C comme Chapelière

Un texte de Michèle Rivière

Saint-Laurs en bref

Saint-Laurs est une petite commune rurale du nord-ouest du département des Deux-Sèvres, proche de la Vendée, composée de plusieurs villages, disséminés autour du bourg. Les premiers recensements des Laurentins montrent une population aux alentours de 500 habitants en 1830. Le nom de Laurentin vient du nom latin Sanctus Laurus au XIe siècle et Sanctus Laurentius au XIIe d’après Bélisaire Ledain dans son ouvrage Dictionnaire topographie du département des Deux-Sèvres. Puis du XVIIe siècle jusqu’à nos jours, on trouve différentes écritures comme Saint-Laur, Saint-Lors et Saint-Laurs. Entre 1840 et 1920, la population augmente pour atteindre 1 300 habitants probablement avec le développement des extractions minières, diminue à leur fermeture, et se maintient actuellement autour de 500 habitants.

La chapellerie, les fondateurs

La chapellerie n’est pas non plus étrangère à cette augmentation de la population. Si, souvent, la chapellerie est moins connue que les mines, elle mérite cependant que l’on s’y intéresse car elle a permis à des femmes de travailler hors de chez elles. Fondée par Astié et SICOT en 1881, aux Landes, elle est transférée au village de la Rampière en 1883 par Gustave Julien Edmond SICOT. La chapellerie étant située à la Rampière, je ne m’intéresserai qu’à ce gros village en sachant qu’au fur et à mesure des années, des chapelièr(e)s habitaient certains des autres villages de Saint-Laurs. En 1881, 16 chapelièr(e)s, domicilié(e)s dans plusieurs villages de Saint-Laurs, y travaillaient. Les employé(e)s sont jeunes et on peut imaginer les garçons préférant travailler à la chapellerie pour échapper à la mine et les filles pour ne pas être servantes. Et au fur et à mesure, les anciennes ouvrières laissèrent la place aux plus jeunes. Gustave Julien Edmond SICOT était chef d’atelier, tandis que Jean Pierre Marie Fortuné Astié était fabricant de chapeaux.

 Gustave Julien Edmond SICOT épouse en 1883 à Saint-Laurs Marie Marguerite Sénéchaud, née en 1863 à Faymoreau (85). Un contrat de mariage est fait le sous le régime de la communauté auprès de Maître Lecompte Marius à Coulonges.

Jean Pierre Marie Fortuné Astié est né en 1849 à Roumégoux dans le Tarn.  Il est veuf de BéLY Rose Cécile, décédée en 1893 à Saint-Laurs et s’est remarié avec LANGUILLAUME Marguerite Marie en 1899 à Bressuire et dont il a eu deux enfants. Il a été fait un contrat de mariage chez Maître BARRION à Bressuire. Il n’est pas déposé aux Archives. Il décède en 1921 à Coulonges-sur-l’Autize.

En 1886 parmi les 401 habitants de Saint-Laurs, il y avait 9 chapelièr(e)s. Cette même année, SICOT reste seul propriétaire. En 1891, le nombre des chapelièr(e)s passe à 10. SICOT avait fait construire un atelier à Roc-Cervelle de Béceleuf pour la fabrication de la matière première, c’est-à-dire le feutre par foulage et mise en forme.  En 1901, Gustave Julien Edmond SICOT était toujours patron, n’employait plus que 6 chapelièr(e)s habitant à la Rampière. En 1906, SICOT n’avait plus que 4 chapelièr(e)s, plus son fils et les deux frères Gustave et Arcène GAUDIN.

Il n’y a pas eu de recensement entre 1912 et 1936. En 24 ans, il se passe beaucoup d’évènements. Préférant se tourner vers la prospection du charbon, Gustave Julien Edmond SICOT a cédé la chapellerie à l’un de ses employés, Arcade Magloire Marcellin GAUDIN entre 1906 et 1922 qui lui-même la confie en 1926 à ses deux fils Abel et Maurice GAUDIN. En 1936, 4 chapeliers sont recensés dont les 2 nouveaux patrons : Abel Firmin Gustave et Maurice Arcade Constant GAUDIN, fils d’Arcade Marcellin Magloire GAUDIN et BAILLET Marie Louise, déjà présents sur le recensement de 1906. Ainsi nait la Société Gaudin Frères ne fabriquant plus que des chapeaux en feutre, souples et melons, pour hommes.

Ils figurent dans les recensements de 1946 à 1975. En 1949, les avaient rejoints Serge, le fils de Maurice, né en 1923 à Saint-Laurs et marié avec Renoux Lainé Armande, née en 1920. Serge GAUDIN a créé Les établissements Gaudin. En 1962, il était seul chapelier. Maurice Arcade Constant est décédé en 1955 à Saint-Laurs et Abel a cessé ses activités. Avec Serge, travaillaient 2 nouvelles chapelières jusqu’en 1975.

En 1975, l’activité de la chapellerie s’est diversifiée puisque Serge GAUDIN est devenu fabricant de casquettes. Son fils, François est apprenti casquettier avec 7 chapelières. Ce savoir-faire à la française était une référence. De grandes marques de vêtements passaient des commandes. Des articles étaient vendus dans l’ouest de la France et à Paris. Son fils ne voulant reprendre l’entreprise, il l’a vendue en 1986 à un confrère qui s’est retrouvé en difficulté à cause de la concurrence étrangère et a dû délocaliser dans un pays émergent.

Ce fut la triste fin de la chapellerie de Saint-Laurs qui pendant un siècle a donné du travail à des femmes et des hommes et a participé au maintien de la démographie dans la commune.

En plus de la chapellerie, Serge GAUDIN s’est beaucoup investi dans la vie de la commune de Saint-Laurs. D’abord conseiller municipal en 1959, il a été maire de la commune de 1963 à 2001. Tout au long de ses mandats, il n’a cessé de vouloir moderniser la commune, restaurer les bâtiments anciens et améliorer la vie des Laurentins. Ainsi, il a fait construire en 1980, la salle des fêtes, qui porte son nom, et en 1981, le stade de football. Il avait créé en 1976 le centre d’activités pour les aînés appelé Club des Aînés.

Serge GAUDIN et son épouse sont décédés à Coulonges-sur-l’Autize ; lui en 2014 à 91 ans et elle en 2013.

Une chapelière

Le thème du challenge de cette année 2020 est une femme, son métier, sa vie, sa famille. Je fais des recherches sur la famille ROUX de Saint-Laurs et c’est tout naturellement que je me suis intéressée à la vie de Victorine Marie Guillemet, née le 3 octobre 1868 à la Rampière de Saint-Laurs. Elle était la fille aînée de Victor Joseph, charpentier, et de PENOCHET Marie Madeleine, couturière et épicière à la Rampière au recensement de 1891. Mariés en 1867, ils ont eu 4 filles et 2 garçons. Dans les communes où il y avait des écoles, les garçons étaient séparés des filles. Victorine est peut-être allée à l’école privée de filles de la Rampière, ouverte en 1874 par M. Casimir Morisset, maire de l’époque, et tenue par une religieuse, ou à l’école du lieu-dit le Creux-Rouge ouverte en 1875. Là encore, l’école était privée, tenue par des sœurs à la demande de la société des fours à charbon, principale financeur des travaux. En 1882, les lois Jules Ferry ont rendu l’école obligatoire et laïque, permettant à tous les enfants d’apprendre à lire, écrire et compter. Ce fut le départ des religieuses enseignantes. L’école de la Rampière est devenue communale en 1884. Victorine vivait chez ses parents et elle a été chapelière à la Rampière de 1886 à 1891.

Depuis toujours, les femmes ont participé activement aux travaux nécessaires à leur vie et celle de leur famille. Les hommes ont largement dominé la société en termes de métiers et de pouvoirs. Les fonctions des femmes restaient la maternité, les tâches ménagères et à la campagne, les travaux agricoles. Le poids des coutumes et de la religion décourageait les femmes à avoir une activité professionnelle. De ce fait, la femme ouvrière était devenue une figure scandaleuse parce qu’elle était salariée. Elle voulait être indépendante et échapper à son tuteur naturel, son mari. Au XIXe siècle, le secteur de grand emploi féminin était le textile. Mais les femmes percevaient un salaire inférieur de moitié à celui des hommes pour le même travail. Les conditions étaient difficiles compte tenu de la chaleur dans les ateliers et du nombre élevé d’heures de travail. À la maison, les femmes continuaient de travailler. Elles étaient mère, épouse, s’occupaient des soins du ménage, souvent des animaux et aidaient aux travaux des champs.

Pendant la Grande Guerre, dans tous les domaines de la société, les femmes ont remplacé les hommes partis au front. Elles sont devenues chef de famille et ont prouvé aux hommes qu’elles pouvaient les remplacer. Certaines sont restées seules. Les femmes réclameront plus de droits. Elles n’obtiendront le droit de vote qu’en 1944, alors que d’autres pays impliqués dans le conflit de la Seconde Guerre mondiale l’avaient attribué bien avant la France.

Le métier de chapelier était ancien. La corporation figure dans Le Livre des Métiers écrit par Étienne Boileau, prévôt des marchands, à Paris, au XIIIe siècle. Il y avait des chapeliers de feutre, de coton, de paon. En 1578, à Paris, la corporation fut définitivement organisée. Elle avait son propre blason et sa devise : D’or aux chevrons d’azur, accompagnée de trois chapels de cardinal, les cordons de chacun huppés de trois pièces.  Leurs rites d’initiation étaient des plus secrets. En 1776, elle fut réunie au corps des bonnetiers et des teinturiers. Le chapelier exerçait un métier artisanal et vendait des chapeaux pour hommes qu’il fabriquait en moulant une matière sur une forme. Le chapeau était réalisé en une seule pièce. Le mot médiéval chapel , viendrait du latin caput signifiant tête. Le chapeau a évolué d’un rôle de protection à un statut d’affirmation sociale au XIXe siècle.

À 24 ans, Victorine épouse Auguste Armand ROUX, d’un an plus âgé, le 4 juillet 1892 à Saint-Laurs. Ils ont 3 enfants, Fernand, né en 1894, et des jumeaux, Albert et Germaine, nés en 1898.  Au XIXe siècle, les femmes accouchaient à domicile, parfois avec l’aide d’une sage-femme. Compte tenu d’une hygiène précaire et de l’absence de suivi médical, nombre d’enfants mourraient à peine nés ou certaines mères ne survivaient pas à l’accouchement à cause des hémorragies ou des infections.

L’année 1898, ils étaient cabaretiers à la Rampière. À l’époque, le cabaretier tenait un commerce de vin au détail et servait à manger contre de l’argent. Auguste Armand ROUX a fait son service militaire. Sa fiche matricule, n° 1344 montre qu’il sait lire, écrire et compter. Il a été incorporé en 1888 et a accompli son service militaire dans plusieurs régiments où il a reçu le grade de caporal en 1891. Libéré des obligations militaires, il est rentré dans ses foyers en 1913.

Le café Roux de Saint-Laurs (source AD79+86)

 La mère de Victorine, Marie Madeleine PENOCHET, est décédée le 6 avril 1893, âgée de 46 ans, à Saint-Laurs. Au recensement de 1906, âgé de 69 ans, Auguste Armand ROUX était charpentier aux mines de Saint-Laurs. En 1901, Victorine était sans profession et son mari, boulanger. En 1906, ils tenaient le célèbre café Roux de la Rampière près de la chapellerie. Ils étaient aussi débitants de tabac. Mais Auguste Armand ROUX est décédé le 25 juillet 1915, 2 ans après sa libération des obligations militaires. En 1936, Victorine toujours débitante de tabac, tenait seule le café, âgée de 68 ans.  Son fils Albert, né en 1898, est coiffeur à la Rampière. Il avait épousé Emma Laure Amédée GAUDIN, sans profession, née en 1897, fille de Alisse Dieumegard et de Gustave Célestin Gaudin, lui-même fils de Félix Magloire Gaudin.

Ils vivaient avec Victorine dans la même maison, ainsi que Jean Paul, né en 1924, le fils d’Albert et d’Emma. Victorine Marie Guillemet, épouse d’Auguste Armand ROUX est décédée à 81 ans, le 16 janvier 1949 à Niort et Albert ROUX, le mari d’Emma, le 30 septembre 1957 à Saint-Laurs âgé de 59 ans.

En 1962, Emma ROUX poursuivait son travail de débitante à 65 ans. Elle est morte le 4 mai 1978 à Thouars âgée de 81 ans.      

Dans cette commune rurale, la création de cette entreprise familiale qu’a été la chapellerie a fourni du travail à des femmes et des hommes pendant plus d’un siècle. Pour les hommes, ne pouvant pas, ou ne voulant pas travailler dans les mines, cet emploi a été le bienvenu. Les femmes, avec leur revenu qui, tout en étant complémentaire de celui de leur mari, leur a permis de devenir indépendantes financièrement au cours du XXe siècle. Victorine, a été un exemple parmi tant d’autres. Même si elle n’a travaillé que peu d’années à la chapellerie, pour ensuite tenir le café Roux, elle a vécu les tout débuts de l’autonomie féminine.

Un grand merci à Mme Marguerite MORISSON-GABOREAU pour l’aide apportée au démarrage de ce travail.

Ce modeste récit est dédié à Mano et Nany les arrière-petites-filles de Victorine, chapelière à la Rampière de Saint-Laurs.

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