Quand il parle des paysans, le préfet Dupin a l’avantage de renvoyer une image plus joyeuse que celle que nous rencontrons dans les actes. Habitués par la généalogie à les voir naître, se marier et mourir souvent bien jeunes, nous oublions que nos ancêtres deux-sévriens pouvaient s’amuser.
Les paysans ont leurs veillées, réunions plus joyeuses que les cercles brillants des cités […] Les mères et les filles se rassemblent pour filer et pour entendre et redire des histoires de revenants et de loups-garous qu’elles tiennent de leurs aïeules. Les garçons s’y rendent pour voir leurs maîtresses : la jeune bergère laisse tomber son fuseau pour connaître ses amants ; ils s’empressent de le ramasser […] La danse est une passion pour les filles ; elles sautent jusqu’à l’anéantissement de leurs forces, et l’on en a vu expirer de fatigue […] les divertissements et les usages du paysan se lient aux travaux champêtres et à la croyance religieuse. Quelle joie n n’éclate pas à la récolte des foins ! Le travail des fauches est pénible mais c’est à faner qu’on se dédommage : on chante, on folâtre, le vin est prodigué […] Les plaisirs de la moisson ne sont pas moins vifs. Chaque matin avant l’aurore, le son du cornet ou du limaçon de mer se fait entendre ; le moissonneur se lève, saisit sa faucille et son portoir : la bande joyeuse se forme, et l’on part pour se rendre au champ que le maître a désigné la veille.
En plus de donner cette vision idyllique de la vie rurale en Deux-Sèvres, le préfet se risque à préciser quel est le caractère des paysans selon le terroir où ils résident et aussi selon leur religion.
La Gâtine : Celui de la Gâtine est plus religieux, plus industrieux, plus dur au travail ; ses mœurs plus grossières, ont pourtant quelque chose de patriarcal. Isolé au milieu de sa métairie, n’en sortant que pour aller à la foire ou à la messe, il règne sur sa famille ; sa femme est moins sa compagne que son premier domestique : pour qu’elle ose s’asseoir à sa table, il faut qu’il lui en donne l’ordre […] Avant la guerre, il thésaurisait. Il est porté à l’indépendance ; mais il se plie sans murmure à l’autorité toutes les fois qu’elle est juste. Il est naturellement grave et mélancolique ; et s’il est devenu méfiant, c’est qu’il a été trahi.
La Plaine : La Révolution a montré que le paysan de la Plaine était moins attaché à la foi de ses pères (je ne parle que des catholiques) ; mais il ne tient pas moins aux vieilles routines, repoussant avec dédain toute industrie nouvelle. Sa demi-civilisation n’agrandit point la sphère de ses idées ; elle ne l’empêche point de croire aux sorciers et aux loups-garous […] Son ambition est d’acquérir des terres ; il en possède, mais il est rarement dans l’aisance…
Les protestants : [Ils] se distinguent par une plus grande union, par une morale plus austère (dans la religion protestante, la fille qui s’est mal conduite ne porte, le jour de ses noces, ni chaperon, ni bouquet, ni ceinture, elle a une coiffe de laine) et une industrie plus active.
Le Marais : L’habitant du Marais forme dans la Plaine une classe à part, et se reconnaît à son extrême apathie. Les Grecs, pour caractériser un homme profondément ignorant, disaient : il ne sait ni lire ni nager. Tel est l’habitant du Marais : il vit sur la rivière, il habite une frêle barque que le moindre choc renverse, et il ne sait pas nager ; il est témoin des nombreux accidents qui résultent de cette ignorance, et il ne songe pas à s’instruire.
La lecture du rapport du préfet Dupin nous en apprend peut-être davantage sur le regard du représentant de l’État que sur les habitants qu’il observe, mais il ne faut pas l’ignorer car il participe à sa façon à la connaissance de nos aïeux. Si vous voulez consulter et même télécharger gratuitement l’intégralité de ce rapport sur votre ordinateur, il est accessible sur Gallica, le site de la BnF.
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