M comme Mésentente familiale à Mazières

Un texte de Mattéo MADIER

Cette histoire que je vais vous raconter commence un dimanche matin, plus précisément le 11 septembre 1921. Cette matinée là, dans la petite ferme de la Touche près de Melle, naît une petite fille, mon arrière-grand-mère Édith. Elle devient donc la quatrième habitante de cette ferme où demeurent ses parents Marcel et Alice et sa grand-mère maternelle Clémence.

Son père Marcel a 22 ans. Contrairement aux autres protagonistes, il n’est pas originaire du Mellois, il est né à Sansais, aux portes du Marais. À l’âge de 9 ans, son père décède brutalement. Sa mère se retrouvant alors enceinte de 7 mois doit élever seule ses quatre autres enfants. Marcel, étant l’aîné et ayant presque l’âge de travailler, est alors envoyé chez ses oncles et tantes près de Melle, les époux Rousseau, dont nous aurons l’occasion de parler plus tard. Ce village, il ne le quittera plus. Alice quant à elle a 20 ans, elle a passé et passera toute sa vie dans sa ferme familiale de la Touche à Mazières-sur-Béronne où sa famille est implantée depuis le XVIe siècle. Elle aussi a perdu très jeune son père. Celui-ci est mort en 1915 n’ayant pas supporté de ne pas avoir de nouvelles de son fils envoyé au front, bien que celui-ci soit vivant, il s’est pendu dans la ferme familiale.

Alice et Marcel se sont donc connus dans leur jeunesse à Mazières. Leur histoire commune commence à la fin de la guerre. Malheureusement, Marcel de la classe 1898 est envoyé au front en 1918. Alice l’attend et les deux correspondent jusqu’à ce que Marcel revienne. Les amoureux se marient donc le 1er décembre 1920 à la mairie puis dans l’église de Mazières-Sur-Béronne et dix mois plus tard naît Édith. Le début de l’histoire pourrait nous faire croire que la famille suivra la fameuse maxime des contes « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » mais malheureusement ce n’est pas le cas. Une seule photo nous montre ce peu de temps de bonheur, la voici.

Image originale de fin 1921. Sur cette photo, on voit la famille unie avant qu’elle se déchire. Tout à gauche, on peut voir Marcel puis ses trois jeunes frères au second plan. Sa mère Almarie tient sur ses genoux Edith, juste née. À droite d’Almarie, on a la tante de Marcel puis Alice et tout à droite l’oncle de Marcel.

Dans un journal de 20 pages qu’Alice nous a laissé, elle nous raconte comment cette histoire s’est finie en drame familial.

Alice et les époux Rousseau ne se sont jamais entendus, on peut même dire qu’ils se détestaient, chacun traitant l’autre par lettre « d’alcoolique », « d’original » ou encore de « bourrique ». Quand Marcel et Alice ont voulu se marier, les époux Rousseau ont tout fait pour qu’ils ne se marient pas. Ceux-ci lui ont présenté d’autres jeunes filles, ont menacé de le déshériter mais Marcel a promis à Alice que, si ses oncles et tantes continuaient, ils partiraient tous les deux loin d’eux. Dans cette ambiance, la cérémonie de mariage ne fut pas très heureuse, chaque famille reprochant à l’autre le choix des plats ou des desserts. Pour atténuer les tensions, il est décidé que les époux vivront un an chez Alice puis la moitié du temps chez les époux Rousseau, l’autre moitié chez Alice jusqu’à ce qu’ils aient les moyens d’avoir une ferme indépendante.

Cependant, rien ne change et les querelles sont toujours aussi nombreuses. À Pâques 1921, Alice refuse de monter dans la voiture de la tante Rousseau, celle-ci commence alors une dispute sur la place publique du village, devant toute la population. Alice monte donc dans l’auto pour faire cesser la dispute. Une autre querelle éclate encore début avril, puis fin juin suite au refus d’Alice de demeurer chez les époux Rousseau à l’issue des « un an ». Dès lors, les époux Rousseau sont convaincus d’une chose, leur neveu doit divorcer par tous les moyens, ce que Marcel et Alice ne souhaitent pas et qui affecte beaucoup Alice. Les querelles continuent ainsi. En septembre, les époux Rousseau refusent qu’un médecin aille consulter Alice qui ne s’est pas remise de l’accouchement. En octobre une dispute éclate de nouveau devant l’église le jour du baptême de l’enfant. En décembre, une fois les « un an » écoulés, les disputes et querelles se multiplient, cette page entière ne suffirait pas pour en lister le nombre et les raisons. Marcel ne défend plus Alice et commence à suivre l’avis de ses oncle et tante. À certains moments même, des coups sont portés et le maire et le garde champêtre sont obligés d’intervenir.

Le 22 janvier 1922, Marcel quitte définitivement le domicile conjugal pour vivre à plein temps chez son oncle et sa tante. Alice doit donc s’occuper seule de son enfant et son mari la malmène, il ne vient pas voir son enfant malade, l’ignore en public, il envoie même une lettre à Alice avec un bonhomme pendu pour lui rappeler son père. Plusieurs fois le garde-champêtre puis les huissiers viennent chez Alice pour la convaincre d’aller vivre avec son mari mais rien n’y fait, la situation est bloquée.

La seule situation envisagée par les époux Rousseau et Marcel est le divorce. L’affaire passe au tribunal de Melle, chacun racontant son affaire. On y apprend notamment que les époux Rousseau avaient promis 15 000 francs à Marcel s’il divorçait et 20 000 s’il se remariait avec la jeune fille choisie par les époux Rousseau. D’autres scandales éclatent au tribunal si bien que le mari Rousseau est mis en dehors du tribunal par les gendarmes.

Au final, le divorce est prononcé par le juge, il accorde par ailleurs une pension alimentaire à Alice. Marcel fait appel du jugement, le tribunal de Niort décide d’annuler le divorce. Marcel fait de nouveau appel et la Cour d’Appel de Poitiers suit le jugement du tribunal de Niort et le divorce n’est pas prononcé.

Pendant cette procédure qui a duré plus de 11 ans, Marcel a refait sa vie, il a vécu en concubinage avec une autre femme avec laquelle il aura sept enfants. Alice quant à elle est restée dans la ferme de la Touche avec sa fille. Pendant plus d’un demi-siècle, Marcel et Alice ont demeuré à un kilomètre d’écart. Cette histoire a pris fin en 1975, au décès de Marcel, celui-ci étant toujours légalement marié à Alice, 53 ans après leur séparation.

8 commentaires sur « M comme Mésentente familiale à Mazières »

  1. Merci de nous conter cette histoire même si elle nous semble incroyable de nos jours mais hélas les rancunes étaient tenaces autrefois ! Mais alors, au décès de Marcel en 1975, Alice a-t-elle hérité ? Ce serait incroyable également mais possible ?! Ginette.

    Aimé par 1 personne

  2. Bravo Mattéo ! J’ai du mal à écrire « Belle histoire », pourtant j’ai eu du plaisir à découvrir celle d’Alice qui a eu bien du mérite. Tu nous écriras l’héritage pour l’année prochaine ?

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire