F comme Féminisme avant 1945

Un texte d’Albéric Verdon, Histoire de la Gâtine poitevine et de Parthenay

Le féminisme est un mouvement qui revendique légitimement l’égalité des droits entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et en tous lieux, notamment l’espace public. Il est parcouru de divers courants, dont certains très revendicatifs, qu’il serait trop long de détailler ici. Les militantes d’aujourd’hui sont les dignes héritières de toutes les femmes qui cherchèrent au cours de l’histoire à obtenir des droits équivalents à ceux des hommes, y compris en Deux-Sèvres.
Commençons par honorer toutes les veuves qui démontrèrent de tous temps que les femmes étaient capables de gérer les affaires, capables de diriger, capables d’assurer le même travail que les hommes en plus de leurs tâches de mère et de ménagère. Elles étaient soutenues par l’État en 1914-1918, mais ce ne n’était pas le cas dans l’ordinaire, et l’opprobre de la société frappait celles qui ne se remariaient pas, surtout lorsqu’elles étaient encore jeunes. Les femmes qui en avaient la possibilité financière trouvaient dans le célibat et le veuvage une liberté précieuse malgré les pressions de la société.
Même si les traces historiques sont fugaces, de nombreuses femmes considéraient bien avant la Révolution qu’elles devaient légitimement obtenir des droits égaux aux hommes. Ce combat fut lent – et il l’est toujours trop –, semé d’embûches pour celles qui osaient s’exprimer. Ces combats, ces revendications, on les perçoit dans la littérature de Deux-Sévriennes, et notamment dans des poèmes qui fleurissent dans la première presse du département. Ces textes sont parfois commentés par des femmes revendicatives, comme « Eudoxe P*** » de Thouars qui s’exprime dans Le Journal Officiel du Département des Deux-Sèvres du 8 vendémiaire an 11 et où elle fustige un franc-maçon : « Je le croyais sur sa réputation assez galant pour mieux juger des femmes & de leur esprit ».

Les femmes instruites mesurent mieux les inégalités qui les frappent, et on comprend dès lors que les autrices faisaient de l’éducation des filles une priorité de leurs demandes. C’est bien à travers cette éducation que les femmes vont pouvoir revendiquer des droits avec plus de vigueur et en s’appuyant sur des arguments pertinents. Il faudra cependant attendre la naissance de la Troisième République pour que les filles puissent toutes rejoindre les bancs de l’école, mais là encore l’égalité d’éducation mettra du temps à se concrétiser.

En Deux-Sèvres, il ne faut pas attendre la Troisième République pour que des femmes fassent œuvre revendicatrice avec subtilité. Nous ne connaissons que deux exemples localisés à Parthenay, mais nous sommes certains qu’il en existe bien d’autres en Deux-Sèvres. Dans un précédent challenge A-Z, nous avions évoqué l’histoire d’Adélaïde Victoire Mignonneau, une institutrice qui brava la tradition en faisant jouer ses élèves en public. Le maire considèrera cette éducation comme « mauvaise pour les jeunes demoiselles ». Nous pouvons également citer Marguerite-Marie-Pélagie Delbos, première sage-femme de la Gâtine à être formée à Paris, qui sera fort estimée, et qui n’hésitera pas à donner son avis dans une enquête d’utilité publique en 1829 quant à l’agrandissement de la place des Bancs à Parthenay, sujet ordinairement réservé aux hommes. C’est d’ailleurs la seule femme à s’être exprimée de la sorte dans les enquêtes que nous avons rencontrées dans nos recherches.

Avec la Troisième République, le nombre de femmes exprimant des revendications égalitaires va croître. En 1893, Gabrielle Réval insuffle ses idées de libre penseuse dans le jeune lycée niortais de filles, ce qui n’est évidemment pas du goût des familles. Peu après, à la charnière 1900, c’est Séraphine Pajaud qui va de ville en ville pour exprimer son anarchisme, ses idées de libre penseuse et de féministe. Elle donne ainsi des conférences à Niort et Thouars en 1898, Niort en 1904, Thouars et Bressuire en 1905, Épannes en 1911…

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Marguerite Martin

L’année 1912 marque le début d’un véritable féminisme militant et revendicatif en Deux-Sèvres avec l’institutrice Marguerite Brunet, épouse Martin, son ouvrage Les droits de la femme, et ses conférences à Thouars, Parthenay et Niort. C’est encore elle qui est à l’origine de la seule candidature féminine des municipales de 1912 dans le Centre-Ouest. Rachel Marliangeas, 22 ans, se présente à Thouars et 155 hommes vont voter pour elle, soit près de 10 % des voix, un exploit ! Maria Vérone, l’avocate et grande féministe française, était venue la soutenir. C’était la première militante d’envergure nationale, voire internationale à venir en Deux-Sèvres, de nombreuses autres suivront, surtout entre les deux guerres : Cécile Kahn, épouse Brunschvicg ; Marie-Madeleine Chenilleau, épouse Chevalier-Marescq ; Suzanne Grinberg ; Marcelle Kraemer-Bach, Germaine Sellier, épouse Malaterre.

Si Marguerite Martin a marqué le militantisme féminisme en Deux-Sèvres en 1912, c’est à Paris qu’elle poursuivra sa carrière d’institutrice, tout à la fois syndicaliste, socialiste – elle fait partie des huit femmes qui vont créer la section féminine du parti –, et franc-maçonne. Elle deviendra Grand Maître de l’Ordre Maçonnique Mixte International « Le Droit Humain ».

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Marie-Josèphe Réchard

En Deux-Sèvres, il faut attendre 1927 pour qu’une nouvelle figure militante du féminisme émerge : Marie-Josèphe Sigonneau, épouse Réchard. Épaulée par Marie-Françoise-Célestine Granet, qui deviendra une ardente présidente du groupe de Saint-Maixent, Marie-Josèphe Réchard va faire preuve de beaucoup d’ardeur pour rassembler des femmes au sein de l’Union Française pour le Suffrage des Femmes. Présidente de la section niortaise et départementale, elle dirigera également le groupe régional.
Toutes ces femmes vont oser s’exposer et s’exprimer en public, vont démarcher les politiques, diffuser des tracts, coller des affiches, publier des articles et tenir des conférences. Toutes veulent le droit de vote, non pas pour avoir le « plaisir » de mettre un bout de papier dans une urne selon l’expression d’un homme à l’esprit étriqué, mais pour obtenir des droits pour les femmes et les enfants : reconnaissance, respect, égalité, lutte contre les inégalités, notamment dans le domaine du travail : travail égal / salaire égal. Il s’agit encore de réclamer une égalité en matière d’éducation, combattre la misogynie, l’alcoolisme, les taudis, la prostitution, aider les filles mères, obtenir le droit à la contraception…
Pour le droit à l’avortement, peu de femmes osaient le réclamer avant 1945, et le droit de disposer librement de son corps est un combat difficile que certains acteurs de la société d’aujourd’hui tentent de remettre en cause, parfois avec l’aide de femmes.
Chaque femme devrait s’intéresser et prendre exemple sur ces pionnières qui militèrent dans des conditions extrêmement difficiles et qui obtinrent certains droits… Mais le chemin de l’égalité est encore long, les femmes, voire les hommes, devraient être davantage vigilants, car même les droits acquis peuvent être menacés. Les femmes et les enfants sont les premiers à souffrir lorsqu’ils sont retirés, souvent dans l’indifférence générale et plus encore dans celle des femmes.
Les Françaises votèrent pour la première fois pour les élections municipales d’avril 1945, voilà 75 ans. Trop de femmes ne mesurent pas les dangers qui guettent leurs droits en négligeant de voter, en laissant à d’autres les choix de leur destinée !

Bibliographie :

  • Albéric Verdon, Féminisme et suffragisme en Deux-Sèvres avant 1945, 2019.
  • Sur Gabrielle Réval : se référer aux travaux de Michel Montoux dans les bulletins de la Société historique et scientifique des Deux-Sèvres.
  • Sur Séraphine Pajaud : Florence Regourd, Femmes et militantes, 7 portraits de femmes engagées dans le combat social en Vendée, CDHMOT, 2016.

2 commentaires sur « F comme Féminisme avant 1945 »

  1. Merci à ces femmes. C’est un long combat qui se poursuit. Ma grand-mère me dirait « te rends-tu compte de tout ce que tu as pu faire ? » Et je peux dire à ma petite fille « C’est toi qui décides ce que tu seras ».

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  2. militantes, enseignantes, combattantes ou soignantes, femmes du quotidien, je vous aime !
    Et comme mes « j’aime » issus du « clic », se refusent toujours à apparaître, alors je les écris !
    Merci M. Verdon !

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