P comme Pugny

Un texte de Jean-Philippe Poignant, association « Les amis du château de Pugny »

La photographie qui illustre cet article a été prise en 1938. On y voit une scène de la vie rurale d’avant-guerre à Pugny, petite commune qui compte alors 320 habitants, dans le canton de Moncoutant, à 15 kilomètres au sud de Bressuire.

Nous sommes à l’intérieur de la cour d’un château dont les origines remontent au XIe siècle.
La légende de la photographie précise : « Vieux château de Pugny : le porche. Relevant autre fois de la baronnie de Bressuire en 1598, les Demauroy furent les derniers seigneurs. Il fut incendié juste avant les guerres de Vendée ».

À travers le porche, on voit au loin le bocage et un « balé » (petit hangar construit avec les moyens du bord). Le fronton extérieur, non visible sur la photographie, porte la date de 1557 et les armes de Guy de Sainte-Maure, alors seigneur de Pugny.  

La légende de la carte prête à discussion. Le château a-t-il été détruit par les flammes avant les guerres de Vendée ou alors au tout début ?

En tous cas, après sa destruction, ce lieu est devenu au début du XIXe siècle une exploitation agricole de 60 hectares, une des plus importante des environs. Pour une période qui va jusqu’aux années 1920, cette ferme ne va accueillir que deux familles de fermiers : les BEAUJAULT des environs de 1805 à 1905, puis les BOISSONNEAU. Ils seront aidés par de nombreux domestiques et journaliers.

Après la guerre 1914-1918, l’exploitation a été divisée en trois fermes d’une vingtaine d’hectares et abrite trois familles avec des logements et des dépendances séparés. Ces familles apparaissent sur la photo en compagnie de leurs chiens et d’une paire de bœufs…

Dans les années 1930, le site est donc occupé par :

  • la famille de Camille POIGNANT, marié à Jeanne MORISSEAU. Ils vivent avec la mère de Camille, Berthe, veuve depuis 1929, et son oncle André POIGNANT, célibataire handicapé depuis l’enfance par la polio ;
  • la famille de Raoul POIGNANT, frère de Camille, marié à Marie NOURRISSON ;
  • la famille d’Albert MERCERON marié à Marie MARTIN.

Les personnes présentes sur la photo de 1938 de gauche à droite :

  • André POIGNANT (1888-1972) ;
  • Berthe PAPOT-POIGNANT (1882-1956), sa belle-sœur, veuve de Marcel POIGNANT (1878-1929) ;
  • Marcel POIGNANT (1932-1964), fils de Camille ;
  • Gisèle MERCERON-ROY (1921- 2021), fille d’André MERCERON ;
  • un domestique inconnu ;
  • trois enfants : Raymonde POIGNANT-GUILLOTEAU (1932), fille de Camille ; Madeleine POIGNANT-BOIZUMEAU (1932-2004) et  Monique POIGNANT-TEMPÉREAU (1935), filles de Raoul.
  • Jeanne MORISSEAU-POIGNANT, femme de Camille (1909-2000) ;
  • Raoul POIGNANT (1909-2003) et Camille POIGNANT (1906-1992) tous les deux fils de Berthe PAPOT-POIGNANT ;
  • Rémy POIGNANT (1936) fils de Raoul ;
  • Marie NOURISSON-POIGNANT, femme de Raoul (1911-1984) ;
  • Albert MERCERON (1894-1975).

La famille MERCERON-MARTIN, originaire de la commune voisine de La Chapelle-Saint-Laurent, est présente à Pugny depuis une vingtaine d’années. 

En revanche, la famille POIGNANT, bien qu’originaire de la commune voisine de Chanteloup, est présente à Pugny depuis au moins 200 ans[1]. Ce sont les liens de cette famille avec l’histoire du château que nous allons maintenant développer. 

Camille et Raoul POIGNANT savent-ils que leurs ancêtres Pierre POIGNANT (1720-1780) et Louise GIRAUDON (1734-1815) étaient domestiques au château depuis les années 1740 ? Le souvenir en a probablement été perdu. 

Leur acte de mariage du 20 avril 1762[2]  nous fait pourtant découvrir pour la première fois l’orthographe actuelle du nom de famille. Fait rare pour l’époque, la femme signe clairement son nom, mais pas son mari qui est illettré.

Louise GIRAUDON est en fait la femme de chambre de la marquise de MAUROY. Cette famille de vieille noblesse militaire champenoise a acquis le domaine de Pugny en 1731. Elle en a fait sa résidence de campagne et y séjourne souvent. 

Louise est issue d’une famille de bordiers de la paroisse voisine de Largeasse où plusieurs métairies appartiennent à de MAUROY. Il semble bien que ce soit au contact des occupants du château qu’elle ait appris à lire et écrire. Tous les autres membres de sa famille sont illettrés.

Pierre et Louise POIGNANT vont avoir ensemble 8 enfants dont 5 atteindront l’âge adulte :

  • Henry, né en 1763 ;
  • Pierre André, né en 1764 ;
  • Augustin, né en 1765 ;
  • Marie Louise, née en 1768 ;
  • Joseph, né en 1773, ancêtre de Raoul et Camille POIGNANT.

Louise deviendra veuve en 1780. Tous ses enfants seront employés au château et y apprendront à lire et à écrire, sauf Augustin qui semble souffrir d’un handicap mental. Henry s’occupera du bétail du domaine, Marie Louise deviendra femme de chambre de la fille de MAUROY et se mariera au régisseur Jean Clément CENDRE. 

La Révolution va obscurcir le ciel du bocage bressuirais. Des tensions politiques autour du commerce des blés[3] puis de la constitution civile du clergé[4] vont créer progressivement un fort sentiment de défiance à l’égard des autorités révolutionnaires. Fin 1791, le marquis de MAUROY, opposant aux évolutions antimonarchiques de l’Assemblée nationale, prend le chemin de l’émigration avec sa famille.

À partir d’avril 1792, la déclaration de la guerre à l’Autriche provoque le besoin d’hommes pour partir aux frontières. Le 22 juillet 1792, une loi sur la patrie déclarée en danger encadre le recrutement de volontaires par commune et par canton. S’il n’y a pas assez de volontaires, on procédera à un tirage au sort parmi les hommes célibataires de 18 à 40 ans. Cette procédure appliquée dans le contexte politique et religieux dégradé du bocage bressuirais va provoquer en août 1792 une très grave révolte.   

Le dimanche 19 août à Moncoutant (à 5 kilomètres de Pugny), est organisé la désignation des volontaires pour six communes. Plusieurs centaines de jeunes hommes sont réunis. Ils se révoltent contre les autorités locales, désarment les gendarmes présents et saccagent la maison de PUICHAUD du VIVIER, notable acquis aux idéaux révolutionnaires. Une partie des révoltés se dirige alors vers le château de Pugny pensant y trouver des armes.

Le régisseur Jean Clément CENDRE les empêche d’envahir le château mais leur remet un drapeau puisqu’il n’y a pas de fusils[5]. Les révoltés ne vont pas se disperser et passent probablement la nuit sur place.

Le lundi 20 août, la révolte s’étend et ce sont plusieurs milliers de paysans qui s’assemblent alors autour du château[6]. Les frères POIGNANT de Pugny sont identifiés parmi les meneurs des insurgés[7].

Cette troupe va retourner le mardi 21 août à Moncoutant puis se diriger vers Châtillon-sur-Sèvre (l’actuelle Mauléon) et Bressuire sous la direction de Gabriel BAUDRY d’ASSON, officier de petite noblesse de la commune de Saint-Marsault. Après plusieurs combats meurtriers à Mauléon, Rorthais et Bressuire, l’affaire se termine par l’écrasement de la révolte aux moulins de Cornet, commune de Terves, le vendredi 24 août. Le bilan de l’insurrection est d’au moins 250 morts.

Mais le château de Pugny, qui vient d’entrer dans l’histoire comme lieu de révolte, va également être parmi les victimes. Ce même vendredi 24 août 1792, les gardes nationaux vendéens de Pouzauges, La Châtaigneraie et Fontenay-le-Comte l’investissent, pensant y trouver un groupe de révoltés. Mais il n’y a que des femmes. Les gardes nationaux pillent alors puis incendient le château[8].

Le retentissement de ces événements est national. Cette révolte est considérée comme le prélude de la grande insurrection vendéenne qui embrasera la région à partir de mars 1793.

Les dépendances du château sont à leur tour incendiées en octobre 1793[9]. La guerre civile va faire baisser de 40 % la population de Pugny. Louise GIRAUDON-POIGNANT y perd son fils Henry, son gendre Jean-Clément CENDRE et deux de ses frères. Ses fils Pierre-André et Joseph seront plus tard récompensés pour leur action dans les combats aux côtés des Vendéens. 

Les ruines du château sont vendues comme bien national en 1798, tout d’abord à un commerçant niortais puis en 1802 à un riche notable républicain de Moncoutant.

Au début des années 1800, les dépendances sont reconstruites et transformées en exploitation agricole. Les premiers métayers sont alors Jacques et Perrine BEAUJAULT, avec leurs cinq fils.

Mais les lieux gardent leur réputation de foyer de révolte. En 1818, un rapport de gendarmerie  soupçonne des complotistes de l’affaire du « Bord de l’eau » de s’y réunir[10].

Quatre générations de BEAUJAULT vont occuper la ferme du château pendant tout le XIXe siècle. 

Camille et Raoul POIGNANT sont doublement issus de cette famille puisque leurs grands-mères paternelles et maternelles étaient nées BEAUJAULT.

Cette famille quittera le château vers 1905, mais les POIGNANT le réinvestiront dès la fin des années 1920.

Au moment de la photo en 1938, la famille de Camille et Raoul est donc présente sur ce site pratiquement en continu depuis 200 ans.

Le site du château est alors le lieu d’une vie rurale intense. Les battages de plusieurs fermes des environs s’y effectuent dans la cour tous les étés.

À partir des années 1980, le site du château sera progressivement abandonné. Les bâtiments devenus inadaptés à une exploitation agricole moderne ne seront plus entretenus par les propriétaires. Le dernier occupant, un petit fils de Raoul POIGNANT, quittera les lieux en 2012. 

En 2023, alors que le château de Pugny à l’abandon tombe en ruine, les terres de l’ancien domaine seigneurial sont toujours exploitées par les descendants de la famille POIGNANT. La relève est aujourd’hui assurée par l’installation de jeunes d’une vingtaine d’années. Ils sont la neuvième génération à cultiver ces terres ancestrales.


[1] 1729, acte de baptême de Louise Marianne Pougnaud, AD 79 en ligne, Pugny, BMS 1709-1762 vue 36/132

[2] AD 79 en ligne, Pugny, BMS 1709-1762 vue 130/132

[3] 3 juin 1790, perquisition du château par la garde nationale de la Chapelle Saint-Laurent sans aucun résultat. BNF cote L B39-11488

[4] Refus de prestation du serment à la constitution civile du clergé par l’abbé Guillon, curé de Pugny. Il bascule dans la clandestinité à partir de mars 1792. AD 79, Mémoire de maîtrise de Pascal Paineau, Le clergé paroissial du district de Châtillon sur Sèvre, page 61.

[5] Casimir Puichaud, Histoire d’un drapeau vendéen, 1898, pages 8 et 9.

[6] AN F7 3695/1-10 diffusés par AD 85 en ligne, vues 5 à 10/10.

[7] Déposition de Mathurin Guillet de Saint-Jouin-de-Milly lors du procès des insurgés. AD 79 L2 supplément U6

[8] Casimir Puichaud, Histoire d’un drapeau vendéen, Casimir Puichaud, 1898, page 19.

[9] Demande d’aide à la reconstruction de 1811. AD 79 1M606.

[10] Document transmis par M. Xavier Maréchaux. Courrier du chef d’escadron de la gendarmerie des Deux Sèvres.  AN F7 3695/2.

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