S comme Saint-Mérault et ses tricoteuses

Un texte de Jeannette CHESSÉ

Saint-Mérault est un quartier de Boismé, sans aucun doute le plus ancien. Il doit son nom à un moine Mérault (Mayrulphus) envoyé par l’abbé Généroux (Generosus) de l’abbaye d‘Ension (près de Saint-Jouin-de-Marnes) au VIe siècle afin de le mettre à la tête d’une chapelle. Mérault y fonda une communauté qui adopta la règle monastique de saint Benoît. Il aurait aussi construit plusieurs oratoires sous le même vocable que celui d’Ension : un oratoire voué à saint Pierre, un à Notre-Dame et un à saint Jean, si bien qu’à Boismé il y avait quatre lieux de culte religieux. Mérault mourut prieur ou abbé de Boismé et fut enterré dans une église qui plus tard porta son nom.

Le quartier de Saint-Mérault a la forme d’un « U » et toutes les habitations ont leurs façades principales qui donnent sur une cour commune, tournant le dos à la rue qui le longe. C’est dans une de ces habitations que je suis née et au-dessus de la porte sur le linteau de granit est inscrite la date de 1709. La maison voisine avait une porte d’entrée en forme d’ogive, ce qui indique une construction ancienne, et de  nombreuses fenêtres gardent des montants en granit à chanfreins incurvés

 Mais, ce qui est encore plus étonnant, c’est que lorsque j’étais enfant, tous ses habitants descendaient d’un même ancêtre, Jacques Pérochon, propriétaire bordier du lieu et décédé le 24 janvier 1820 ! Si bien qu’habitaient dans ce lieu ma grand-mère, deux de ses sœurs et Marie Guignard épouse Landreau qui était une cousine. Les partages avaient été faits de telle façon que, dans l’étable attenante, chaque famille y avait en propriété une « stalle » (espace cloisonné pour séparer les animaux deux par deux). Bien sûr, il n’y en  avait plus !  Au bout habitait aussi Bibite qui  était étrangère à cette grande famille et ne se mêlait pas au groupe. Nous, les enfants, en avions un peu peur et nous devions passer devant chez elle pour pénétrer dans le sanctuaire « Pérochon ».

Toutes ces dames se réunissaient les après-midi à l’intérieur une grande partie de l’année mais, au beau temps, elles prenaient une chaise et se rencontraient à l’extérieur ! Et ça tricotait car, dans mes souvenirs d’enfant, c’est la guerre. Il y a des restrictions sur tout et sans doute sur la laine aussi. Alors on tricotait, détricotait aussi pour faire du neuf avec du vieux ! Et comme on ne trouvait pas facilement des aiguilles à tricoter, on en faisait avec des baleines de vieux parapluies !

Grand-mère nous faisait tous nos tricots depuis les maillots de corps pour l’hiver en laine de pays jusqu’aux pulls, jupes, gilets, capuches, bonnets, écharpes, gants, moufles et chaussettes. Ah ! Les chaussettes, c’était tout un art pour les tricoter avec cinq aiguilles sans s‘emmêler, tout un art aussi pour faire les talons. Et comme les talons s’usaient plus vite que la tige, on coupait et reprenait les mailles au-dessus de la cheville et tant pis si la laine d’origine n’existait plus, on prenait une autre couleur car, dans les galoches que nous portions l’hiver, ça ne se voyait pas ! À si bonne école, j’ai appris à tricoter très tôt et je sais faire tous ces tricots, même les chaussettes et les gants. J’avoue cependant que si je tricote toujours un peu, je n’ai pas fait beaucoup de paires de chaussettes et de gants !

Si les aiguilles allaient bon train, je pense que les langues devaient se dégourdir aussi. J’aimais m’asseoir à  côté d’elles d’autant plus que leur groupe s’élargissait aux tricoteuses des environs car, tricoter seule, pour moi, c’est assez ennuyeux, mais tricoter en bavardant, quand on n’a plus besoin de regarder son travail à chaque maille, c’est un bon passe-temps !

Sur la photo, je reconnais grand-mère à gauche, Marie au milieu, et la troisième personne est sans doute une de mes deux grand-tantes, celle que je n’ai pas connue  mais  je me souviens de son mari tonton Moïse.

Le temps s’en va, le temps s’en va, madame. Las, le temps non, mais nous nous en allons ! (Ronsard)

3 commentaires sur « S comme Saint-Mérault et ses tricoteuses »

  1. Bonne évocation d’un temps révolu
    Paroisse de ma famille maternelle et quartier que j’ai visité plusieurs fois
    …….. et Perrochon nom d’un prix Goncourt oublié (Ernest, deCourlay) des années 20
    J’aime!!!!!!

    Aimé par 1 personne

  2. Faire et défaire, c’est toujours travailler !
    J’ai connu cette période où il fallait tout « retravailler », que ce soit les tricots mais également les vêtements tant il manquait de tout. Ronsard déjà avait vu juste !!! Merci

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire