O comme Olive (Marie Olive), ma grand-mère

Un texte de Claudette Brangier

Marie, Olive Parnaudeau est née le 30 août 1904 au Breuil de Saint-Germier où son père, Eugène Parnaudeau y est cultivateur, celui-ci a 25 ans. Sa mère, Léontine Adéline Artault est âgée de 22 ans. Ses parents se sont mariés le 14 octobre 1903 à Saint-Germier. Tout laisse à penser que Marie est leur premier enfant, comme le recensement de 1906 peut le laisser supposer.

Recensement 1906 de Saint-Germier (AD79)

Et non, elle n’est pas la première fille du couple. Une fille, Eugénie, née le 10 mai 1898,  de père inconnu, déclarée par les parents de Léontine Artault, a été reconnue par sa mère Léontine, le 6 janvier 1899. Née hors mariage, elle sera reconnue enfant légitime lors de l’union de Léontine Artault et d’Eugène Parnaudeau, ses parents. Eugénie est élevée par les grands-parents Artault et vit avec ceux-ci au Grand-Bourgaillard de Saint-Germier.

Recensement 1906 de Saint-Germier, le Grand-Bourgaillard (AD79)

En mars 1909, une autre sœur, Adrienne, verra le jour au Breuil alors qu’en décembre 1909, leur père Eugène décède subitement, il n’a que 30 ans. Marie n’a que 5 ans et Adrienne ne connaîtra pas son père… Voilà Léontine, seule, avec ses 2 enfants en bas-âge pour assumer toutes les tâches de la ferme. Heureusement, ses beaux-parents vivant également dans le hameau du Breuil vont beaucoup aider pour les travaux des champs et seront d’un secours précieux pour élever Marie et Adrienne. 

Marie va sur ses 10 ans quand cette année-là surgissent de nombreux évènements très graves : tout d’abord les attentats de Sarajevo, suivis de l’assassinat de Jean Jaurès et en août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Pendant ces conflits, Marie poursuit sa scolarité à l’école publique de Saint-Germier, elle est une élève assidue, studieuse. Elle excelle en orthographe, et connaît par cœur tous les départements français avec leurs préfectures et sous-préfectures. Elle obtiendra aisément son certificat d’études mais pas question de continuer, il fallait des bras pour travailler à la ferme !

À l’automne 1918, les écoles des Deux-Sèvres sont touchées de plein fouet par l’épidémie de grippe espagnole, ce virus très contagieux atteint beaucoup de jeunes adultes, les mobilisés sont à la fois les victimes et les vecteurs de propagation de la pandémie. Marie se souvenait que l’école de garçons de Reffannes avait signalé plusieurs décès de cette grippe infectieuse et que le préfet avait ordonné la fermeture de plusieurs établissements scolaires. Et déjà, le savon de Marseille était cité pour l’hygiène durant cette contagion…

 Elle a toujours gardé une bonne mémoire des choses : lorsque je me trouvais en vacances alors qu’elle avait la cinquantaine, elle était infaillible, je me plaisais à l’interroger sur les départements et leurs préfectures, les réponses étaient toujours précises… Je jouais souvent à la maîtresse d’école, elle en profitait pour me faire une leçon de grammaire, conjugaison ou d’orthographe, de façon ludique. D’ailleurs, plus tard, étant adulte lorsque je lui écrivais ou envoyais une carte, je soignais mon orthographe, je ne voulais surtout pas la décevoir !

Elle va épouser Alphonse Desré le 21 juin 1924 à Saint-Germier. Le couple va exploiter la ferme du Breuil et au recensement de 1936,  la famille s’est déjà bien étoffée, puisque 4 garçons sont nés et Léontine et Eugénie (sa mère et sa sœur aînée)  vivent également sous le même toit. La naissance d’une fille en 1937 puis d’un dernier garçon en 1945 viendront compléter la fratrie. La quarantaine passée, Marie a bien du mérite, elle participe aux travaux des champs, elle assume les tâches domestiques, élève des cochons, des volailles (poules, canards, oies), des lapins, assure l’entretien du linge et de la maison, suit la scolarité des six enfants et doit nourrir tous les jours dix personnes, quelle belle tablée !

Des moments difficiles et très intenses l’attendent pendant les conflits de la guerre de 1939 à 1945. Son beau-frère, Ernest Chaigneau, le mari de sa sœur Adrienne, sera fait prisonnier en Allemagne pendant cinq ans. Sa sœur reste donc seule avec ses deux filles en bas âge (4 et 9 ans) sur la ferme voisine. L’entraide se met en place, Alphonse va faire le travail de la ferme chez son beau-frère. Pour les gros travaux des champs, les moissons, ses quatre fils aînés (pourtant jeunes, à peine 10 ans pour le plus jeune) vont venir l’aider. Et le plus jeune qui a 85 ans à ce jour s’en souvient encore ! à la même période, les Chauvin vivaient également dans le village du Breuil. Le mari de Marie Chauvin, cousine de la famille et marraine du fils Lucien, avait une petite santé et était en difficulté pour réaliser la totalité des travaux de la ferme. Alphonse, solidaire de ces cousins, venait en aide également dans cette famille. Cette période a été très éprouvante pour toute la famille, et surtout pour Marie qui se retrouvait bien seule pour accomplir toutes les tâches à la ferme, elle a dû se mettre à la traite des vaches, en plus de soigner les animaux et volailles. Sa sœur, Eugénie, était illettrée, elle parlait très peu mais elle était courageuse, elle donnait un coup de mains pour nourrir les volailles et les lapins. Et Léontine, leur mère, participait à sa façon aux labeurs, elle restait en cuisine préparer les repas et dresser la table. Ces dures années ne leur ont laissé aucun moment de répit, même les dimanches n’étaient pas jours de repos !

La brouette, le garde-genoux et le battoir
Les lingères et la « ponne »

Marie a connu la corvée de lessive, fin des années 1950 jusqu’au début des années 1960. C’est avec de la cendre qu’elle tentait de redonner un semblant de propreté, pas de produits de lessive comme de nos jours ! La grande lessive ou bugeaille organisée 2 à 3 fois par an, était certainement la tâche ménagère la plus lourde. Pour obtenir un linge propre, il fallait le mettre à tremper, le faire bouillir, le battre, le rincer, l’essorer et le faire sécher au grand air… Aidée de sa belle-mère, elle passait la journée à faire bouillir le linge dans la grande cuve en pierre, la ponne. Elles avaient, au préalable, déposé au fond de celle-ci, la cendre,  le gros linge puis le linge plus fin ou « menu » et rempli d’eau. Elles arrosaient le linge régulièrement avec le jus de lessive ou lessi, retiré en bas de la cuve. Le lendemain, Marie devait s’occuper de charger tout le linge refroidi dans des ballins propres, chargés dans la mue, direction le lavoir situé après le jardin au milieu d’un pré en contrebas derrière la ferme. Et là, c’était le rinçage des draps, blouses, mouchoirs, camisoles… agenouillée dans le garde-genoux après avoir battu le linge avec le battoir en bois. Il restait donc à faire sécher toute cette quantité de linge, et je me souviens, il y en avait partout ! dans le haut du pré, sur les haies, par terre à même l’herbe !  Le beau temps sec était primordial, évidemment !!

La recette du mijhé

Pour cette bugeaille, sa sœur Adrienne, ainsi que les voisines habitant le Breuil, venaient aider, alors Marie préparait le déjeuner pour toutes ces lingères. Celui-ci se composait essentiellement d’un mijhé au vin bien sucré, d’un farci à l’oseille avec des œufs durs ou d’un rôti de porc et le tout était transporté dans un grand panier recouvert d’un torchon blanc.

Battages à Saint-Liguaire

Autre moment fort pour ma grand-mère : la période des moissons et battages, jusqu’en 1962. Chaque année, elle participait au ramassage des gerbes de blé dans les champs, gerbes qu’il fallait décharger dans la cour de la ferme puis les entasser en meules (ou mailles). Lorsque la batteuse, le tracteur, le monte-paille se mettaient en branle, la cour de la ferme devenait une ruche bourdonnante et bruyante au milieu d’une poussière impressionnante. L’entraide des voisins, une bonne vingtaine, était indispensable pour assurer les différents postes, gerbes, sacs de grains, paillers et le battage durait deux ou trois jours. Marie était aux commandes pour assurer le service de boissons, organiser les différents repas… Les conserves, pâtés et fromages faits à la ferme étaient utilisés et servis à table et plusieurs jours auparavant, Marie préparait des volailles, des rôtis, confectionnait des gâteaux. Le dernier repas marquant la fin des battages était l’occasion de faire la fête, ambiance mais aussi solidarité, convivialité étaient au rendez-vous ! à cette époque, j’avais 8 à 10 ans et je ne voulais à aucun prix rater cet événement, j’adorais aider à cuisiner, servir et débarrasser.

Un autre événement où la présence de ma grand-mère était indispensable : la cuisine au cochon. La décision de tuer le goret se prenait souvent à l’automne ou au début de l’hiver. L’animal devait atteindre un bon poids, environ 300 livres. Dès que la date était fixée, il fallait préparer les pots, bocaux, terrines ou pâtissières, saloirs… La bête était tuée le matin, c’était Alphonse qui le saignait, le nettoyait, le vidait et le dépeçait. L’animal égorgé, la maîtresse de maison récupérait le sang qui pissait par saccades dans une poêle à long manche. Ensuite, elle dirigeait le nettoyage des boyaux, gros travail de lavage, rébarbatif puis préparait les boudins, surveillait leur cuisson, il fallait qu’ils soient cuits à point !  Le lendemain, c’était la préparation des pâtés, saucisses, rôtis, morceaux de lard,  jarrets salés et jambons à essuyer, sécher, frotter avec du sel et des aromates. Pour cela, les femmes (voisines, cousines) passaient du temps à mouliner les chairs, le hachoir vissé au bout ou sur le côté de la table de cuisine, elles pesaient les épices selon le poids de viande puis Marie vérifiait l’assaisonnement. Une partie du  pâté était déposée dans les terrines ovales, le dessus étant garni de feuilles de laurier, un couvercle les recouvrait. Et tous ces pâtés étaient cuits dans le four à pain. L’autre partie était conservée autrement, le pâté était tassé dans les bocaux fermés hermétiquement par une rondelle de caoutchouc puis cuit à l’aide du stérilisateur en prenant bien soin de protéger et maintenir les bocaux avec des torchons pour éviter la casse.

Pour Marie, vers 1960, des difficultés supplémentaires vont naître puisque son mari, Alphonse, va être très malade. Il subira une trachéotomie, il ne pourra plus parler, pour communiquer avec lui, ce sera avec une ardoise. Le dernier fils n’a que 15 ans lorsqu’Alphonse décède en 1961. Elle se retrouve bien seule pour faire tourner l’exploitation et pour élever ce dernier enfant, lui trouver une situation. Elle reste discrète et avec son fort tempérament, elle se débrouille tant bien que mal. Elle a l’esprit de famille, elle aime se retrouver parmi les siens, sans doute pour y puiser les forces nécessaires à continuer… Le dimanche midi, elle invite souvent les enfants et petits-enfants, elle sait faire le bonheur des siens avec des choses simples. Au menu du dimanche, c’était souvent un pot-au-feu, une poule au pot, de la langue de bœuf sauce madère ou de la fraise de veau sauce vinaigrette. Ses desserts favoris étaient le broyé servi avec des fruits au sirop, le gâteau aux noisettes ou bien le gâteau fait de petits beurres trempés dans du café surmontés d’une petite crème au beurre…

Quand sa mère décède en juin 1964, elle restera seule avec sa sœur Eugénie. Finalement, Marie se sera occupée d’Eugénie toute sa vie, alors qu’aux dires de certains fils, sa sœur Adrienne s’était engagée à la prendre également. Ma grand-mère, au grand cœur, n’a jamais voulu d’histoire, Adrienne ne se manifestant pas, elle n’a pas voulu la lui imposer et elle ne s’est jamais plainte de cette situation. Arrivant à la soixantaine, elle va laisser l’exploitation de la ferme à son fils Michel et elle va se retirer près de chez sa fille dans le bourg de Saint-Germier. L’esprit de famille est toujours aussi fort. Tous les ans, nous lui rendions visite pour lui souhaiter la bonne année et ses arrière-petits-enfants se souviennent encore de leurs étrennes, un paquet de chocolats au lait ou praliné et deux clémentines. Malgré ses maigres revenus, elle n’oubliait personne, elle était généreuse.

Bien que la famille soit devenue nombreuse, elle arrivera encore à la réunir pour Pâques les premières années de retraite à Saint-Germier. Marie est donc à l’origine de notre repas de famille annuel, devenu institution, depuis 33 ans, bien qu’elle nous ait quittés en 1992. Quelle belle reconnaissance de la part de ses 6 enfants, 13 petits-enfants, 24 arrière-petits-enfants et 16 arrière-arrière-petits-enfants à ce jour !

7 commentaires sur « O comme Olive (Marie Olive), ma grand-mère »

  1. Ah, la cuisine au cochon : les odeurs me reviennent à la lecture de ce beau témoignage !
    A la fin des années 60, c’était très impressionnant pour le garçonnet de 10 ans que j’étais quand on tuait le goret dans la cour de la maison…

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  2. Merci à cette remarquable grand-mère d’avoir permis une aussi belle évocation. Quelle femme !
    La mienne est devenue grande servante à 11 ans, quand elle a pu secouer les draps pour les rincer.

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  3. Lessive, battage et tuerie do goret, tâches difficiles, mais hautement conviviales, de celles qui marquent les générations et laissent entre les lignes, tant de souvenirs ineffables. Hommage à mémé Olive (Marie)

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