédé le 3 octobre 1803 à 65 ans, mais là s’arrête nos connaissances. Cependant, j’ai envie de vous livrer trois indices qui me font réfléchir :

  • Sur les registres de Boismé échappés de 1629 à 1664, aucun nom  Gingreau ne paraît, où est cette famille à cette époque-là ?
  • Raymond Gingras qui ne s’intéressait pourtant qu’aux mâles de la famille a correspondu avec une de mes tantes religieuses, sans doute par respect pour son état, pendant quelques années car celle-ci s’était fait connaître et lui avait indiqué que sa congrégation avait de nombreuses communautés au Québec. Ainsi, il lui a envoyé la liste de tous ses parents, ancêtres, qui ont embrassé la vie religieuse, nombreux sont-ils et avec des responsabilités à chaque génération ! On y trouve d’ailleurs trois prélats et lui-même a trois tantes religieuses ! À Boismé, point de tout cela, à part la famille de mon grand-père Henri Gingreau qui eut sept enfants, un fils et six filles dont les trois plus jeunes partirent au couvent ! Y a-t-il dans certaines familles des aspirations qui se perpétuent de génération en génération ? À chacun de se faire une opinion.
  • Enfin, dernier indice, il y a une vingtaine d’années, à la dernière page de La Nouvelle République que nous recevons quotidiennement, un article sur trois colonnes a attiré mon attention. On y parlait d’un dénommé Gingras, Canadien, escroc notoire, qui avait sévi sur la Côte d’Azur… Comme quoi tous les Gingras ne sont pas des saints. Il y avait sa photo d’identité et ce qui m’a frappée, c’est son visage, sa ressemblance avec un de mes cousins germains Gingreau : même coupe de visage et même implantation des cheveux au-dessus du front…

Voilà, nous ne savons toujours pas si nous descendons d’une même lignée. Raymond Gingras est décédé il y a deux ans, et il a voulu que ses cendres reposent en terre poitevine. On peut le retrouver dans le cimetière de Saint-Michel-le-Cloucq d’où sont partis ses ancêtres : en 1659 pour Sébastien, et en 1669 pour Charles. 

P.S. Je me suis servie du livre qu’a fait éditer Raymond Gingras « Charles Gingras et Françoise Amiot » ses ancêtres directs, envoyé à cette tante religieuse dont j’étais la filleule et j’ai aussi pioché dans un petit topo qu’a écrit un cousin par alliance Georges Grellier qui s’intéresse toujours beaucoup à la question et qui est marié à une petite-fille d’Angeline Gingreau de Boismé bien sûr ! 

10 commentaires sur « Z comme Zingreau »

  1. Mille mercis pour cet article très intéressant.
    Les registres miraculeusement sauvés de BOISME pour 1629-1664 sont-ils consultables?
    Y figurent-ils des FOUCHEREAU et des RAMBAULT?

    D’autres mercis au cas où vous pourriez m’aider sur ce point.
    Bien cordialement

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