Q comme Quand des photos manquent à mon moulin !

Un texte de Laurence GABARD

Il est un moulin qui m’est cher, qui m’a conquis d’un seul regard. C’est un moulin que je vois chaque jour et qui m’interpelle parce qu’il a un vécu, une histoire à me raconter, à nous raconter… C’est un moulin à eau qui ne fonctionne plus depuis les années 1960 mais il a fonctionné jusqu’à cette date. Et en 1960, il y a forcément des photos de ce moulin, des alentours, de son ou ses meuniers. Ma quête est en cours depuis une bonne année, je ne pouvais pas, en ce challenge « A à Z photographie 2023 » ne pas l’aborder. Qui sait, peut-être pourrez-vous m’aider…

Un moulin du Thouet bien caché… à tout point de vue !

Difficile d’imaginer aujourd’hui qu’il y a quelques centaines d’années, le Thouet faisait tourner 50 moulins à eau, un par kilomètre, depuis sa source près de Secondigny jusqu’à Airvault ! De Gourgé à Saint-Loup, on comptait 12 moulins sur environ 8 km : le pont de Gourgé, le moulin Neuf, le moulin de Vernoux, le Gué, Rochemenue, Bouchet, Boussin, Rolland, Remué, Rochette-Brémaud et deux moulins à Saint-Loup (la Roche et les Poulies). Ces 12 moulins figurent sur la carte de Cassini de 1750. Cachés derrière les arbres et du fait de l’encaissement de la vallée, certains de ces moulins ont été longtemps d’accès difficile particulièrement ceux de Bouchet, Rolland et Remué.

Le moulin dont je vous parle, c’est justement le moulin de Remué à Saint-Loup-Lamairé.

Grâce aux informations recueillies dans une publication de l’association Richesse et protection du patrimoine d’Airvault-Saint-Loup, nous connaissons quelques éléments de  son histoire. « Au XVe siècle, le moulin de Remué appartient à l’Abbaye d’Airvault puis devient moulin banal de la châtellenie de Crémille. Il a été arrenté par Louis Gouffier, comte de Caravas, baron de Saint-Loup, seigneur de Crémille. En quelle année ? À qui ? Nous l’ignorons. La rente était de 80 livres, 4 chapons et 2 oyes grasses. Nous savons que la rente a été transmise et divisée en deux. Aux environs de 1660, Laurent et Jacques Granger, alors meuniers à Remué, ont amorti la moitié de la rente. En 1667, l’autre moitié appartenait à Jean Demange, marchand à Bloye. Le 16 avril 1667, après des transactions compliquées avec les Granger, Demange promettait de les libérer de cette rente de 40 livres, 2 chapons et une oye grasse. Cela se passait au logis de Sainte-Catherine à Saint-Loup à 10 heures du soir. On peut supposer après un bon repas. » Le 20 mai 1718, à l’étude de Maître DESRAGE à Saint-Loup, le moulin de Remué est vendu par Jeanne COUTIN à Pierre DEZANNEAU. En 1769, Jean GUION ou GUYON est le premier à Remué d’une famille qui gardera le moulin pendant 200 ans jusqu’en 1960.

Un moulin familial avant tout, histoire de vies : familles GUION (GUYON), DEZANNEAU…

Jour de fête à Saint-Loup ce 31 janvier 1769, les cloches de l’église sonnent : c’est jour de noces entre meuniers des familles GUION et DEZANNEAU. On va manger, chanter, danser jusque bien tard et même le lendemain, c’est sûr ! Jean GUION, 31 ans, meunier à Beaulieu-sous-Parthenay, comme son père, prend pour épouse Marie-Françoise DEZANNEAU, 24 ans, fille de  Pierre DEZANNEAU, marchand puis meunier tout comme son grand-père…  Est-ce le grand-père de Marie Françoise qui a acheté le moulin de Remué en 1718 ? Rien n’est sûr mais on peut y penser…Un mariage qui fait les affaires de Jean qui peut ainsi non seulement avoir une belle et travailleuse épouse, aguerrie au travail des moulins mais qui obtient aussi un moulin à son propre compte ! Pour Marie-Françoise, aînée de la famille, un choix peut-être de sa famille, pour garder l’exploitation du moulin familial ? Ses deux frères ont choisi un autre métier : François René est vigneron et Pierre Antoine boulanger. Mariage de cœur ou de raison, ils s’installeront à Remué cette année-là, ils en deviendront propriétaires et dès le 2 novembre, ils deviendront parents d’un petit Jean René. L’année d’après verra l’arrivée d’un deuxième bébé, année qui voit aussi une crue remarquable du Thouet qui endommagera sans doute le moulin comme ceux de ses voisins… Lorsque Jean décède à 47 ans, Marie-Françoise prend le relais avec ses enfants. Au recensement Voltaire (Saint-Loup) en 1796, elle est appelée la Veuve GUYON, elle a avec elle 6 de ses enfants âgés de 14 à 26 ans et un domestique. C’est le plus jeune de ses enfants qui prendra la suite, Antoine François. A noter que l’écriture de leur patronyme va évoluer au cours des années, parfois GUYON, GUION et même DION. En ce qui concerne l’activité, lors du recensement des moulins (1809), la production de farine est celle d’un petit moulin (une seule meule) mais comme pour la plupart des moulins, il y a aussi un moulin à vent. Les deux produisaient la même quantité de farine. Il faut s’occuper non pas d’un moulin mais de deux, complémentaires en fonction du temps. Quel travail quand on voit cet environnement si escarpé avec des rochers granitiques et que l’on sait l’éloignement de ces deux moulins !

Le lien entre les GUYON et les DEZANNEAU reste très fort. Ces deux familles sont des familles de meuniers du Thouet. Après Antoine François (1781-1857), ce sera Henri Antoine (1811-1850) puis Henri Antoine (1841-1871), tous des GUYON qui feront vivre tour à tour le moulin de Remué. Ils ont dû en laisser des litres de sueur mais aussi passer de bien bons moments pour qu’ils soient réellement installés et implantés dans ce terroir pendant si longtemps.

Arrêtons-nous sur ce dernier, Henri Antoine (1841-1871). Le 25 septembre 1866, à 25 ans, il épouse à Gourgé Marguerite Clotilde BOULIN, 21 ans. Ils auront 3 enfants : Jean Théophane (1867-1940), Hilaire Pierre (1869) et Marcel Gustave (1871). Ce dernier, né fin février ne connaîtra quasiment pas son père qui décède le 4 avril 1871 à 30 ans. Que s’est-il passé ? Un accident ? Une maladie ?  L’inventaire des biens qui suit ce décès pourrait inquiéter : les dettes sont supérieures à l’actif car des dépenses considérables ont été faites pour une maison d’habitation. Deux prés sont vendus aux enchères publiques. Ils viennent de la succession d’Adélaïde MÉNARD, la mère d’Henri Antoine GUYON. Les prés sont vendus 8 030 francs, les dettes de la succession sont payées et le surplus employé, la moitié en réparations urgentes, l’autre moitié  placée avec intérêts à 5 % au profit des 3 enfants mineurs. La veuve n’a pas à s’inquiéter de l’avenir, elle possède personnellement une maison et une borderie à Gourgé d’une valeur de 10 110 francs (héritage de ses parents Pierre-Hilaire BOULIN et Marie-Julie SOMMOREAU). Toutefois pour poursuivre l’activité liée au moulin, elle se marie en 1872 avec son garçon meunier qui n’est autre qu’un DEZANNEAU : Pierre. Elle place son frère Pierre-Hilaire BOULIN comme garçon meunier à Remué. Si les meuniers étaient sans doute un peu plus riches que les paysans, ils étaient aussi proches et solidaires. Ils se mariaient souvent entre eux. Les DEZANNEAU et les GUYON  le prouvent pour Remué ! Et coïncidence ou pas, on retrouve notre Pierre DEZANNEAU ; si ce ne peut être le même (ça c’est sûr), un descendant sans nul doute !

Vers 1960 : Le moulin cesse d’être en fonction !

En 1893, Théophane GUYON meunier à Remué, épouse Louise CHESSÉ, fille de feu Jean Aristide CHESSÉ, meunier à Rochette-Brémault. Le futur aura 2 000 francs en argent comptant, plus ses effets et linges, la future 1 800 francs en argent comptant, plus ses effets et linges (100 à 200 francs en moyenne chez les paysans). Toujours selon les témoignages de l’association précitée, « jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la grande lessive une fois par an, la « buée » en patois se faisait en septembre à Remué pour les femmes de Crémille. Elle durait une journée : bavardage, pique-nique sur l’herbe, linge qui sèche sur les coteaux. C’était une journée inoubliable pour les femmes et pour les enfants qui se baignaient dans la rivière. Le meunier de Remué, Théophane GUYON, dans les années 1900-1920, « chansonnait » ses concitoyens avec beaucoup de verve. Dédaignant la vie politique qui passionnait ses meilleurs amis, il occupait ses loisirs à rimer. Il avait la dent dure, n’épargnait personne. Ceux qui l’ont bien connu fredonnent encore des bribes de ses chansons. » On imagine sans peine l’inspiration qui devait être la sienne dans ce joli coin, où la solitude devait être propice à la réflexion…

Son fils Raoul prend la suite et dans les années 1930, il aura lui un camion, usagé certes mais quel progrès ! Il connaîtra avec son fils Jean la fin de l’activité du moulin dans les années 1960. Raoul est né le 16 octobre 1897 à Remué, il y habitait lors du recensement de 1946 et sans doute jusque dans les années 1960, date d’arrêt du moulin en fonctionnement. Il est décédé le 7 février 1969 à Saint-Loup-Lamairé. Marié avec Berthe CHAPERON, il a eu 3 enfants nés entre 1921 et 1924. Jean a travaillé dans le moulin lui aussi puisqu’on a trouvé de vieux papier avec son nom.

Ce sont sans doute les descendants de Giselle (mariée avec Roger HÉRAULT en 1944), de Paulette (mariée avec Gaston BILLEAU en 1945) et de Jean (marié avec Yvette BONET en 1949) qui peuvent avoir des photos souvenirs de Remué !

Quand des photos manquent à mon moulin, et bien lançons une bouteille à la mer (ou dans le Thouet !) pour récupérer des photos certes mais aussi des souvenirs et échanger sur ce petit patrimoine local. Alors si vous êtes descendants des GUYON (GUION, DION) ou DEZANNEAU, si vous habitez Saint-Loup, Crémille et les environs, si vous avez des informations sur le moulin de Remué et sa vie d’avant, je suis très intéressée… Et dans tous les cas, j’espère vous avoir fait voyager agréablement dans la vie passée d’un moulin du Thouet.

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