K comme Kyrielle de photos

Un texte de Jacqueline TEXIER

Mon histoire familiale fait que j’ai vécu 10 ans chez mes grands-parents maternels, de 2 à 12 ans, et à quelques kilomètres de chez eux ensuite. Mes premiers souvenirs remontent à mes 3 ans, et parmi ceux-ci  il y a celui de ma grand-mère, mémé, (mon autre grand-mère étant appelée néné) et sa boite à photos.

Le modèle de la boite a varié tout au long de ces années et jusqu’à son décès, l’année de mes 25 ans. Sur cette photo, comme ce fut le cas souvent, il s’agit d’une simple boîte à chaussures recyclée en boîte à souvenirs. Elle changeait régulièrement, car à force d’être sortie et remise dans l’armoire, elle s’abîmait.

Mémé adorait regarder ses photos mais détestait être photographiée. Aussi, il fallait faire vite, quand elle ne s’en doutait pas, ce qui explique cette photo un peu floue, prise par surprise. Invariablement assise au bout de la table, sa place à chaque repas, elle remontait le fil de ses souvenirs et de sa vie passée.

Mémé, donc, regardait souvent ses photos et moi j’aimais regarder les photos avec elle et passer  du temps à feuilleter l’album de sa mémoire.  Elle parlait alors de ses chers disparus : « grand-mère », sa grand-mère paternelle dont elle avait été très proche, souriante et avec un regard malicieux ; son père et sa mère qui, petite, m’impressionnaient figés  sur leurs portraits encadrés au-dessus du lit de mes grands-parents et qui sur les photos de la vie courante étaient tout autres ; Anaïs, sa cousine, cette « pauvre Anaïs », aînée d’une fratrie de sept enfants dont elle s’est occupé au décès de sa mère, à la naissance du dernier enfant. Mariée en janvier 1914, elle était veuve en septembre de la même année. Elle est morte à 44 ans seulement ; le « pauvre petit André », dernier né de cette fratrie, né handicapé mental et mort dans un hospice à 53 ans. À chaque photo son histoire, douloureuse souvent, et des photos il y en avait beaucoup…

Elle égrenait tous les souvenirs de son enfance et sa jeunesse à Périgné, petit bourg du sud Deux-Sèvres, là où ont vécu plusieurs générations de ma branche maternelle. Puis elle remettait la boite dans l’armoire avec un gros soupir. Celle-ci  était remplie de photos dont certaines bien plus récentes, mais de toutes ces histoires racontées par mémé, ce sont les plus anciennes qui me reviennent.

Hélas, de tout ce qu’elle racontait je n’ai retenu que des bribes. Mais tous ces visages que j’ai tant de fois contemplés avec ma grand-mère me sont devenus familiers depuis que je reconstitue leur histoire au travers des photos, des actes et des courriers retrouvés au fil du temps dans la famille. En leur redonnant vie, je perpétue l’histoire familiale que me racontait mémé.

L’histoire de ces photos aurait pu mal se terminer. En  décembre 1982, il y a eu une inondation dans la maison de mes grands-parents, l’eau est montée à plus d’un mètre dans les pièces. Heureusement, une de mes tantes les a sauvées et sa fille les a conservées. J’ai pu les faire restaurer et de nouveau j’ai vu « grand-mère », « la pauvre Anaïs », le « pauvre petit André » et tous les autres. Contrairement à ma grand-mère je ne les ai pas mises dans une boite mais dans un album et, régulièrement, je sors l’album. Je remonte le temps pour revenir au temps de mon enfance dans la maison de mes grands-parents quand mémé racontait les histoires de sa propre enfance.

Finalement, j’ai acheté une boîte. Dans cette boîte j’ai mis toutes les photos  anciennes de ma famille paternelle et maternelle qui n’avaient pas de place dans l’album et comme ma mémé j’ouvre la boîte, je regarde les photos une à une et je m’arrête toujours sur celle où, au bout de la table devant sa boite à chaussures, elle déroulait le fil de sa vie et celle de ceux qu’elle avait aimés.

5 commentaires sur « K comme Kyrielle de photos »

  1. La boite à photos ! Quel bonheur pour la plupart d’entre nous qui avons cette chance !
    L’album c’est bien aussi mais plus visible alors que la boite on espère toujours y découvrir un indice de plus, Merci Jacqueline.

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  2. Grâce aux photos anciennes, il suffit de les regarder pour que bien des souvenirs, des parfums viennent jusqu’à nous, comme si nous nous retrouvions autour d’une table ronde à l’occasion d’un repas de famille où seraient rassemblés les vivants et les morts.
    Merci pour cet article.

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  3. Cette histoire me parle vraiment. Moi aussi j’ai vécu avec ma grand-mère maternelle qui m’a raconté sa famille, et je pense que c’est de là que me vient la passion de la généalogie.

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  4. Ah la boîte à photos et cartes postales de ma grand-mère maternelle ! J’y plongeais avec délices à chaque grandes vacances! Ma mère avait continué, elle, avec des albums photos et moi je numérise maintenant ces photos pour mieux les conserver et essaie de les rattacher à des personnes de mon arbre. Mais rien ne vaut le toucher de ces vieilles photos, leur odeur … qui me rappellent tant de souvenirs. Malheureusement j’ai un gros manque du côté paternel, les photos ayant disparu lors du pillage de la maison de mon grand-père paternel à la fin de la guerre 39-45!

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