Un texte de Yasmine GUILBARD
La comptinette des moutons
1, 2, 3 Compte, compte les moutons,
4, 5, 6 Qui sautent et qui tournent en rond,
7, 8, 9 Tu dormiras pour de bon,
10, 11, 12 Vive, vive les moutons
Cette ritournelle d’enfance, me trottait dans la tête en traversant ce bourg de Vasles et ses alentours.
Vasles, c’était bien la première fois que j’entendais parler de ce bourg. D’ailleurs, comment je devais le prononcer, avec les S ou sans ?
Il m’avait dit : « Viens à la Saisinière, c’est le jour de la vidange de l’étang. »
C’est quoi ça une vidange d’étang ?
Je ne connaissais, et encore sans l’avoir pratiqué que la vidange de ma 2 CV.
Sur la place de l’église, des affiches colorées annonçaient la pêche de l’étang de la Saisinière.
Ah une vidange, c’est donc une pêche ?
Et ces champs où des moutons blancs paissaient tranquillement, je ne voyais que ça…
Des moutons, des moutons…
Et puis, c’est quoi ça un MOUTON VILLAGE sur la pancarte dans le bourg ?
MOUTON VILLAGE : Un parc unique en France !
Le parc « Mouton Village » est le 1er parc en France à accueillir une vingtaine de races ovines du monde entier. Saviez-vous qu’il existait un mouton « à tête de lapin », un autre « à quatre cornes » ? Chacun a son caractère et ses habitudes. Partir à leur rencontre est une expérience aussi originale qu’instructive.
Moi, je cherchais la ferme de la Saisinière. Pas facile à trouver. En revanche, je traversais le Bois de la Saisine (à ne pas confondre avec la forêt de la Saisine, site naturel aux alentours de Clavé). Selon toute logique, la ferme ne devait pas être loin. Mais rien ne vaut le contact avec l’autochtone pour demander sa route.
La ferme des Guilbard ? Ah, oui, vous y êtes presque ma p’tite demoiselle…
Guilbard, dont l’origine du nom est très certainement germaine et provient de Wilbehrt, qui signifie volonté.
Ne dit-on pas que les gens de ce pays seraient originaires, entre autre de Rhénanie, d’où cette origine germaine transformé en langage local (et encore je ne parle pas de leur patois bien ancré.)
Donc un sobriquet attribué aux personnes au caractère volontaire.
Volontaire, vous avez dit ?
« Be oui », comme cette terre de Gâtine d’ailleurs, vallonnée et bocagère, issue du Bas-Poitou. Grâce à ce sol imperméable et à des conditions climatiques empreintes de douceur et de nuances saisonnières, de très nombreux ruisseaux et rivières (le Thouet, le Cébron, la Sèvre Nantaise, la Vonne, l’Egray ou l’Autize…), des lacs et des étangs parcourent ou ponctuent le paysage. On appelle la Gâtine le château d’eau des Deux-Sèvres. Ces paysages, relativement préservés de l’agriculture intensive, participent au maintien de la population, car en Gâtine, on vit bien, on est “benaise”.
Et, il en a fallu du courage pour ses habitants de vivre sur ces terres « incultes, gâtées ».
Géologiquement, cette terre fait partie du Massif armoricain, et culmine à 272 m, au Terrier de Saint-Martin-du-Fouilloux que je connais bien, puisque tous les ans, au moment des fêtes de Noël, mes parents m’emmenaient voir la crèche animée dans l’église du Père Rochard. * Souvenir heureux de mon enfance, et de beaucoup de poitevins.
Pour info, la crèche est installée à Bressuire maintenant , où une association se charge d’organiser des visites pour le public qui souhaite voir cette fresque animée.
Selon Filae (2019), 168 Guilbard sont nés en France depuis 1890, dans 25 départements. Le nom Guilbard occupe le 57 131e rang des noms portés en France. Une misère si je compare avec mon nom…
Les Pelletier occupent le 156e rang ! Cocorico !
Mais revenons à nos moutons.
J’arrivais enfin à la ferme au bout d’un chemin longé par un bel étang… pratiquement vide !
Moins grandiose et chargé d’histoire bien sûr que son voisin, mais tout aussi pittoresque : l’étang des Châtelliers, situé à quelques kilomètres. Cet étang est situé à proximité de l’abbaye des Chateliers, fondée par Giraud de Salles, disciple de Robert d’Arbrissel (fondateur de Fontevrault et affiliée à Clairvaux en 1163), elle fut jusqu’en 1790 la plus importante des six abbayes cisterciennes du Poitou.
À parcourir l’histoire remarquable de ce site des Châtelliers grâce à un historien passionné, Philippe Michaud.
Et oui, j’oubliais la vidange. C’est bizarre un étang sans ses eaux. On dirait un bord de mer à marée basse avec de la vase, des empierrements plats, au milieu un filet d’eau et autour une agitation humaine, avec des hommes et femmes qui s’activent pour trier les nombreux poissons qui surpris par une baisse progressive d’eau, se laissent aller par le faible courant vers des pièges à récupération.
Voilà donc la fameuse Saisinière.
Mais d’où vient ce nom particulier ? de la Saisine ? (prise de possession appartenant de droit à l’héritier – Code civil).
Selon une étude publiée dans le bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie sur les noms de lieux habités portant des finales en « ière », il est observé que ces noms se sont rarement appliqués à des seigneuries ou paroisses, mais plutôt à des petites exploitations paysannes.
Et bien cette fameuse Saisinière correspondait bien à cette description.
Je retrouvais là l’instigateur de mon déplacement, mon « chum », comme dirait mon ami Robert Jasmin de Québec.
La cour de la ferme grouillait de monde, chacun occupé à des occupations bien précises : les hommes, forces vives, récupéraient et triaient les nombreuses variétés de poissons (carpes, tanches, gardons, perches, quelques anguilles et brochets…).
Les femmes étaient plutôt préposées à la vente, et la maîtresse de maison, Raymonde, s’affairait aux fourneaux pour nourrir tout ce petit monde.
Dans un coin, le grand-père triait les petits gardons, fragilisés par cette pêche et dont la destination finale ne faisait aucun doute : ils seraient frits rapidement pour régaler les papilles de tous ces travailleurs, petits et grands.
D’ailleurs, après l’accueil très chaleureux réservé à une nouvelle venue, j’ai eu droit à un moment privilégié : la recette de circonstance de la maîtresse de maison.
Après m’avoir montré comment écailler, ébarber, et laver la carpe, j’ai eu droit à une vraie démonstration de cuisine du terroir pour préparer la farce (j’en garde encore des souvenirs gustatifs mémorables).
Recette :
Pour une carpe d’environ 1 kg- 1 kg 500
100 g d’oseille fraîche du jardin
80 g de mie de pain
2 dl de crème fraîche (la crème était maison faite avec le lait cru des vaches… hum !)
1 bouquet de persil et ciboulette
3 échalotes moyennes (les cuisses de poulet sont savoureuses)
3 gousses d’ail
2 œufs
50 g de beurre
1/2 l de vin blanc (sec de préférence) et consommer le reste avec la carpe
sel et poivre
Émietter la mie de pain et la faire tremper dans la jatte de crème.
Rajouter l’oseille, le persil, la ciboulette, les échalotes, l’ail et lier le tout avec les 2 œufs.
Un tour de sel et poivre.
À ce stade, rien de nouveau… mais j’ai eu droit à son petit secret : elle a rajouté une pincée de 4 épices, pour donner une saveur particulière à cette farce…. Je comprends pourquoi, je m’en rappelle encore.
Puis, farcir la carpe, la déposer dans un plat de cuisson en versant dessus le vin blanc et une même quantité d’eau. Rajouter une noisette de beurre à mi-cuisson et cuire à four chaud pendant 30 minutes, en prenant soin de bien arroser la carpe.
Tout en savourant ce plat autour de ces grandes tablées où chacun y allait de son histoire la plus animée, je pensais à tous ces Guilbard qui avaient précédé ceux qui habitaient cette ferme de Gâtine.
Entre les dénombrements, listes nominatives des habitants de Vasles, Ménigoute, Saint-Germier, Curzay et Les Forges, actes de naissance et de mariage de 1600 (environ) à 1936, ne trouve-t-on pas nombre de ceux-ci dont les prénoms variés évoquent les époques Florent, Jean, André, René, Jacques, François, Firmin, Auguste, Hubert, Jean-Marie et… Florent.
Et oui, l’incroyable allait apparaître sous mes yeux, lorsqu’en 2019, au gré de mes recherches généalogiques, je retrouvais la trace du premier pépé répertorié : Florent Guilbard, écuyer, Sieur de la Reverserie, de Terredouce et de Sepvret, né vers 1550.
Lorsqu’à la suite de cette mémorable virée à la ferme de la Saisinière, et quelques années après mon mariage avec Jean-Marie, le fils de la maison, nous avons eu le grand bonheur d’accueillir la naissance de notre fils, Florent, en 1985 !
Bien-sûr, sans savoir à ce moment-là, qu’il serait le descendant d’une lignée dont un des membres portait le même prénom, bien des années auparavant.