N comme (la) Négrerie et Négressauve

Un texte de Jacqueline TEXIER

Novembre 1992, la famille est réunie pour l’enterrement de mon oncle, frère de mon père, dans le cimetière de la Négrerie. Un de mes oncles maternels s’étonne en découvrant ce petit cimetière niché dans la campagne. Pour y accéder, il faut prendre un sentier cabossé qui traverse un petit bois. Entouré de vieux murs de pierres sèches, au milieu des champs, ce cimetière est en mauvais état. Seul, un cyprès veille sur lui. Une trentaine de vieilles tombes, la plupart délaissées, résistent comme elles le peuvent au temps qui passe.
L’inventaire de Mérimée le mentionne dans les textes du XIXe siècle comme étant celui des réformés, situé sur la commune de Saint-Martin-lès-Melle. Il apparaît sur le plan cadastral en 1832 et son mur de clôture est construit en 1846.
Le Guide du Poitou protestant (Geste Éditions) le cite comme étant le « cimetière des pendus ». Outre les protestants, on y enterrait aussi les suicidés refusés par l’Église catholique.

1.JPGMa famille paternelle était protestante. Dans ce petit cimetière, reposent au moins 15 membres de la famille de mon père, sur 4 générations. Mon trisaïeul, né en 1817, y a été enterré en 1901. De sa tombe et de celle de sa femme décédée en 1907, ne subsistent que des morceaux de pierres brisées sur lesquelles leurs noms sont gravés.

2Mes arrière-grands-parents et grands-parents y sont aussi enterrés. Ma tante, née en 1924, y repose depuis 2011. C’est la dernière à y avoir été enterrée.
Mon oncle maternel, qui en 1992 découvrait ce petit cimetière, s’est aussi étonné du nom du lieu-dit, « la Négrerie ». Nom d’autant plus étonnant que figure au cadastre, un kilomètre plus loin, le champ du Plan Négrier. Enfin, distant de quatre kilomètres de la Négrerie, on trouve le petit bourg de Négressauve.
Pendant une huitaine d’années, j’y ai passé toutes mes vacances d’été, chez mon oncle et ma tante. Ma grand-mère qui vivait chez eux, y est décédée. Certains de mes ancêtres y ont vécu où y sont nés.
Ce petit bourg a la particularité d’être sur 3 communes : Saint-Martin-lès-Melle, Saint-Romans-lès-Melle et Verrines-sous-Celles, en plein cœur de mon pays mellois natal, dans le sud des Deux-Sèvres.

Je me suis toujours interrogée sur la signification de ces noms : Négressauve et la Négrerie. Pourquoi de tels noms en Poitou ? Y avait-il un rapport avec le trafic d’esclaves auquel participait le port de La Rochelle, distant d’une soixantaine de kilomètres ? Ou, tout simplement, ces noms faisaient-ils référence à la couleur noire (nègre en patois poitevin) et désignaient quelqu’un aux cheveux noirs ou à la peau basanée ?
La carte de Cassini de 1750, fait état de » Naigressauve » et de « la Nègrie » en pays mellois. Sur le plan cadastral de 1830, on trouve le village de Négressauve et la Nègrerie dans leur orthographe actuelle.
Mon envie de faire de la généalogie est née dans le cimetière de la Négrerie et avec la généalogie est venue l’envie de comprendre la toponymie des lieux.

Le hasard d’une lecture, un article intitulé « Né esclave à Saint-Domingue et mort libre à Griffier (sud Deux-Sèvres) », et les conseils avisés de Danièle, si précieuse pour me guider dans mes recherches, m’ont plongée dans l’histoire de l’esclavage à Saint-Domingue.

La Rochelle, port majeur du commerce triangulaire, a participé activement à la traite négrière, particulièrement au XVIIIe siècle. La destination première de ce port était Saint-Domingue. Nombre de Poitevins partis aux Antilles, ont participé au peuplement blanc des îles au XVIIIe siècle et à l’exploitation des caféières et plantations sucrières.
3.JPGParmi eux, Jean-Baptiste Andrault. Né en 1743 à Saint-Sauvant (au sud de la Vienne), il rejoint son frère Gabriel à Saint-Domingue en 1765. Gabriel, notaire, est propriétaire depuis 1750 d’une caféière située dans les mornes de Fond-Baptiste au nord de Port-au-Prince. Jean-Baptiste travaille avec son frère et devient surveillant de la plantation jusqu’au décès de celui-ci en 1770.
En 1775, il épouse à Nantes Anne Louise Vallot, fille de riches négociants, puis il repart à Saint-Domingue. Il devient propriétaire, achète une nouvelle caféière et acquiert une charge de notaire.
En 1784, il revend son étude et devient notaire honoraire à Saint-Domingue.
La gestion de la vente du café en France s’organise avec ses beaux-parents. Jusqu’à 180 esclaves travailleront sur ses plantations. Ils étaient à nombre à peu près égal, des hommes et des femmes mais aussi des négrillons et négrites (enfants âgés de moins de 14 ans). Il y avait également des infirmes et des « vieux ».
Après le décès de sa femme en 1778, il rentre en France avec sa fille et une « mulâtresse », Henriette, qui s’occupe d’elle depuis sa naissance. Elle mourra en France en 1790. Enterrée à Saint-Sauvant dans la Vienne, on trouve sur sa tombe « Henriette, négresse appartenant à M. Andrault l’Américain, qui était colon à Saint-Domingue, originaire de Melle ».
Rentré en France, il confie la gestion de ses caféières à l’un de ses neveux, Bernard. Quatre autres neveux le rejoindront à Saint-Domingue ainsi que plusieurs cousins. L’essentiel des informations qui nous sont parvenues est issu de la correspondance laissée par Jean-Baptiste Andrault avec ses neveux. Pendant 25 ans, les échanges sont nombreux et montrent les aspects de la vie coloniale. Cette correspondance lui permet de surveiller de loin sa plantation car bien des décisions doivent être prises par ses neveux.
Elle nous permet aussi de connaître la vie des blancs sur la caféière, comment vivaient les esclaves, leurs conditions de travail, leur état de santé. On y trouve aussi les naissances, les maladies, les décès, les accidents… et bien sûr, tout ce qui concerne les travaux, les intempéries, les récoltes et ce qu’elles rapportent.
Jean-Baptiste Andrault et ses neveux se perçoivent plutôt bienveillants et soucieux du sort de leurs esclaves. Pour preuve selon eux, il y a peu de tentatives d’évasion (marronnage) mais les lettres font cependant état de coups de fouets et autres punitions.

Le lien avec Négressauve et la Nègrerie me direz-vous ?

À son retour en France, Jean-Baptiste Andrault cherche un lieu où s’installer. Il acquiert le logis du Petit-Bois à Saint-Martin-lès-Melle, à quelques kilomètres de la Nègrerie et de Négressauve. Il acquiert aussi une grande partie des terres de la Nègrerie. En 1789, il participe activement à la rédaction du « cahier de doléances, plaintes et remontrances » dans la salle du prieuré de Saint-Martin-lès-Melle. Il devient député suppléant du Tiers de la sénéchaussée de Poitiers. Enfin, il est l’un des commissaires du Roi qui se voient confier la tâche de mettre en place l’administration du département des Deux-Sèvres. Élu président du district de Melle en 1790, il devient maire de Saint-Martin-lès-Melle en 1794.
Parallèlement, il acquiert des biens nationaux, surtout d’origine ecclésiastique.
Pendant toute cette période, il continue à échanger avec ses neveux sur la situation de ses caféières qui le préoccupent beaucoup.
Aux colonies, les ateliers d’esclaves s’insurgent, dont celui de Fond-Baptiste. En 1796, les caféières sont incendiées. Au vu des dépenses que leur coûte l’occupation de l’île, les Anglais décident de séquestrer toutes les plantations des colons absents. Les caféières de Jean-Baptiste ne sont pas épargnées et sont mises en adjudications.
Jean-Baptiste meurt en 1798. Sa fille, qui avait épousé l’un de ses cousins Pierre Andrault, perd une partie de sa fortune coloniale mais les acquisitions des biens nationaux de son père ont solidement établi sa richesse en France. Installée au château de Chaillé tout proche, après avoir quitté le logis du Petit-Bois, elle assiste à « cette fin du monde créole de Saint-Domingue », qu’elle avait connu enfant.

Bien sûr, rien ne laisse supposer que notre colon Jean-Baptiste ait un lien avec le nom du lieu où reposent mes ancêtres mais la généalogie n’est-elle pas faite d’imaginaire à partir de faits, petits ou grands, supposés ou avérés…

Sources :
Livre de la Société historique, tome 10.
Bulletin municipal Vivre à Melle n° 80 – octobre 2008.
Article Nouvelle République « Sur les traces d’un esclave »

5 commentaires sur « N comme (la) Négrerie et Négressauve »

  1. Merci Jacqueline pour ce bel article qui relie St Martin les Melle et St Domingue. Je ne sais pas si vos ancêtres vivaient vers la Nègrerie depuis longtemps. Certains des miens ont vécu à la Métairie de la Nègrerie dépendant des Challiers, à l’époque des Dragonnades. Ils étaient descendants de la famille BONNET, protestants notoires. Les deux couples qui exploitaient alors cette métairie ont abjuré en 1681 mais d’après les registres de la taille, il semble qu’ils aient été malgré tout surtaxés. Il faut dire que le propriétaire alors de la métairie de la Nègrerie et du château de Chaillé, Daniel de Saint Quintin de Blet, Seigneur de la Touche, n’a lui abjuré qu’en décembre 1685. Il a résulté de cette période très difficile pour les paysans que 3 des 4 adultes formant les 2 couples de métayers sont morts pendant l’hiver 1685-1686, et le 4ème est mort en novembre 1686. Ils étaient catholiques alors et ont été inhumés dans le petit cimetière près de l’église de St Martin les Melle. Leur ont survécu 3 adolescents.

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