H comme Hélène Colin épouse Mayer

Un texte de Patrice Huleux

1915 : la guerre, celle que l’on appellera plus tard la Grande Guerre est là, aux portes de Paris. Les Parisiens ont peur : ils veulent fuir la capitale au profit de la campagne. Et parmi eux, deux femmes apparentées à la famille des Gennetières de Niort, vont venir se réfugier à Coulon, dans une maison sur le halage devenu le quai Louis Tardy, au numéro 64.  Nos deux Parisiennes sont la mère 68 ans et la fille 37 ans. Cette dernière étant née le 3 juillet 1878 à Paris 10e au domicile de ses parents 66 rue du Faubourg Poissonnière. Son père est dessinateur.

Mais de qui s’agit-il donc ? De Mme COLIN née BODSON et de sa fille Hélène COLIN, connue plutôt des anciens Coulonnais sous son nom de femme, Mme MAYER, mais qui a toujours signé ses toiles du nom de COLIN-LEFRANCQ. Elle épouse Charles Léopold MAYER à Paris le 21 octobre 1926. Aucun acte d’état civil, la concernant, ne porte le nom de LEFRANCQ.

Dès lors, Coulon abritait une grande artiste qui restera de longues années locataire de cette maison au bord de l’eau car, après la guerre, elle y revient en vacances chaque année. Elle vécut à Coulon durant la Seconde Guerre mondiale. C’est là que Jacques ALTMEYER-CARRIO dit Jacky, historien coulonais fait sa connaissance, ses parents et surtout sa grand-tante étant devenus ses amis. Sa mère posait pour elle durant de longues heures notamment pour le goûter au Marais exposé au salon des artistes français en 1934.

Mme MAYER a donc été conquise par la beauté du Marais. La preuve est là, sous nos yeux, concrétisée par un grand nombre de tableaux (40 exposés en 1942 à la Galerie Aubert) et notamment ceux des mairies de Coulon, Magné et Niort sans compter des œuvres se trouvant chez des particuliers.

Coulon et la Sèvre niortaise
Les lavandières

Mme MAYER était sans conteste une grande bourgeoise, raffinée certes, mais possédant un caractère bien trempé ne faisant pas de concession sur la tenue, le langage, la politique. Elle était surtout curieuse sur plus d’un point, on pourrait même dire contradictoire. À soixante-deux ans, tous les matins d’été, elle prenait son bain à la « cale » devant chez elle en maillot 1900. Très pudique bien sûr, elle ne faisait que se tremper quelquefois et remontait enveloppée dans son peignoir que tenait sa bonne, l’inénarrable Mme Jeanne, dévouée mais rouspéteuse.

Notre artiste était très lente pour tout. Le dimanche, elle n’apparaissait à la grande messe que tardivement, en général lors du prêche, avec des bruits de porte, des pas hésitants, des prie-Dieu renversés, ce qui mettait en rage le curé Dupont. Elle se plaignait du froid de l’église mais très pratiquante elle n’aurait jamais manqué un office. Par contre une fois les vêpres terminées, Mme MAYER et sa bonne Mme JEANNE, malgré le froid donnaient une « conférence » sous l’avancée de la petite porte au grand désespoir du curé.

Mme MAYER se plaignait de tout, sur tout ; il faut dire que, durant la guerre, les motifs étaient nombreux. On sentait la « bourgeoise » qui, auparavant à Paris, avait tout son confort, elle qui vivait rue Bassano, puis plus tard 1 rue François 1er à Paris VIIIe dans un très grand appartement. Or à Coulon, aucun confort à l’époque et les hivers de guerre 40-41 et 41-42 furent particulièrement froids.

Sans son œuvre picturale, certainement importante, mais dont nous ne savons le nombre (existe-t-il seulement un catalogue ?), cette artiste reconnue serait tombée dans l’oubli, raison pour laquelle j’écris ces quelques lignes comme un devoir de mémoire avec l’aide de Jacques ALTEMEYER-CARRIO, historien coulonnais, l’ayant connue et appréciée. Cependant son œuvre est cotée au guide Akoun (1998) cote des peintres au niveau de 20 000 francs. Madame COLIN-LEFRANCQ a vendu le Marais poitevin d’une manière aussi juste, aussi lumineuse, dans la traduction des verts au soleil couchant, lorsque ses rayons obliques inondent le marais d’une lumière tamisée. Voilà la raison pour laquelle notre artiste partait en bateau assez tard l’été vers 16 heures pour saisir sur le vif cet enchantement.

Pour satisfaire votre curiosité il suffit de relire les articles de critiques non moins érudits, parus dans le Mémorial des Deux-Sèvres, ou le Petit Courrier, ce dès 1926, où les talents de notre peintre sont mis en valeur : « Depuis plusieurs années beaucoup de peintres ont essayé de traduire le Marais de chez nous, mais tous ne l’ont pas compris… tout y est rendu avec vérité… tous les personnages sont vivants » (Petit Courrier du 31 mai 1944) – « Je pense que les plus élogieux compliments s’adressent surtout à ses talents de paysagiste »  (Mémorial des Deux Sèvres du 4 mars 1943) etc.

Sans bruit, comme elle était venue dans les années 15, elle disparut de Coulon, pour mourir certainement seule, le 8 juin 1968 à l’âge de 90 ans à Maisons-Lafitte. Elle est enterrée dans le caveau de sa famille au cimetière de Montmartre près de la place Clichy à Paris (19e division, 1re ligne, n°11 avenue Dubuisson). Pour mémoire, la mère de notre artiste est décédée à Coulon, quai Louis Tardy, le 21 août 1935.

Mais si la femme est oubliée, l’artiste restera vivante encore longtemps je l’espère. Si Mme MAYER est inconnue, Madame COLIN-LEFRANCQ vit encore grâce à ses nombreuses toiles qui ornent les mairies et intérieurs coulonnais et même au-delà je suppose. Une place de Coulon porte son nom depuis 2010 et l’énigme du nom de LEFRANCQ reste toujours à découvrir.

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