Un texte de Raymond DEBORDE (L’arbre de nos ancêtres)
En 1906, l’année de la « querelle des inventaires », mes quatre grands-parents étaient tous nés et ils habitaient tous la paroisse de Terves. Ils étaient alors bien jeunes pour se souvenir de l’inventaire mouvementé de l’église de Terves ! Mon grand-père paternel, Hubert DEBORDE, était le fils du maire de la commune. Mon grand-père maternel, Raymond FROUIN, habitait la ferme la plus proche, justement appelée la métairie de la Cure. Un peu plus âgés, ils auraient eu bien des souvenirs à raconter. Leurs parents et presque tous mes aïeux en vie à cette date (arrières-grands-parents voire au delà) résidaient sur la paroisse. Fervents catholiques pour la plupart, ils ont donc vécu de près ces journées particulières. La mémoire familiale ne m’a transmis ni anecdote, ni souvenir. Heureusement, il existe d’autres sources pour savoir comment s’est déroulé l’inventaire de l’église de Terves et comment il a été vécu par mes ancêtres.
Un petit point d’histoire en préambule. Le début du XXe siècle, c’est l’époque où la Troisième République veut affirmer ses valeurs laïques. Elle désire par exemple abroger le Concordat de 1801 qui obligeait l’État français à s’accorder avec le Saint-Siège pour nommer les évêques. Sous l’impulsion d’Émile Combes est votée fin 1905 la loi de séparation de l’Église et de l’État : les prêtres ne sont plus payés par l’État qui ne subventionne plus les différentes religions. Les biens religieux saisis en 1789 redeviennent la propriété de l’État qui les confie gratuitement aux différents cultes. Suite à cette loi, un inventaire des églises doit être fait pour ne laisser que ce qui est nécessaire pour le culte, le reste devant être saisi. Ces 70 000 inventaires vont créer des troubles dans toute la France catholique et traditionaliste qui les ressent comme une spoliation voire une profanation.

À Terves, ce fut aussi le cas. Il faut dire, en plus, que l’église était bien postérieure à 1789. Elle était même toute récente, consacrée il y a seulement 10 ans, en 1896. Sa reconstruction était alors devenue indispensable car l’ancienne était trop petite et dans un état délabré. Elle avait souffert des guerres de Vendée. Le toit avait dû être repris en 1812. En 1840, le bois de l’ancienne charpente était totalement perdu. Pour parachever le tout, le 10 mars 1864, une tempête emportait la couverture et endommageait le clocher. La reconstruction, entamée en 1872 avec le curé Bénoni CHAIGNEAU, est achevée, après son décès, en 1884 par son successeur Jean-Baptiste BARBIER. Cela n’a pas été facile de mener ce projet à son terme : Le conseil de fabrique* a dû se démener pour trouver l’argent nécessaire grâce à des souscriptions, des emprunts ou des dons. Les paroissiens de Terves et, à leur tête, le curé BARBIER ont vraiment le sentiment fort que l’église est leur propriété.
Aussi, lorsque c’est le tour de la commune de Terves de devoir subir un inventaire le samedi 10 février 1906, tout le village se mobilise et s’oppose aux 2 fonctionnaires venus accomplir leur mission. La presse locale (et catholique) en fait le compte rendu une semaine plus tard :
Grande et belle manifestation à Terves, samedi.
À 11 h. 1/2, l’église est comble ; chaque village, chaque famille est représentée, les hommes sont très nombreux. À midi, le représentant du fisc pénètre dans l’église par la grande porte, large ouverte, et se dirige vers le chœur. M. le Curé, suivi de son vicaire et des membres du conseil de fabrique, s’avance et lit une ferme protestation au nom de la population toute entière.Le dernier mot est à peine prononcé, que les hommes, massés dans la nef s’opposent à l’inventaire et obligent le receveur d’enregistrement et son acolyte à déguerpir aussitôt. Les cloches sonnent à toute volée, 1 200 poitrines entonnent : « Nous voulons Dieu », et ce, pendant que le représentant du fisc heureux de s’en tirer à si bon compte s’empresse de monter en voiture et de se diriger sur Bressuire. (« Le Conservateur bressuirais » du 18 février 1906)


Le curé c’est donc Jean-Baptiste BARBIER, celui qui a suivi l’achèvement des travaux de l’église. Il a 62 ans et est dans la paroisse depuis 1881. Du conseil de fabrique évoqué dans l’article, je connais très bien certains de ceux qui le composent car ils font partie de mes aïeux : il y a mon arrière-arrière-grand-père, Eugène NUEIL, 59 ans, qui en est le trésorier et un arrière-grand-oncle, Louis CHESSERON, 43 ans. Il y a sans doute aussi mon arrière-grand-père, Lucien DEBORDE, 44 ans, en tant que maire. Avec les autres « fabriciens », Isidore BISLEAU, Louis CHESSÉ, Pierre BENESTEAU ainsi que le curé, ils sont donc en 1re ligne pour s’opposer à l’inventaire du 10 février !

Le sous-préfet de Bressuire va donc devoir s’y prendre différemment pour réaliser son inventaire à Terves. Comme dans beaucoup d’autres paroisses des Deux-Sèvres et de France, il fait appel à l’armée (le 77e RI) et il vient en personne superviser l’opération ! Nous sommes le 1er mars 1906. Je suis sûr que presque tous les hommes de ma famille (et aussi de la paroisse) sont là, tôt le matin, car l’arrivée des militaires la veille à Bressuire n’est pas passée inaperçue. J’ai choisi cette fois le regard d’un journal républicain pour raconter cette 2e journée de résistance des villageois.
L’inventaire de l’église de Terves à 4 kilomètres de Bressuire, a eu lieu jeudi matin, à huit heures et demie. La veille, au soir, quatre wagons de gendarmes à cheval arrivaient à Bressuire pour renforcer les brigades qui s’y trouvaient déjà. Jeudi matin arrivait également de Cholet une compagnie de 150 hommes du 77e d’infanterie, pour prêter main forte en cas de besoin. À 8 heures 40, M. Guillard, sous-préfet de Bressuire, après avoir fait éloigner la foule, frappa à la porte principale de l’église, cependant que les cloches sonnaient à toute volée. N’obtenant pas de réponse, il fit faire les sommations prescrites. Personne ne répondit. Au lieu d’essayer de forcer la porte principale, M. le sous-préfet donna ordre d’attaquer une petite porte, qui fut vite abattue.Une foule de cent cinquante personnes se trouvait réunie dans l’église. Ordre fut donné de les expulser, ce qui fut fait.
À l’intérieur de l’église, le vicaire n’a pas voulu prêter son concours pour l’inventaire ; il s’est même refusé à ouvrir la sacristie, dont il a fallu encore enfoncer la porte. Une véritable merveille de barricade avait été faite aux deux portes principales : des barres de fer de quatre centimètres carrés, des arcs-boutants en madrier de vingt centimètres avaient été posés bien inutilement du reste. Finalement, le receveur de l’enregistrement a pu procéder à son inventaire, et force est restée à la loi. (« Le Mémorial des Deux-Sèvres » du mardi 6 mars 1906)
La presse conservatrice utilise de son côté un ton très sarcastique pour raconter l’événement. La ruse du sous-préfet qui a fait défoncer la porte de la sacristie n’est pas digérée. « Le Conservateur bressuirais » confirme que l’église était barricadée et rend compte des huées de la foule. Il raconte aussi ce qui s’est passé juste après l’inventaire.
Aussitôt après, la foule pénètre dans l’église. M. le Curé, d’une voix indignée, proteste contre la violation du domicile privé, contre le sacrilège qui vient de s’accomplir, et annonce, pour le dimanche suivant, une grande cérémonie de réparation. Tous reçoivent ensuite la bénédiction du Saint-Sacrement, et chacun emporte dans sa famille, en souvenir, un fragment des portes brisées. (« Le Conservateur bressuirais » du 11 mars 1906)

Il existe enfin aux AD79 divers documents officiels qui relatent les inventaires de 1906 dans les Deux-Sèvres. Pour Terves, c’est donc M. ALBERT, receveur des domaines à Bressuire, qui l’a finalement réalisé en présence de 2 gendarmes et en l’absence volontaire du curé Jean-Baptiste BARBIER et du maire, mon arrière-grand-père Lucien DEBORDE. Pas de surprise dans l’inventaire, on y trouve les objets liés au culte : un crucifix, 2 confessionnaux, 50 chaises, 60 bancs… un harmonium… une statue de saint Joseph, 12 soutanes d’enfants de chœur… Mais, où sont les anges adorateurs en stuc qu’auraient offerts à l’église, Jacques CHESSERON, le frère d’un de mes ancêtres ? La légende familiale ne serait-elle justement qu’une légende ? On trouve aussi des objets plus ordinaires mais sûrement bien utiles ; un tabouret, un balai, une échelle… Ont-ils été confisqués ?

La querelle des inventaires connut de nombreux incidents ailleurs qu’à Terves. Il en fut ainsi dans toute la France ; il y eut même des morts, en Haute-Loire et dans le Nord. L’État décida sagement d’arrêter ces inventaires, sans renoncer à sa loi sur la laïcité. Celle-ci suscite aujourd’hui encore des polémiques liées à son interprétation mais, à Terves, le voile du temps et de l’oubli est passé sur cet épisode de conflit entre l’Église et l’État. Tout est réglé maintenant. Les portes brisées le 1er mars 1906 ont même été très vite réparées : il en a coûté 135 francs payés à la fin de l’année à M. GROLLEAU, menuisier maréchal.
*Conseil de fabrique : Ensemble des responsables, religieux et laïcs, nommés pour administrer les fonds et revenus nécessaires pour construire, entretenir ou meubler une église. Les revenus proviennent des quêtes, offrandes, legs, location des places et bancs dans l’église, etc.
Sources :
L’intérieur de l’église de Terves (blog les Amis du Patrimoine de Terves)
Le Conservateur bressuirais du 18/2/1906 et du 11/3/1906 – AD79, F°P 196-4
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 6/3/1906 – AD79, P26-68
Inventaire de l’église de Terves – AD79, 8 V 17
Fabrique de Terves – AD79, 2 Q 47 et 5 V 83
Administration communale de Terves – AD79, 2 O 2635
Iconographie – AD79, Les Amis du Patrimoine de Terves