Le 6 janvier 1709, jour de l’Epiphanie, le début du « Grand Hyver de 1709 »

Les lectures de plusieurs éphémérides de blogs auxquels je suis abonnée m’ont donné l’idée d’écrire cet article sur le 6 janvier 1709, début du Grand hiver 1709. Raymond a déjà écrit en 2019 un article sur ce sujet sur son blog « l’arbre de nos ancêtres », mais l’article étant quasiment terminé quand je l’ai appris, j’ai décidé de le publier quand même.

L’hiver de 1709, appelé « Grand Hyver de 1709 », fut un épisode de froid intense en Europe, qui marqua durablement les esprits car il provoqua une crise de subsistance qui entraîna une famine. Cet épisode commença brutalement le jour de l’Epiphanie 1709, fête des Rois, par une soudaine vague de froid qui frappa l’Europe entière :

-En 24 heures cette vague de froid s’étendit sur toute la France : on releva ainsi -25°C à Paris, -17°C à Montpellier ou encore -20,5°C à Bordeaux ! La Seine gela progressivement et on raconte que la mer elle-même commençait à geler sur plusieurs kilomètres de largeur.

-Puis à toute l’Europe : On pouvait aller à pied du Danemark en Suède. Le Zuyderzee fut totalement gelé et même, ce qui ne s’était produit qu’en 1234, tous les canaux et la lagune de Venise furent pris par les glaces.

Venise – Le lagon gelé en 1709, par Gabriele Bella

En France, cet hiver fut particulièrement cruel. À Paris, les températures furent très basses (Paris n’en connaîtrait de plus basses que bien plus tard notamment en décembre 1879). Les régions du Sud et de l’Ouest de la France furent sévèrement touchées avec la destruction quasi complète des oliveraies et de très gros dégâts dans les vergers. De plus, l’événement prit la forme de vagues de froid successives entrecoupées de redoux significatifs. Ainsi, en février, un redoux de deux semaines fut suivi d’un froid assez vif qui détruisit les blés et provoqua une crise de subsistance.

Le froid n’épargnait personne, et que ce fut à Versailles ou dans la plus petite chaumière de la France profonde, tout le monde grelottait. Entre 600 000 et 800 000 personnes moururent en France à la suite de ces intempéries, que ce soit du froid, de la famine ou des épidémies particulièrement meurtrières sur une population sous-alimentée. La mortalité fut aggravée par la situation économique précaire engendrée par la Guerre de succession d’Espagne.

Chronologie des évènements

-6 janvier : Début de la vague de froid. La Seine gèle. Les intempéries rendent le ravitaillement de Paris impossible pendant trois mois.

-13 janvier : Température record à Paris avec -23.1°C.

-20 janvier : Dixième jour consécutif où la température est inférieure à -10°C à Paris. Record jamais battu. Record de -26°C à Paris. 24 000 morts de froid à Paris durant le mois de janvier.

-15 mars : Début de la spectaculaire débâcle de la Seine générant une importante inondation rendant encore impossible le ravitaillement de Paris.

-Fin mars : Dégel après le « Grand Hiver ». Presque tous les cours d’eau français ont gelé et même l’océan Atlantique fut pris par le gel le long des côtes françaises! Nombreuses « émeutes de la faim ». Point culminant de l’impopularité de Louis XIV en France.

-5 avril : Bloqué par les rigueurs de l’hiver, Paris est approvisionné pour la première fois depuis trois mois.

-12 juin : Appel de Louis XIV au peuple qui est lu dans toutes les églises du royaume. L’appel est entendu et l’effort de guerre est maintenu malgré l’urgence de la disette.

-20 août : Emeute de la faim à Paris. La troupe fait feu sur la foule et la ville est mise en état de siège.

Certains curés notaient ces événements marquants dans leurs registres paroissiaux : plusieurs curés des Deux-Sèvres ont raconté l’hiver de 1709, chacun à leur façon. Pour cet article, j’ai puisé dans notre inventaire des curiosités des registres des Deux-Sèvres : Pamproux, Fenioux, Ménigoute, Germond, la Boissière-en-Gâtine, Chanteloup, Saint-Rémy, Pamplie et Thouars.

-Le curé de Pamproux relate cet épisode au début de l’année 1709, avec notamment ses conséquences tragiques :

AD 79 BMS 1700-1710 E DEPOT 30 / 2 E 197-2 VUE 076/089

Remarque

Le sixième janvier jour de dimanche et feste des roys de l’année mil sept cent neuf commença le grand froid sur les deux ou trois heures après midy après avoir fait de la pluye la matinée les neiges furent sur la terre depuis le mardi huitièsme jusqu’au mois de mars les froments les seigles et les noyers et châtaigniers gelèrent le froment valut onze livres tout le boiceau et le seigle huit livres le boiceau mesure de Pamproux on trouva a St-Martin un homme mort de froid [« un pauvre étranger passant mort de cette nuit » sur l’acte] qui fut inhumé dans cette paroisse le 13 janvier et plusieurs furent trouvé ailleurs.

-A Fenioux, le curé s’étend plus largement sur cet évènement avec un « Mémoire curieux pour la postérité » de deux pagesà la fin de l’année 1709 :

AD 79 BMS 1699-1721 12 NUM 23/4 Vues 157 et 158/274

Mémoire curieux pour la postérité

On regardera dans la suite des temps comme des

choses surprenantes, extraordinaires et mesme

impossibles, ce qui est arrivé dans la présente

année mille sept cent neuf par rapport à la rigueur

de l’hyver et aux gelées excessives qui

y sont arrivées et qui ont este la cause d’une

famine presque generale et qui ont produit des

pestes dont on se ressentira plus d’un siècle.

Premièrement on saura qu’autour de la feste

de Saint-Michel arcange 1708 le bled froment ne

vallait pas plus de vingt cinq sous le boisseau

mesure de chandeniers, le seigle quinze sous

la baillarge huit et le bled noir six, le vin

de paÿs quatre livres la barrique et celui de

Xaintonge huit mais il y eut en peu de temps

bien du changement tant par les séditions

populaires faites pour s’opposer à l’enlèvement et

transport des grains, que par les grands

froids qui ont commencé le jour des Rois de

cette présente année 1709 et qui ont duré autour

de six semaines, car presque tous les bleds

en ont été gelés et on peut compter pour

rien ce qui a resté, en telle sorte qu’on a

esté obligé de semer au printemps tout comme

si on n’avait point fait auparavant l’hyver

mais comme cette saison ne permet pas de mettre

en terre toutes sortes de grains on a eu

recours aux baillarges et bleds noirs, ce qui les

a fait valloir un prix pour ainsi dire

incroyables, puisque la baillarge s’est vendue

pour semer au mois de mars, avril et jusques

au quinze de may 1709 quatre livres et dix sous et

le bled noir vingt quatre livres le boisseau et

communement dix huit et vingt livres et au

mois de septembre suivant le froment a vallu

pour semer lorsqu’il était bon et nouveau dix

livres et le seigle cinq livres, et le reste de

l’année et mesme jusques à la récolte de l’année de

l’année mille sept cent dix qui est le temps

que j’écris le present mémoire il a vallu

le mesme prix ou du moins il y a eu tres

peu de diminution quoiqu’il y ait apparence

de la plus belle récolte en bleds que jamais

homme vivant ait vu pour ce qui est des fruits

on en espere tres peu, aussi bien que du vin

dans les pays voisins à cause de la gelée

arrivée le premier jour de may de cette

année 1710 mais la plus grande perte arrivée

par ce froid de 1709 apres

celle de bleds et dont on se ressentira plus

que mémoire d’homme est à l’egard des

chataigniers noyers qu’on peut dire avoir entièrement été

détruits et principalement les plus grands

et le plus vieux dans le pays de Gastine

tous les genets et ageons ont été gelés

on attribue encore actuellement de l’adveu

des medecins et chirurgiens à cette geléee la cause

de la mortalité et du grand nombre des

maladies contagieuses qui regnent presentement

presque dans tout l’univers

-A Menigoute, le curé évoque aussi ce sujet dans son registre fin 1709 :

Depuis pasques et […] de l’année, le seigle a valu

sept livres le boisseau, la baillarge cinq livres dix sols

et même jusqu’à six livres et quelque chose au dela

à cause de la gelée qui commença le jour des Roys en cette

présente année et dura fort longtemps et si fortement 

que les bleds les oyseaux en grand nombre, les poissons en

plusieurs endroits périrent, et grande quantité d’arbres

morts sur le pied, et plusieurs personnes qu’on a trouvé

mortes de froid.

Merito haec patimur quia peccanimus in

fratrem nostrum [1]

            1709   

[1] Nous sommes punis pour avoir offensé notre frère

-Le curé de Germond, lui, évoque la guerre de succession d’Espagne et cet évènement météorologique exceptionnel à la fin de l’année 1708 :

Lisle En Flandre a esté prise vers la

fin de l’Année dernière, elle a

Capitulé, avec Les alliez Mr de

Bouflers la deffendüe vigoureusement

au commencement de cette présente

année 1709 – Gand sest rendu

aux alliez – estant deffendu par le

Sieur de la Motte qui soutenu

quelques jours – au commencement de

cette année Le froid a este si rude

qu’il a gelé tous les arbres verds

ensemble Les ageons, genest et fendu

plusieurs chaines, noyers, sireziers

et autres, tué tous les petits oyzeaux

et nombre des gros tant domestiques

qu’autres, plusieurs animaux cochons

et brebis, Donné pour mémoire

Les peuples ont pillé les bleds sur les

chemins et dans quelques greniers

BMS 1699-1720 E DEPOT 2 / 2 E 129-2 vue 093/161

-A la Boissière-en-Gâtine, le curé évoque les conséquences économiques, à la fin de l’année 1709 :

AD 79 BMS 1693-1750 E DEPOT 128 / 2 E 40-2 Vue 107/334

Cette année a este des plus rudes qu’on

ait eu depuis le grand Cher temps et meme

plus rude selon le raport que nous en ont fait les

entiens qui l’auraient apris de leurs pères

tous nos blez on peri par la gelée aussi bien

que tous les noyers et tous les chatainiers les uns

entierement et les autres qui pousse au bridier [2] cest

adire que toutes les branches sont gelées qu’il faut

adocer [couper ras] pour tous

les noyers sont tous gelés on fera

seme de la voine qui fut la nourriture de la gastine

avec abondance de baillarge qu’on recueilli en plaine

dont le boisseau s’est vendu quatre livres mesure

de chandeniers et un escu mesure de Partenay

les pauvres ont souffert jusques a la mort et plusieurs

en ont esté entrrés  les ripes [navets] et choux on este

leur nourriture pendent six mois j’ay acheté pour

deux cent livres de blez y compris trois septiers pour

soixante et quinze livres

[2] Bridier = tronc en poitevin

-Le curé de Chanteloup évoque ce terrible épisode de façon très prosaïque et laconique dans son registre paroissial, à la fin de l’année 1709 :

AD 79 BMS 1701-1736 E DEPOT 189 / 2 E 68-3 Vue 095/318

« Il y a eu dans cette année 1709 quatre choses

tres remarquables Le grand froid, La disette

de grain par consequent La famine bien grande

plusieurs et grands impots et une très grande

guerre.

Et le pis de tout disette de vin »

C’est cet acte qui a les préférences de Raymond !

-Le curé de Saint-Rémy évoque, lui, les conséquences catastrophiques pour les paysans de ce froid violent qui dura trois semaines et qui commença le 6ème jour de janvier :

Le 6ème jour de janvier de la même année 1709

commença un froid si violent et qui continua l’espace de

trois semaines que homme vivant n’en a ressenti de semblable

les oyseaux disparurent presque tous comme les pinsons les

halouettes, perdrix courbeaux et aussi menus oyseaux, les blés

furent tous gelés. De sorte qu’il n’y eut pas la semence de froment

orge et seigle, cequ’il y eut pour vivre cest quau printemps on fit une

si grande quantité de baillarges et notamment sur les froumenteaux

qu’il y en eut assez pour faire vivre tout le monde, les vignes

se gelèrent aussy, tous les noyers excepté quelques petit furent

perdus, ce fut une grande perte pour les paysans car il y

avait une grande quantité dans ce bourg dont les paysans faisaient

de l’huile pour leur entretien Il y en avait six gros dans

le simetière qui périrent aussy comme les autres, le froment se

vendit cette année la jusque a trois cent cinquante livres fait

a St Remy ce dixieme decembre mille sept cent neuf

AD 79 BMS 1700-1709 E DEPOT 273 / 2 E 283-2 Vues 060 et 061/066

-Le curé de Pamplie, lui, écrivit plusieurs notes en marge de son registre :

* Au début de l’année 1709 :

AD 79 BMSA 1650-1730 E DEPOT 31 / 2 E 196-1 Vue 228/341

« Dans la présente année 1709, a fait le plus rude Hyver qu’on ait jamais veu, a fait nombre de plusieurs milliers de personnes qui en sont morts et presque tous les oyzeaux aussi »

 * Au mois de mars 1709, ces quelques mots sur le printemps qui se laisse désirer cette année-là :

L’arrivée du printemps

ne fait pas sentir cette

année icy comme les

autres l’agrément

qu’on avait coutume

d’y trouver il n’est

pas accompagné comme

a l’ordinaire de la

ils sont presque tous

du chant des petits

oyseaux parce que

douce harmonie

morts par la rigueur

et la longueur de l’hiver

AD 79 BMSA 1650-1730 E DEPOT 31 / 2 E 196-1 Vue 230/341

-Le curé de l’église Saint-Médard à Thouars relate également cet évènement :

« Le dimanche sixième jour du mois de janvier
de l’année suivante mille sept cent neuf
sur les dix heures du matin, il se fit un
froid si subit qui dura le reste du mois
lequel fut si grand que plusieurs personnes
néanmoins plus âgées en moururent
Venerable Messire Pierre Brillaud, prestre et
ancien curé de céans  et prieur de …
St la… notre prédécesseur et les deux
… et notre frère … agé de
soixante dix huit ans moins quinze jours
a sentit ses effets, le mardi suivant
huitième jour dudit mois de janvier mil
sept cent neuf à six heures du matin il
mourut après avoir reçu les sacrements, ayant
este malade pendant deux nuits. Ce froid se fit
ressentir non seulement aux hommes mais
encore aux animaux aux plantes et aux arbres
et aux vignes et aux bleds. »[3]

AD 79 BMS 1711-1715 12 NUM 54/14 vue 067/284

[3] Merci à Marguerite Morisson pour son aide pour la lecture de cet acte.

**********

Si lors de vos recherches dans les registres paroissiaux, les minutes de notaires …, vous trouvez des actes insolites, des notes ou des textes se rapportant à :

-des considérations diverses :  événements météorologiques, récoltes, prix des denrées, épidémie, séisme, situation nationale, internationale

– des actes religieux insolites : bénédiction de cloches/cimetières/églises …

– des décès circonstanciés

– des records

– des dessins, poèmes

…etc.

Merci de nous les signaler, ils viendront alimenter notre inventaire des curiosités des registres des Deux-Sèvres.

**********

Sources :

Wikipedia : Grand hiver de 1709

Notre Site Genea79 : Accueil/Histoire/Nos Recherches/inventaire des curiosités des registres des Deux-Sèvres

Actes : Site des Archives Départementales des Deux-Sèvres

Blog l’arbre de nos ancêtres : https://arbredenosancetres.fr/2019/01/14/il-y-a-310-ans-le-grand-hiver-en-deux-sevres/ 

3 commentaires sur « Le 6 janvier 1709, jour de l’Epiphanie, le début du « Grand Hyver de 1709 » »

  1. Comme quoi… rien de nouveau de nos jours finalement ! Mais nous, nous avons le confort… ça a dû être terrible !
    Merci pour ce message très intéressant. Bonne soirée et… mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année! Isabelle

    Aimé par 1 personne

  2. MERCI BEAUCOUP POUR ce Très excellent article , très intéressant , formidable ces extraits des registres paroissiaux. Ce « grand hyver 1709  » est évoqué aussi dans l’ouvrage encore disponible en librairie de Marcel Lachiver ‘ Les années de misère , la famine au temps du Grand Roi’ éditions Fayard.

    Aimé par 1 personne

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