Un texte de Sylvette BRIZARD
Une photo retrouvée dans le grenier de mes parents…
Elle a retenu mon attention. Mais pourquoi est-elle présente à travers ces différents documents ?
Après réflexion, je pense que ma mère m’a souvent parlé de ses lointaines origines avec des familles de tisserands depuis des générations.
Mais pourquoi ai-je retrouvé cette photo dans un livre intitulé « Mari et Femme autrefois en Poitou » de Nicole MORIN ?
Madame DARMANI, Présidente du Musée de la coiffe qui a eu l’amabilité de me prêter ce livre suppose qu’il pouvait s’agir d’une représentation folklorique du travail d’autrefois au cours des fêtes de village car la photo se situerait vraisemblablement vers 1920 comme en témoigne l’habillement des jeunes femmes.
Nous pouvons observer la grand-mère avec sa quenouille qui étire le chanvre. Le fil disposé en fuseau est ensuite enroulé autour du dévidoir grâce à des rotations par la première jeune femme puis la seconde va défaire l’écheveau qui constituera la pelote. Le grand-père tisse alors le filet qui pouvait servir pour piéger les oiseaux. Cette photo représente les étapes du tissage.
Toutefois, auparavant, il fallait trouver la matière première, le lin ou le chanvre lequel d’après les textes restait abondamment cultivé dans le Poitou où chaque famille entretenait à côté du jardin sa chènevière bien labourée et fumée. Une fois récolté, il était mis à rouir dans les fossés, séché, broyé, à l’aide du « machour » qui dégrossissait et de la « beurghe » qui fignolait, puis passé au séran, travail du filassier. Toutes ces étapes précédaient le filage à la maison.
Il faut noter que le filage incombait essentiellement à la femme qui filait souvent à la veillée quand elle disposait de temps libre. La quenouille l’accompagnait même dans les champs pour ne pas perdre un moment.
Le tisserand n’intervenait qu’après ces diverses tâches comme le montre la photo. Il fabriquait une forte toile où se taillaient les draps de lit, les nappes de tables, les chemises et diverses pièces (tabliers de cuisine, blouses de travail et les sacs utilisés à la maison et dans les champs).
Il travaillait de l’aube jusqu’à la tombée de la nuit. Le chanvre n’ayant aucune élasticité, contrairement aux fibres animales comme la laine, restait difficile à tisser et demandait la maîtrise d’un geste expérimenté. D’autres parts, l’environnement devait procurer fraîcheur et humidité afin que les fils ne cassent point. Ces conditions expliquent l’insalubrité du milieu de travail dans une cave ou un sous-sol humide dans un air chargé de poussières en suspension à l’origine de nombreux cas de phtisie cotonneuse. Des gestes répétitifs avec le bruit incessant du claquement des navettes de bois ponctuaient ses journées laborieuses. D’une façon générale, les enfants de la famille l’aidaient en préparant les pelotes de fil sur le rouet pendant que l’écheveau se déroulait sur le dévidoir. Afin de continuer le métier et pour des raisons économiques, ces enfants successifs ont vraisemblablement servis d’apprentis très jeunes encadrés par leur père et la famille proche qui jouait un rôle car j’ai constaté que les hommes se mariaient avec des filles de tisserands. Ainsi cela évitait d’embaucher un apprenti, ce qui aurait contribué à diminuer leur maigre salaire.
Le tisserand pouvait également se déplacer avec son métier afin de se rendre dans des foyers plus riches où la matière première lui était fournie. Il y restait le temps nécessaire à la confection du linge et des vêtements destinés à la famille.
Pour revenir à la photo, j’ignore l’identité de ces personnages car à cette époque, mes ancêtres du côté maternel avaient cessé le tissage depuis 1889.
Toutefois c’est l’occasion de se replonger dans le passé.
Je réussis à remonter jusqu’en 1713 où plusieurs générations de tisserands (au moins quatre) se succèdent comme le précise le tableau ci-dessous.
Sosa 7 | Emma MOUZIN (ma grand-mère) née le 8/1/1900 | X 3/3/1921 Saivres | Émile BUSSENEAU (mon grand-père) né le 4/11/1884 | Sosa 6 |
Sosa 14 | Alexandre MOUZIN né le 20/12/1863 Garde-Champêtre | X 7/10/1890 Saivres | Julie CAILLEAUX née le 3/9/1878 | Sosa 15 |
Sosa 28 | Jean MOUZIN né le 5/6/1828 Tisserand | X 9/12/1858 Saivres | Suzanne GOUBEAU née le 8/9/1836 | Sosa 29 |
Sosa 56 | Charles MOUZIN né le 15/3/1782 Tisserand | X 7/2/1810 Saivres | Jeanne-Julie GAULTIER née le 13/8/1788 | Sosa 57 |
Sosa 112 | Jacques MOUZIN né le 20/10/1750 Tisserand | X 6/2/1781 Saivres | Marie SENECHAULT née le 11/3/1759 | Sosa 113 |
Sosa 224 | Jean MOUZIN né vers 1713 Tisserand | X 2/9/1749 Saivres (ont abjuré à la même date) | Maixente BONTEMPS | Sosa 225 |
Comment ont-ils vécu ?
Les actes de succession retrouvés témoignent de leur pauvreté.
Toutefois, la dernière génération avait acheté divers terrains autour du village et possédait des animaux afin d’améliorer l’ordinaire. Une vache et quelques chèvres complétaient un salaire dérisoire.
Au décès de Jean MOUZIN, son épouse et son fils n’ont pas repris le métier. Cela correspond au déclin de la profession du 19e siècle avec l’apparition d’ateliers de tissage industriel.
Ces derniers fabriquaient une toile aussi solide mais de meilleur aspect. Elle nécessitait moins de soin et de peine et permettait de fabriquer 120 fois plus de draps qu’avant.
C’est ainsi qu’une autre époque était née avec ses progrès et la toute-puissance de la concurrence. La disparition de ces métiers au début du 20e siècle marque toutefois l’amélioration des conditions de vie et surtout la perspective d’un avenir meilleur.
Mais le souvenir reste et on ne peut qu’admirer ces êtres courageux qui savaient vivre modestement.
Merci de ce témoignage qui, s’il le fallait met en valeur tous ces valeureux métiers de nos anciens !
Que de travail pour si peu, juste de quoi manger souvent.
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Les conditions de travail de ces métiers du tissage, fileurs de laine, cardeurs, tisserands, étaient très difficiles. Merci de nous le rappeler.
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