Écrasé par sa charrette

Un texte de Mauricette Lesaint.

Sur le site de Généa79, dans les curiosités des registres des Deux-Sèvres, voici un décès  circonstancié qui concerne le beau-frère de mes sosas 424 et 670. Ces «faits divers » sont une fenêtre ouverte sur la vie de nos ancêtres.

AMAILLOUX, 16 juillet 1754  écrasé par sa charrette BMS 1723-1769, vue 312/475

Voici la transcription de cet acte paroissial d’Amailloux du 16 juillet 1754, écrit par le prêtre TUZELET.

« Le seize de juillet 1754, a été inhumé dans le cimetière de cette paroisse le corps de Louis GERMON métaier de la métairie de la Breviere paroisse de Boussais, âgé d’environ cinquante ans décédé du jour précédent dans cette paroisse, la charrette qu’il conduisait l’aiant écrasé dans le chemin d’Amailloux à Villeneuve… »  

L’accident de Louis GERMON, ça a dû faire causer à la sortie de la messe du dimanche à Amailloux.  Comme chaque dimanche, y’a du monde à la messe. C’est là que circulent les nouvelles. On ne cause pas du roi de France, Louis XVI vient pourtant de monter sur le trône.  Non, Paris, c’est trop loin. On cause de l’accident de Louis GERMON. Les conversations sont en patois bien sûr, avec ces intonations si caractéristiques qui ont bercé mon enfance.

Louis GERMON, tout l’monde en a entendu parler. Il est marié avec la Renée, la fille des défunts Jacques SERVANT et Louise BERNARD. Elle est la sœur d’Antoine, charbonnier  et de Louis, bordier et puis la demi-sœur de l’autre Renée, celle qui est mariée avec Pierre RIFFAULT lui aussi charbonnier. Les beaux-frères habitent tous sur Amailloux. Lui, Louis GERMON, il est métayer à la métairie de la Brévière de Boussais,  à environ deux lieues.

On connaît la date de l’accident, c’était le 15 juillet 1754. Les foins sont déjà rentrés, les moissons sont commencées. On connait le lieu, Louis GERMON était sur le chemin d’Amailloux à Villeneuve, peut-être le même chemin que celui emprunté par maman pour aller à l’école, 180 ans plus tard. Il y conduisait sa charrette, et c’est sa charrette qui l’a écrasé ! On ignore tout le reste.

« Pauvre gars ! C’est-y Dieu possible de finir comme ça, écrasé par sa charrette !
– Est-ce qu’on sait comment ça y est arrivé ?  Que faisait-il sur ce chemin ?
– Il est peut-être allé chez l’Antoine, ou chez un Louis, ses beaux-frères à cause de sa femme, ils sont bordier ou charbonnier, tous sur Amailloux.
– C’était peut-être le soir alors qu’il revenait chez lui à la Brévière.
– Qu’est ce qu’il transportait dans sa charrette ? du foin, de la paille ou du charbon de bois, pour que la Renée cuisine ?
– Sa charrette devait être trop chargée ou mal chargée ?
– La charrette a peut-être pris une ornière ou versé dans le fossé ?
– Il est pas bon ce chemin, comme tous les chemins de la paroisse.
– sauf ceux du château…
– La bête qui tirait sa charrette est peut-être bien vieille et fatiguée ?
– A la fin de la journée, tout le monde est fatigué, les bêtes et les gens.
– Est-ce qu’il était tout seul ?
– C’est sa pauvre femme qui va être bien seule avec ses gosses.
– Le plus grand doit bien avoir vingt ans.
– Tant mieux, il va pouvoir faire à la métairie. »

Questions , réponses et suppositions se bousculent.

La sépulture de  Louis GERMON eut lieu dès le lendemain à Amailloux, la sépulture  a toujours lieu dès le lendemain. Ont assisté à la sépulture le beau-frère Pierre RIFFAULT  et un neveu Jean, fils d’Antoine SERVANT, les deux étaient charbonniers.

On ne sait si sa femme Renée est venue. Elle décédera à Boussais en mars 1771, 17 ans plus tard, non remariée.

K comme Kaléidoscope pour 7 sœurs

Un texte de Mauricette Lesaint

Ce kaléidoscope contient des actes paroissiaux et des actes d’état civil, fragments de vie des sept sœurs. L’Histoire va le secouer et vont apparaître des actes SAGES ou FOUS.

Pour ne pas perdre le fil, j’écris le prénom des sœurs suivi du N° d’ordre, j’ajoute quelques tableaux, et tous mes commentaires sont en italique.

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Chut ! Écoutons ces vieux écrits ! Tout commence le 14 octobre 1755 à Maisontiers, par le mariage de Jacques MIOT, laboureur et Françoise RENAULT ; ils ont juste vingt ans. C’est à Verrines de Gourgé, sur la rive gauche du Cébron, qu’ils s’installent et que naissent leurs enfants : Sept filles et seulement des filles ! Deux filles s’appellent Françoise comme leur mère, les cinq autres ont pour premier prénom de baptême Marie. J’ai déjà rencontré à Gourgé des prénoms en plusieurs exemplaires dans une même fratrie. J’ai ouï dire qu’ainsi, le diable ne s’y retrouvait pas. Quand Françoise la maman meurt le 20 avril 1778, la dernière, Françoise7, n’a que deux ans. Le père se remarie deux ans plus tard.

Puis est venu le temps des mariages ! 

Marie Magdelaine3 est peut-être décédée bébé, elle n’a laissé aucun acte. Les époux Jean et François ROUSSEAU sont frères, Jean et René BISLEAU sont aussi frères. Marie Anne5 meurt à 21 ans, le 18 décembre 1789, treize mois après son mariage. Début 1794, le remariage du père à nouveau veuf est le même jour que le mariage de Françoise7. Elles sont âgées de dix-huit à trente-sept ans. Marie1 l’aînée porte son septième enfant. Françoise2 et Marie Magdelaine4 en ont trois. La famille est toujours regroupée à Verrines de Gourgé et Jaunasse de Louin, deux hameaux voisins près du Cébron. Tout semble calme autour des sœurs…

Pourtant de lourds nuages se sont accumulés. Les guerres de Vendée, cette terrible guerre civile, ont embrasé la région. Dans les pages d’Histoire de ce coin de Gâtine se côtoient les écrits des belligérants. La femme du général vendéen Lescure raconte : « Il y avait à Amaillou, … un petit rassemblement de paysans qu’on avait formés pour la sûreté du pays ». Les 14 et 23 juin 1793, c’est d’Amailloux que sont lancées les prises de la ville de Parthenay. Westerman précise qu’il prend et reprend Parthenay les 20 et 30 juin et incendie Amailloux le 1er juillet.

Tout SEMBLE calme autour des sœurs ? L‘acte de naissance du petit Jean, fils de Marie Magdelaine4, le 28 mai 1793 dément ! C’est Françoise2 et son mari qui déclarent l’enfant à la mairie de Louin. Le père « François LAGARDE, bordier, leur voisin et beau-frère, ne pouvant agir, les avait chargés d’apporter son fils dont Marie MagdelaineMIOT sa légitime épouse est accouchée de ce matin ».   

L’officier public de Louin a inscrit sur 37 des 41 actes de naissances de 1793 « père ne pouvant agir », la même formule que pour François LAGARDE. En 1792 déjà, aucun père ne déclare son enfant, ils sont tous « absents »… Où sont les pères de cette commune ? Où est donc François LAGARDE ? Jaunasse est à deux lieues d’Amailloux. Est-il un de ces « hommes formés pour la sûreté du pays » ?

François LAGARDE, lui qui n’a pu déclarer la naissance de son fils le petit Jean, décède à l’infirmerie du Château de Niort le 16 février 1794 (28 pluviôse an second). Sa femme, Marie Magdelaine4 est veuve à 28 ans, mère de trois jeunes enfants.

Vite les registres, poursuivez ! Marie1 et Françoise7 accouchent de Louis et Marie Jeanne, les maris déclarent les naissances les 20 février 1794 et 20 mai 1795 à Gourgé. Et… elles quittent brusquement Verrines et Jaunasse ! Entre le 4 juin et le 18 août 1795, les sœurs sont à Boismé. Le registre de catholicité atteste leur présence. Y sont inscrits les baptêmes des deux bébés, Louis et Marie Jeanne. Y sont aussi inscrits, le mariage de Françoise7 avec René BISLEAU et le remariage de Jacques MIOT le père dont les actes civils ont été enregistrés à Gourgé le 21 janvier 1794. Le dernier acte de Boismé est le mariage de Marie Magdelaine4 veuve de François LAGARDE avec Mathurin GAUFRETEAU. Les sœurs et les trois beaux-frères René BISLEAU, Jean et François ROUSSEAU sont les témoins cités dans ces actes. Seuls, Marie Jeanne6 et son mari en sont absents.  
Cinq lieues séparent Verrines et Boismé qui fut le lieu de résidence du marquis de Lescure cité ci-dessus.
Pourquoi avoir attendu 18 mois pour baptiser Louis et faire bénir ces mariages ?  Les sacrements ont-ils été donnés une première fois par un prêtre assermenté puis renouvelés par un prêtre réfractaire ?

Peu à peu, la région s’apaise. La famille retrouve Verrines. Pas un mot sur Marie Jeanne6 depuis son mariage le 4 février 1794 jusqu’à cette date du 18 octobre 1795, quand meurt sa fille « naturelle » âgée de trois semaines à Verrines. Son mari Jean MIOT ne reconnaît donc pas cet enfant ! À Louin, le 7 septembre 1796 (21 fructidor an quatre), Marie Jeanne6 et Jean MIOT exposent que « depuis leur mariage, n’ayant pu jouir de la paix par incompatibilité de caractère, ils ont vu avec plaisir paraître la loi du divorce », cette loi du 20 septembre 1792 qui décrète la laïcisation de l’état civil et l’autorisation du divorce.  Marie Jeanne6 a 20 ans quand le divorce est prononcé le 4 brumaire an cinq (14 novembre 1796).  Les témoins sont toujours les trois beaux-frères. Le 30 mars 1797, Marie Jeanne6 a encore un enfant naturel reconnu par Pierre LEBLANC. Le mariage de Marie Jeanne6 et Pierre est enregistré un an plus tard à Gourgé, le 14 juin 1798. Ils auront six enfants qui mourront tous jeunes, aucun ne se mariera.

Le 29 juillet 1798, Marie1 ma sosa 33 met au monde son 9e et dernier enfant Pierre René, mon sosa 16. Le 14 novembre de la même année s‘éteint à 63 ans Jacques MIOT, mon sosa 66, le père. Parmi les neuf enfants de Marie, huit se marieront. Que de petits-cousins à venir !

Après la mort du père, les sœurs quittent toutes Verrines ⭐0
Marie1 et Jean s‘installent dans le hameau de Billy de Maisontiers ainsi que Marie Magdelaine4 et Mathurin. ⭐1-4
Marie Jeanne6 et Pierre se fixent au Bas-Mazière de Lageon ⭐6.
Les deux Françoise vont s’éloigner du Cébron. On suit Françoise2 et François avec les actes de mariage de leurs filles. Après Chiché et Geay, ils s’arrêtent enfin à la Boureliere de Luché-Thouarsais ⭐2.
Quant à Françoise7 et René, ils arrivent à la Brosse de Saint-Varent ⭐7 en 1804. René y meurt quatre ans plus tard. Françoise7 est veuve à 31 ans, mère de trois jeunes enfants. Elle attend dix ans pour se remarier avec Pierre DUBALLET. C’est lui qui déclare leur fils Louis né à la Brosse de Saint-Varent le 7 juillet 1817. C‘est le dernier mariage et la dernière naissance enregistrés.

Voici les couples en novembre 1815 :

Les derniers murmures des registres annoncent les décès : 

le 6 mai 1816, Marie Magdelaine4, 51 ans, à Niort,
         le 21 mars 1828, Marie Jeanne6, 56 ans, au Bas-Mazière de la Boissière-Thouarsaise,
                   le 28 octobre 1831, Marie1, 74 ans, à Billy de Maisontiers,
                            le 13 mai 1835, Françoise2, 75 ans, à la Bourelière de Luché-Thouarsais,
                                         le 9 mai 1852, Françoise7 , 76 ans, aux Brosses de Saint-Varent.

Marie Madeleine4 meurt à Niort cinq mois après son mari. Françoise2 est veuve depuis sept ans. Françoise7, la dernière des sept sœurs, s’éteint en 1852 à Saint-Varent, longtemps après son mari, dont l’acte de décès est rédigé en 1834 à Fontevrault.

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Les registres ont raconté la vie de ces sœurs, pendant près d’un siècle. Mais ils n’ont pas tout dit ! Les actes sont secs, ils indiquent les dates, les lieux, citent des personnes…  Mais il reste tant de questions ! Pourquoi tant de pères absents ou « ne pouvant agir » à Louin ? Pourquoi des actes de catholicité à Boismé quand on habite les communes de Gourgé ou Louin ? Pourquoi l’éloignement des sœurs qui ont vécu si proches ! Pourquoi des actes de décès à Niort, à Fontevrault ?  

Les registres n’ont rien dit des souffrances de Marie Magdelaine4, femme battue, dont la vie bascule une nouvelle fois, une nuit de décembre 1815. La Cour déclare que Magdelaine MIOT, « le 9/12 dernier vers 3 heures du matin, ayant été violemment menacée par le Sieur GAUFFRETEAU, son mari qui était rentré dans la nuit en état d’ivresse complète, et avoir attendu qu’il soit endormi, » pour « provoquer sa mort » … Le procureur du roi écrit : « Cette malheureuse femme a été poussée au désespoir par la mauvaise conduite et les mauvais traitements de son mari ». Mais la femme dépend de son mari. Rien ne la protège. Des hommes la jugent, ne lui accordent aucune circonstance atténuante. Marie Magdelaine4 est condamnée à mort le 14 mars 1816 et guillotinée le 6 mai 1816, à 10 h 30, sur la place de la Brèche à Niort.

Les registres n’ont rien dit non plus sur Françoise7. Elle est toute seule quand son mari Pierre DUBALLET est emprisonné à Fontevrault dans la « prison la plus dure de France, où un prisonnier sur sept a laissé sa vie ». Pierre DUBALLET « enfant trouvé sur le ballet de l’église de Saint-Jean-de-Thouars » sur son acte de baptême, est dit « Bâtard » sur son acte de décès transmis de Fontevrault à Saint-Varent.  J’ignore l’objet de sa condamnation.

 Alors, j‘imagine… J‘imagine ces sœurs, soumises, comme c’était la règle, à l’autorité du père, du mari, de l’église. Je les imagine dans toutes leurs tâches de femmes… Je les imagine désemparées par la mort de Marie Anne5 peut-être due à une grossesse ou un accouchement difficile. J’imagine Françoise2 près de Marie Magdelaine4 qui accouche avec un mari absent, et qui sera bientôt veuve… Je les imagine s‘entraidant encore et encore quand elles suivent en 1795 père et maris, tirant les enfants, portant les bébés, entre Verrines et Boismé en région insurgée. J‘imagine Marie Jeanne6 enceinte, désirant les suivre. J’imagine Françoise7 qui accueille Marie Jeanne6 avec ce bébé mourant. J’imagine Marie Jeanne6 qui divorce soutenue par les sœurs et beaux-frères. J’imagine la détresse de Marie Magdelaine4 face aux violences du mari. Et je les imagine face aux rouages de la justice…

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Quand Jacques MIOT et Françoise RENAULT ont vu naître leurs filles à Verrines, auraient-ils pu imaginer ces vies ? Victimes des guerres de Vendée, de la violence et de la justice des hommes, quel courage ces sœurs, épouses et mères, ont-elles dû déployer ! Mais… quels furent réellement leurs choix ?
Quand j’ai croisé Marie1 dans mon arbre, c’était « seulement » l’aînée d’une fratrie, prenant mon nom en se mariant, mère de neuf enfants, ayant vécu près de mon Ripère… et c’était déjà beaucoup !

Y comme : Y’a des guenilloux à Amailloux

Celle qui rédige aujourd’hui notre billet, Nat, écrit régulièrement sur son blog intitulé « Parentajhe à moé ». Elle y parle avec beaucoup d’émotion de ses aïeux qui, pour la plupart, ont vécu en Gâtine. Nat est aussi administratrice du groupe Facebook « Généalogie : la boîte à outils pour tous » : un groupe très convivial, de plus de 3 000 membres, où chacun peut trouver et apporter des infos et de l’entraide.

guenillou1« Qu’est-ce que je m’ennuie ! … Tu parles d’une vie ! …

Ce n’est pas que je n’aime pas ces quatre murs, au contraire, au moins je ne vois pas les autres et je suis tranquille, mais parfois j’aimerais sortir, respirer l’air pur et profiter de grands espaces. J’entends dire autour de moi qu’il ne faut surtout pas que je sorte, que je suis trop fragile et patati et patata, tu parles ! J’ai de la force, moi ! Ne dit-on pas que je suis de la « grande espèce » ?

Mais ils sont tous têtus comme des mules, tout le monde s’imagine que je vais attraper « la mort » juste en sortant ! Je voudrais bien les voir à ma place…

Bon, si ! Il y en a un qui est sympa. Il vient me mettre de petites tapes dans le dos de temps et temps, mais surtout c’est lui qui me donne à manger ! Un ancêtre de Nat, vous savez celle qui fait parler ses aïeux… Drôle d’idée, je trouve, mais bon.

René COLLIN qu’il s’appelle. Y’a son fils aussi, François… Tous les deux s’occupent de moi mais parfois j’aimerais bien qu’ils me lâchent un peu « la grappe ». Qu’ils aillent voir un peu les membres de l’autre sexe qui, ELLES, ont le droit de sortir évidemment !

Soyons honnête, il m’arrive de prendre l’air ou plutôt de juste changer de pièce et là, j’ai intérêt à être au meilleur de ma forme ! D’ailleurs, je crois bien qu’on me garde et me préserve juste pour ces moments-là. C’est un peu horrible quand on y pense… Mais bon du coup, j’ai double ration au dîner et ça, c’est cool.

On m’a dit que j’étais sale et moche… Non mais « what the fuck »?! Bon d’accord, j’ai les cheveux longs et je ne les brosse pas, mais c’est mon style, c’est tout ! En plus c’est bon pour ma peau, ça la protège. Pourtant quand j’étais petit, on me trouvait tout mignon, tout mutin, tout doux et on me caressait les cheveux tout le temps.

Et d’ailleurs ! Vous savez comment on m’appelle ? Le GUENILLOU ! Ou pire encore, le BOURAILLOU ! Tout ça parce que je ne prends pas soin de mon apparence. Mais mon apparence, je n’en ai rien à faire, c’est ce qui permet de me reconnaître en un clin d’œil. Vous comprenez : je suis de noble race.

Et oui, messieurs-dames ! Car je suis un baudet du Poitou.

Sur ce, je vous laisse, j’ai faim ! Mais ne partez pas, hein !… Nat va vous raconter la suite, elle aime mes congénères, vous savez … Et elle en est bigrement fière, cette Poitevine ! »

Bien sûr que je suis fière de nos baudets du Poitou !

Cette race, que ce soit au XVIIIe siècle ou de nos jours, n’a jamais réussi à faire considérablement croître son nombre d’individus. Faite d’aussi peu de sujets, elle fait partie des rares espèces qui purent garder si longtemps une telle renommée.

Voici ce qu’en disait un mémoire publié par le conseil du Roi en 1717 :

« Il se trouve dans le Haut Poitou des animaux qui sont presque aussi hauts que les plus grands mulets, mais d’une figure différente. Ils ont presque tous le poil long d’un demi-pied sur tout le corps ; les boulets, les jambes et les jarrets presqu’aussi larges que ceux des chevaux de carrosses. On les tient à l’écurie séparément, dans des espèces de loges, attachés à des chaînes de fer ; on ne les fait sortir que pour saillir les juments. Ils sont pour la plupart, très vicieux et cruels. Si ces animaux se joignaient, ils s’étrangleraient … »

Élevé pour sa réputation d’étalon géniteur, il est utilisé exclusivement comme reproducteur. Son existence est liée au fonctionnement des haras adonnés à la production de la mule et à la multiplication des chevaux de traits dits de « race mulassière ». La mule, c’est cet animal précieux, devenu indispensable et vivement recherché à cette époque, qui se transforme en pluie d’or pour le pays qui la voit naître. Cette pratique de l’hybridation mulassière existe de temps immémoriaux en Poitou, et l’hybride obtenu est contre nature, troublé dans sa constitution. Preuve en est qu’outre ses qualités exceptionnelles, son infécondité est à peu près absolue.

Revenons-en au Baudet…

guenillou2La mise-bas d’une ânesse dans les haras de baudets est un véritable évènement. C’est qu’on attend le dénouement avec une impatience anxieuse, toute différente de l’intérêt ordinaire qu’on porte à l’accouchement des autres femelles, car le produit espéré sera de valeur très inégale suivant son sexe : si le hasard veut que ce soit un mâle, un « fedon », son arrivée sera fêtée alors comme il se doit.

Le fedon se tient debout dès son premier jour et accompagne rapidement sa mère au pâturage, toujours à proximité cependant de l’habitation de l’éleveur pour que la surveillance puisse continuer à s’exercer.

Le sevrage s’effectue vers l’âge de huit ou neuf mois. guenillou3Une fois réalisé, les jeunes baudets passent souvent entre d’autres mains, surtout si ce sont des mâles. Ils vont ainsi suivre une destinée différente selon s’ils sont un mâle ou une femelle. Celles-ci continuent de mener une vie de plein air alors que les mâles sont brutalement retirés dans leur écurie pour y être claustrés dans une loge réservée à chacun d’entre eux. Pour le futur étalon, c’est désormais la stabulation en permanence, enfermé dans un box de quelques pieds carrés, condamné à une existence solitaire de reclus.

Cependant, autant l’éleveur s’intéresse peu à la femelle, autant il se préoccupe de son jeune bourriquet qui représente à lui seul l’objet de valeur de l’exploitation.

Sa nourriture est alors choisie avec soin : les fourrages sont de la meilleure qualité, du foin de luzerne, des grains en petite quantité et parfois même du pain dont il se montre très friand. Les aliments verts sont quasiment bannis et, l’hiver, quelques carottes ou betteraves suffisent pour corriger son alimentation trop sèche. Pendant la saison des saillies, il est de coutume d’augmenter sa ration et il sera gratifié d’un supplément pour chaque saillie réalisée.

Le jeune baudet est par ailleurs maintenu sans soins corporels, dans une immobilité presque complète, privé de lumière et protégé des intempéries. Ces conditions d’élevage, réalisées depuis toujours, n’ont pas été adoptées sans motif et il est assez aisé d’en deviner les raisons : le petit nombre de mâles reproducteurs, la difficulté de les amener à l’âge de deux ou trois ans et leur grand prix ont fait naître la crainte de les perdre de maladies ou d’accidents.

L’absence de pansage s’explique quant à lui par l’importance primordiale traditionnellement accordée à l’abondance et à la longueur du pelage ; le baudet porte sur tout le corps des poils longs, fins et ondulés et conserve le reliquat de mues précédentes sous la forme d’un manteau déguenillé qui descend en loques de chaque côté et sous le tronc. Ce pelage fait la parure de ces animaux et constitue « le titre de noblesse et d’origine » des baudets du Poitou. En effet, les tondre serait un sacrilège pour les gens du pays.

guenillou6Vers l’âge de deux ou trois ans, on demande au jeune mâle de prouver sa « vigueur » et de s’habituer aux pratiques, mais dès sa seconde saison de monte, il se verra accorder autant de juments que les vétérans, surtout s’il fait montre de beaucoup d’ardeur.

guenillou4.pngIl est donc logé dans une écurie qui présente une disposition assez caractéristique : au centre du bâtiment, un espace libre servant de « salle de monte » avec de chaque côté l’alignement des cases individuelles des étalons. Au milieu de cette salle de monte, pièce obscure d’une vingtaine de mètres carrés, deux barres de bois, obliques, fixées en avant à la muraille à une hauteur d’environ 1,2 m et en arrière au sol. Cette pièce est nommée une trole. Une pièce transversale à laquelle l’étalonnier attache la jument les réunit. Le sol est excavé entre les deux branches de façon à mettre la femelle à bonne hauteur pour l’accouplement, le reproducteur étant presque toujours plus petit. Le baudet est ainsi mené dans la salle de saillie, ou atelier, puis stimulé par des bruits divers : toute une comédie de sifflets, de musique, de chants, jusqu’à l’obtention d’une érection. Et ça marchait !« Le trelandage qu’on appelait ça »*

Les baudets peuvent « servir » huit à dix juments par jour et jusqu’à une centaine de juments pendant tout le temps de la monte.

L’ânesse, quant à elle, est conservée uniquement pour la reproduction et aucun travail ne lui est demandé en dehors de son rôle de mère et de nourrice. Entretenue sans grand soin, elle erre dans les pacages les plus maigres de la ferme et se contente l’hiver d’une ration parcimonieuse de foin. Elle est menée au baudet seulement lorsque la monte des juments est terminée.

Le baudet n’est guère élevé en grand que dans les Deux-Sèvres, plus particulièrement dans l’arrondissement de Melle, mais aussi bien sûr, quoique de façon plus clairsemée, en Gâtine !

Mon ancêtre René COLLIN, garde étalon à Amailloux au XVIIIè, et son fils François, ont-ils réellement œuvré auprès de ces animaux si représentatifs du Poitou ? J’aime à le croire… Mais, une chose est certaine : « y’avait bien des guenilloux à Amailloux ! » La preuve en est que sur l’ouvrage « Mémoire statistique du département des Deux-Sèvres » d’Étienne DUPIN, il est dit que sur cette commune, il se trouve deux haras dont un de baudets.
guenillou5Notes :

Il ne restait en 1977 que 44 baudets de race pure dans tout le Poitou-Charentes et Vendée. Une élève vétérinaire, Annick Audiot, a réussi à alerter les autorités compétentes et à collaborer à un programme de sauvetage. Avec 132 ânes en 1999, 174 naissances de baudets du Poitou en 2009, cette espèce tient le triste privilège de posséder le plus faible effectif des races d’équidés. S’il s’agissait d’espèces sauvages, sur la liste rouge de L’Union Mondiale pour la Nature (UICN), cette race serait probablement rangée dans la catégorie « en danger critique d’extinction » avec quelques espèces emblématiques telles que la tortue Luth, le rhinocéros noir ou le cheval de Przewalski … « Les baudets du Poitou, le trait mulassier et la mule poitevine ont encore toute leur place dans la gestion des prairies. Producteurs d’une énergie aussi peu polluante que bon marché, ce sont en outre d’agréables compagnons, tant pour le travail que pour le loisir. Reste à le faire savoir … »

Je tiens à remercier particulièrement Mr Jean-Luc CLÉMENT, du temps qu’il a bien voulu m’accorder et de sa confiance pour le prêt de ses précieux livres.
Sources :

  • L’âne, les chevaux mulassiers et la mule du Poitou – Léon SAUSSEAU – Ed. LAVAUZELLE
  • De l’industrie mulassière en Poitou – Eugène AYRAULT – Ed. Librairie agricole de la maison rustique.
  • Le Baudet du Poitou – Éric ROUSSEAUX – Geste Éditions
  • Gallica : Mémoire statistique du département des Deux-Sèvres Etienne DUPIN
  • Images : Weheartit et Pinterest

M comme : Ma Mystérieuse Marthe

Aujourd’hui, c’est moi qui m’y colle. Donc, un article de Raymond Deborde, vice-président du Cercle généalogique des Deux-Sèvres, en charge du blog et de la revue. J’écris aussi avec Sylvie, mon épouse, sur notre blog de généalogie familiale et deux-sévrienne, L’arbre de nos ancêtres.

Même si mes aïeux sont dans l’ensemble plutôt issus du Bocage, j’ai quelques ancêtres qui ont vécu dans la proche Gâtine. Parmi eux, il y a Marthe Audebrand qui a été longtemps pour moi juste un prénom et un nom. Je n’avais aucun acte, aucune date, aucun lieu précis à y associer. Je savais juste, grâce à quelques actes de mariage (et par déductions) qu’elle avait épousé un nommé René Jourdain (tout aussi énigmatique pour moi) et qu’elle avait eu au moins 5 enfants. Elle était décédée avant 1745, avant les mariages de plusieurs de ses enfants à Fénery et Amailloux, deux villages de Gâtine.

Je ne pouvais que supposer sans pouvoir l’affirmer que, avant d’être mère, Marthe avait été une fille qui avait grandi au milieu des chirons et ruisseaux de Gâtine !

Chirons1
Paysage de Gâtine

Je ne veux pas dire que je l’ai beaucoup cherchée, mais souvent, oui ! Son prénom plutôt rare et son nom pas si fréquent me laissaient l’espoir de l’identifier plutôt facilement, mais ce fut pendant longtemps en vain. La situation s’est finalement débloquée parce que je lui connaissais une sœur, Perrine Audebrand, présente en tant que tante à différents mariages des enfants de Marthe. J’avais aussi trouvé un fils à Perrine, sans doute unique et sans doute célibataire, Bonaventure Noirault, et c’était tout. Je ne connaissais même pas le prénom de son mari. Pour moi cette piste était définitivement fermée. C’est en cherchant en désespoir de cause l’éventualité que Perrine soit témoin à d’autres baptêmes, mariages ou sépultures (merci à la base de donnée Généa79 d’offrir cette possibilité de recherches) que la situation s’est enfin décoincée pour moi. En fouillant bien, je lui ai trouvé d’autres frères et sœur, et j’ai même, de fil en aiguille, trouvé des actes qui citaient ma mystérieuse Marthe, qui du coup l’est un petit peu moins.

Marthe Audebrand, est donc la fille d’un maréchal, Louis Audebrand, et de son épouse Marie Guignard. Le couple a eu au moins 6 enfants et ils sont de purs Gâtineaux ! Le père est peut-être né à Amailloux. Ils se sont mariés avant 1683 et ont vécu tout près de Parthenay, à Châtillon-sur-Thouet. Ils sont apparemment proches des autres artisans et tisserands du bourg. J’ai maintenant une petite idée de la jeunesse de mon ancêtre Marthe. Je n’ai pas sa place dans la fratrie, mais je sais que son frère Louis est mort jeune en 1691. Elle n’est pas citée au mariage de son frère Jean à Adilly en 1712. Elle est par contre présente au décès de sa mère la même année, au mariages de son frère Pierre à Amailloux en 1715 et de sa sœur Marie à Châtillon en 1716. C’est là que je perds sa trace. Dans quel petite paroisse de Gâtine s’est-elle mariée avec René Jourdain ? Était-ce en même temps que sa sœur Perrine ? Dans quel village le couple a-t-il vécu et donné naissance à 5 enfants ? Où et à quelle date Marthe est-elle morte ? Il me reste encore beaucoup à découvrir ! La Gâtine, terre de mystères je vous dis !