Q comme Quatre femmes

Un texte de Marie-Isabelle Femenia

Écrire sur les femmes en généalogie : une idée intéressante, mais difficile à mettre en pratique. J’ai eu la chance il y a quelque temps d’écrire avec Généa79 un article qui me tenait à cœur sur Marie JACOB, une ancêtre du XVIIe siècle, marchande publique, c’est-à-dire exerçant une activité commerciale indépendante de son mari, et qui a eu parmi ses descendants le député Léopold GOIRAND, lequel s’est battu pour mener à bien la première loi permettant aux femmes de disposer de leur salaire en 1907. N’ayant rien trouvé que de très banal dans les professions de mes autres ancêtres, j’ai décidé de parler de leur vie de femme, d’épouse, de mère, et de continuer avec une famille que je pensais bien connaître. J’ai donc choisi de parler des trois épouses de Guillaume GODEFROY, fils de Marie JACOB, et de la mère de la troisième épouse, de la même génération que les deux premières. Leur vie n’a pas été un conte de fée dans le sens « Ils se marièrent, eurent beaucoup d’enfants, et vécurent très longtemps ». Des naissances, il y en a eu beaucoup, mais aussi beaucoup de décès d’enfants, des décès de conjoints, des remariages, un enfant naturel, des veuvages, des mariages tardifs. Ces vies commencent sous le règne de Louis XIV et seront marquées par de grandes décisions de ce règne : création du port de Rochefort, Révocation de l’Édit de Nantes. Elles se poursuivront plus ou moins au fil du XVIIIe siècle, jusqu’aux règnes de Louis XV, Louis XVI, et jusqu’à la Révolution pour la plus jeune. L’histoire se déroule majoritairement à Niort avec une grosse parenthèse à Rochefort.

Guillaume GODEFROY

Le lien entre ces femmes est Guillaume GODEFROY, né en 1680 à Niort, baptisé en la paroisse Saint-André, fils d’Isaac GODEFROY, marchand tamiseur (fabricant de tamis en crin de cheval), venu de Fleury dans la Manche, et de Marie JACOB, pure niortaise, marchande de poteries. Guillaume sera pratiquement toute sa vie teinturier, marchand teinturier en fil, marchand filletier, et un peu aubergiste.

Françoise MARCHET (1679-1717)

Françoise naît à Niort et est baptisée paroisse Notre-Dame en décembre 1679. Son père François et ses deux grands-pères, François MARCHET et André VIAULT, sont maîtres cordonniers à Niort. Elle est la troisième d’une fratrie de onze enfants, dont six arrivent à l’âge adulte, quatre décèdent en bas âge et un à 21 ans. Tout naturellement à 23 ans en 1703, elle épouse un cordonnier niortais, Estienne HILLAIRET. Comme ses sœurs, Catherine et Marie, et ses frères, Françoise sait signer son nom. Les filles signent volontiers MARCHETE, féminisant les noms à la manière poitevine. Estienne et Françoise ont un fils et quatre filles entre 1704 et 1710, dont deux enfants en 1704 (un en janvier et un autre en décembre). Ils perdent leur fils aîné François à l’âge de 2 ans en 1706. Suite à des éruptions volcaniques en 1707 et 1708 (Mont Fuji, Piton de la Fournaise, Vésuve, Santorin), commence en janvier 1709 ce qu’on a appelé le « Grand Hiver », un hiver extrêmement rigoureux suivi de toute une année 1709 fraîche. Arrivent d’abord des maladies bronchopulmonaires, puis par suite de mauvaises récoltes et d’enchérissement des denrées, de la malnutrition. Enfin, sur les organismes affaiblis, s’abattent les épidémies de maladies infectieuses : fièvres typhoïdes, rougeole, petite vérole, dysenteries. On compte 600 000 morts de plus que d’ordinaire entre 1709 et 1710. Les petites Françoise et Catherine, 4 ans ½ et 2 ans ½, décèdent à quelques jours d’intervalle en août 1709 sûrement d’une conséquence du Grand Hiver. Leur père Estienne décède vers 1710-1711.

La vie continue pour Françoise. Le 25 janvier 1712 à Saint-Florent (aujourd’hui intégré dans Niort), elle épouse Guillaume GODEFROY, son cadet d’une année. Entre fin 1712 et début 1717, naissent deux filles et deux garçons. Mais en 1713, Françoise a la douleur de perdre Suzanne Godefroy âgée d’un jour, en 1714 Marie Jeanne Hillairet 6 ans ½, en 1716 Louis Godefroy 16 mois, en 1717 Françoise Godefroy 2 jours, avant de rendre l’âme à son tour huit jours après son neuvième accouchement, à l’âge de 37 ans. Elle laisse Marie Magdeleine issue de son premier mariage âgée d’à peine 7 ans, et Guillaume François issu de son deuxième mariage âgé de 4 ans. La curatelle de Marie Magdeleine qui a perdu ses deux parents est organisée par un conseil de famille, regroupant quatre personnes du côté paternel, et quatre personnes du côté maternel (le grand-père et trois oncles). C’est Jean HILLAIRET, oncle paternel, qui devient curateur de Marie Magdeleine. Sans doute dès lors vit-elle avec sa famille. Hélas elle décède le lendemain de son 32e anniversaire, célibataire. Seul Guillaume François aura une descendance, neuf enfants dont deux ont laissé une postérité, Louise Charlotte, mon ancêtre, et Jacques, ancêtre du député Léopold GOIRAND.

Marguerite GUERINEAU (1669-1740)

Marguerite naît à Migré, dans le Nord-Est de l’Aunis en 1669, moins de deux ans après son frère Pierre. Son père Anthoine est charpentier. Et leur vie va changer. Louis XIV souhaitait créer un port militaire et un arsenal sur la côte Atlantique qui en était entièrement dépourvue entre Brest et la frontière espagnole. Des prospections sont engagées dans l’embouchure de la Charente. Brouage ? Abandonné par la mer ! Soubise ? Près d’un écueil ! Tonnay-Charente ? Le lit de la rivière est rétréci ! à Rochefort, la rivière est profonde, large, parfaitement encaissée, mais Rochefort est un tout petit village. En 1666, les travaux de dessèchement du marais, de défrichement, puis de constructions commencent. Et toute une population arrive, 15 000 à 20 000 personnes en seulement 5 ans. Parmi eux, entre 1669 et 1674, Anthoine GUERINEAU, Marie ARSONNEAU et leurs enfants, ainsi que Sébastien GUERINEAU et Marguerite ARSONNEAU, oncle et tante, parrain et marraine de Marguerite. Anthoine et Sébastien, charpentiers, vont apprendre le métier de charpentiers de navire.

Pour moi, touriste, avec l’Hermione, l’immense Corderie Royale plus longue que la Tour Eiffel n’est haute, les bords de la Charente, Rochefort me fait rêver. Mais la vie dans le port de Rochefort au XVIIe siècle n’est pas une vie de rêve. La famille doit loger dans une cayenne : petite maison légère construite en bois, en parler rochefortais. Le sol des habitations est en dessous du niveau de la rue non pavée où l’eau croupit.  Avec l’entassement, les effluves du fleuve, les miasmes des marais environnants, l’insalubrité est grande. Les fièvres et épidémies sont endémiques. L’eau potable est rare. Les ouvriers sont obligés d’utiliser l’eau de leur puits, si voisins des fosses d’aisances que les matières contenues dans ces fosses y filtrent. Peu à peu l’Intendant BEGON cherche à améliorer la vie des habitants, mais ça va être long. En plus, il y a toujours à craindre une attaque du port par les Anglais, et les maladies apportées par les bateaux. À 21 ans, Marguerite épouse Pierre SIMONNEAU, fils d’un charpentier de gros œuvre d’Aigrefeuille-d’Aunis, âgé de 46 ans, deux fois veuf, maître charpentier des vaisseaux du Roi entretenu au port de Rochefort, c’est-à-dire titulaire d’un contrat à l’année (une sorte de CDI). Pierre semble avoir été allié avec Benjamin CHAILLE, le constructeur du premier bateau de Rochefort d’après le CG Aunis. Au contrat de mariage de Pierre et Marguerite, plusieurs femmes amies de Marguerite signent, dont Elisabeth VINCENT épouse de Michel GUESDON, procureur du Roi. L’hiver 1693-1694 est très rude, l’été suivant très humide. Cela va provoquer une hausse des cours des céréales, une grande famine, et 1 300 000 morts en France, avec une épidémie de typhoïde. Un professeur de l’École de Médecine navale de Rochefort du XIXe siècle, ayant étudié les écrits des médecins rochefortais de l’époque, prétend qu’à Rochefort toutes les épidémies se sont déchaînées en même temps : rougeole, variole, typhus et peste apportés par les bateaux. C’est pendant cette période, en début d’année 1694 que Marguerite met au monde son premier enfant prénommé Pierre qui décède 13 jours plus tard. Deux autres Pierre suivront en 1696 et 1697. Il n’en restera qu’un en 1718 et j’ignore ce qu’il est devenu par la suite. Pierre SIMONNEAU père décède en 1700. Mais Marguerite résiste.

Marguerite se remarie en 1702 à l’âge de 32 ans avec Jean PICHON, blanconnier de 28 ans. Sept enfants naissent entre 1703 et 1712. Je n’ai pas trouvé tous les actes de décès mais aucun enfant n’avait survécu en 1718. Le premier est décédé à Ardillières et le troisième à Saint-Hippolyte, des villages pas très éloignés de Rochefort, sans doute en nourrice, les quatrième et septième sont décédés à Rochefort. Tous ces décès concernent des enfants de 6 à 8 jours. Pourquoi cet âge ? Les bébés sont-ils prématurés ? Marguerite manque-t-elle de lait ? La pollution de Rochefort y est-elle pour quelque chose, d’autant qu’à cette pollution s’ajoute celle du métier de blanconnier, tanneur de petites peaux ? Est-ce à cause de cela que certains enfants sont envoyés à la campagne ? Marguerite était-elle en proie à un dilemme terrible : envoyer ses enfants à la campagne où ils risquaient de mourir de manque de soins, ou les garder et les perdre à cause de l’insalubrité ? Jean PICHON lui-même décède en 1713 à l’âge de 39 ans. Mais Marguerite résiste.

En 1714, Marguerite épouse un boulanger, Pierre CHARRIER, veuf d’Anne ROY. Il ne sait pas signer mais ses deux épouses signent. Ce n’est pas un inconnu. Anne ROY et sa fille ont été marraines des enfants PICHON. Pierre et Marguerite se connaissent bien et sont tous deux veufs depuis peu. Mais leur union ne dure guère. Pierre décède à son tour. Et Marguerite résiste toujours.

En 1718, elle convole pour la quatrième fois en l’église Saint-Louis de Rochefort. Je ne sais pas comment elle a connu Guillaume GODEFROY qui vit à Niort. Vend-il ses productions à Rochefort puisqu’il est marchand filletier ? Il est veuf depuis 19 mois. Pourquoi épouse-t-il une femme qui a 11 ans de plus que lui ? Il n’a qu’un fils d’à peine 6 ans. Sa descendance n’est pas assurée. En épousant une femme de 49 ans, il sait qu’il n’aura pas d’autres descendants. Il ne doit pas non plus très bien la connaître, n’habitant pas la même ville. Apporte-t-elle de l’argent ? Craint-il de voir mourir en couches une autre femme, ou de voir naître et mourir d’autres enfants ? Cherche-t-il avant tout une bonne mère pour son fils ? Lui a-t-on vanté le courage et la douceur de Marguerite ? Et Marguerite a-t-elle envie de quitter Rochefort où elle a connu bien des malheurs ? A-t-elle envie d’avoir un petit garçon à élever alors que l’unique fils qui lui reste est devenu adulte ? Guillaume et Marguerite vont vivre ensemble pendant vingt-et-un ans, avant que Marguerite ne quitte ce monde à l’âge de 70 ans. J’ai envie de croire que Marguerite a vécu une période de paix, de tranquillité à Niort après tant d’années difficiles à Rochefort. J’ai envie de croire qu’elle a été heureuse avec ses deux Guillaume. J’ai envie de croire que Guillaume François l’a aimé comme une mère, d’autant qu’il s’est retrouvé, chose rare à l’époque, fils unique, avec une mère toute à lui, débarrassée des grossesses et des deuils.

Gabrielle GENDRON (1706-1791)

Gabrielle naît en 1706 à Vallans, au sud-ouest de l’actuel département des Deux-Sèvres, à une vingtaine de kilomètres du lieu de naissance de Marguerite. Elle est la quatrième des douze enfants de Jacques GENDRON et Hélie GUION dont je reparlerai. Je l’imagine passant une enfance heureuse au milieu de ses nombreux frères et sœurs. Mais bien que sa famille doive avoir une certaine aisance, elle ne semble pas avoir appris à lire et à écrire. Pourtant certaines de ses sœurs signent. À 31 ans, elle n’est toujours pas mariée, mais enceinte. Une petite Marie qui va être appelée Marie Anne, naît et grandit. À 5 ans, elle a enfin un père par le mariage de Gabrielle et Guillaume. Mais Guillaume est-il le père biologique ? Au moment de la conception de Marie Anne en 1737, il était marié. Bien sûr, à l’époque Marguerite était âgée, peut-être malade. Mais pourquoi avoir attendu trois ans après son décès pour épouser Gabrielle ? Et du côté de Gabrielle, pourquoi avoir pris le risque d’avoir un enfant avec un homme marié de 57 ans ?

Je ne pense pas que Guillaume soit le père biologique. Mais Marie Anne grandissant, il a bien fallu lui trouver un père. On a fait appel au réseau familial pour trouver la perle rare. Vous vous souvenez de Jean HILLAIRET, le curateur de la petite Marie Magdeleine. Et bien il est allié à la fois avec la famille GENDRON et avec Guillaume GODEFROY. Son épouse s’appelle Suzanne GENDRON et est la demi-sœur de Jacques, le père de Gabrielle. Jean HILLAIRET a été témoin au mariage de Jacques GENDRON et Hélie GUION, et au mariage de Guillaume GODEFROY et Françoise MARCHET. Et Guillaume coche toutes les cases. Bien sûr, il est plus âgé que Gabrielle, mais c’est inévitable dans cette situation. Il a un commerce. Il était jusque-là teinturier, et le voilà devenu aubergiste. Il n’a qu’un enfant, c’est important pour l’héritage, et cet enfant se marie le 7 janvier 1743, 3 mois ½ avant son père. Gabrielle n’aura pas de beaux-enfants à la maison. Pour Guillaume qui a toujours épousé des femmes veuves et qui avaient eu plusieurs enfants, le fait que Gabrielle ait un enfant ne devait pas poser trop de problèmes. Mais passer d’une femme de 11 ans de plus que lui à une femme de 25 ans de moins que lui, en voilà un changement ! Et pour Guillaume François un terrible changement, voire une trahison. Mais qui a trahi l’autre le premier, Guillaume François en se mariant et quittant Niort pour Celles, le village de son épouse. Ou bien Guillaume qui avait choisi de ne pas donner de petits frères et sœurs à Guillaume François, en se remariant et en plus en lui donnant une demi-sœur qui n’en serait sans doute pas vraiment une.

Guillaume et Gabrielle vont avoir trois autres enfants. Les deux garçons sont apparemment décédés jeunes, et la fille Marie Gabrielle a sans doute été proche de sa sœur aînée. Comme leur mère, elles ne savent pas signer. Gabrielle va les marier toutes les deux le même jour à 25 et 30 ans avec deux perruquiers, qui sont dans le haut de la hiérarchie des artisans, et qui n’étant pas de Niort, n’ont pas de mamans susceptibles de s’offusquer de l’union de leur fils avec la fille d’une femme légère. Quand Guillaume quitte ce monde à l’âge de 72 ans, Gabrielle a 47 ans, elle a été mariée pendant 10 ans, et va rester veuve pendant 38 ans, avant de s’éteindre à l’âge de 85 ans. Et Marie Anne dont la vie n’avait pas bien commencé va vivre assez longtemps (78 ans). Avant de mourir, elle va faire une donation de ses biens à ses enfants. Avec son mari, elle possédait une grande maison à Niort, rue Saint-Gelais, bien meublée avec armoires en noyer, glaces, cuivres, napperons, une borderie à Niort, rue Truie- qui-file, et des vignes à Souché.

Hélie GUION (1683 ? – 1763)

Je ne sais ni où ni quand est née Hélie, mais ce doit être vers 1683-1684. Elle porte un prénom bien protestant, et serait née à une période charnière, entre deux vagues d’abjuration massive, en 1681 puis en 1685. Hélie est un prénom qu’on peut trouver plus tard chez des catholiques ayant eu des parrains d’origine protestante. Mais je doute qu’il puisse être donné en cette période à des catholiques, et encore moins à de nouveaux convertis. Ses parents sont Jean GUION, boulanger, et Catherine COLLEAU. Je ne les ai pas trouvés dans les registres, mais j’ai trouvé un couple Charles GUION, marchand fouacier, et Marie COULLAUD, protestants à La Mothe-Saint-Héray, peut être des parents ? Alors j’ai imaginé le scénario suivant : Jean et Catherine, protestants, ont refusé d’abjurer en 1681, mais savent très bien qu’ils vont être obligés de se soumettre. Ils attendent un enfant, et décident que, fille ou garçon, il s’appellera Hélie. C’est une déclaration de foi, un appel au secours, un marqueur pour que cet enfant n’oublie jamais qu’il est né protestant !

Vers l’âge de 17 ans, Hélie épouse Jacques GENDRON, marchand de 24 ans. C’est un jeune homme prometteur. Il est marchand à Niort, puis vers 1706-1708, il est fermier à Vallans, et sans doute dans les années qui suivent à Frontenay-Rohan-Rohan, avant de revenir à Niort où il devient huissier audiencier des tailles foraines de Niort, c’est-à-dire qu’il perçoit les taxes sur les marchandises qui entrent ou sortent du Poitou. En 1718, il se rend adjudicataire de la dîme royale de la paroisse de Gourville pour 1718 à 1720, moyennant la somme de 3 350 livres par an, puis adjudicataire de la dîme royale de Nieul pendant les années 1719-1720 pour 10 000 livres par an. La dîme royale c’est d’abord un ouvrage écrit par Vauban, publié secrètement en 1707, et interdit. L’idée de Vauban était de remplacer la taille et d’autres impôts par un impôt universel, s’appliquant sur tous les revenus, sans exception pour les ordres privilégiés, progressif de 5 à 10 %, dans le but d’obtenir un revenu simple, rapide, non désagréable au peuple. En 1718, un essai de dîme royale est fait dans l’élection de Niort. Il est étendu en 1719 à la généralité de La Rochelle. Ce n’est pas vraiment le projet de Vauban, c’est plus une réforme de la taille, la taille personnelle traditionnelle et la capitation des taillables étant remplacées par une dîme au 1/10° et en nature sur les produits de la terre, et par une redevance en argent fixe sur les revenus du bétail, de l’industrie et du commerce. L’affermage se fait par adjudication publique à chandelle au plus offrant. Les adjudicataires sont exemptés du logement de gens de guerre, de guet et garde, de milice, tutelle, curatelle et autres charges publiques, et ont le droit de porter des armes à l’exception du fusil, et à condition de ne pas chasser. Au début, cette réforme est très bien accueillie. Mais très vite, elle reçoit l’opposition des privilégiés du Poitou qui ne sont exemptés que sur les terres labourables, pas sur les vignes, et qui s’opposent au droit de port d’armes des adjudicataires. Et puis la dîme et les adjudicataires deviennent vite impopulaires car 10 % pour tous c’est beaucoup, d’autant que les autres impôts ne sont pas supprimés.  L’essai n’est pas poursuivi, car en plus il y a le problème du paiement en nature avec les frais de charrois et de stockage, et le fait que l’adjudicataire est seul responsable, qu’il ne peut s’appuyer comme le collecteur de la taille sur la solidarité de la paroisse dont il est un délégué. Jacques GENDRON devait avoir beaucoup d’ambition, et un certain courage. Mais je l’imagine comme un homme dur. Avec Hélie, ils ont douze enfants entre 1701 et 1725, et Jacques décède en 1728.

Hélie ne se remarie pas. Elle profite du statut plutôt favorable de veuve. Sept de ses enfants survivent. Une chose est très curieuse, c’est que ses filles se sont mariées tard, voire très tard, ou pas du tout. Gabrielle a eu une fille à 32 ans et s’est mariée à 37 ans. Anne s’est mariée une première fois à 34 ans avec un militaire dont elle a eu un fils, et s’est remariée à 41 ans avec un huissier à la Maîtrise des Eaux et Forêts.  Marie Marguerite s’est mariée à 47 ans avec un teinturier de Libourne, et sans enfants pour s’occuper d’elle sur ses vieux jours, est décédée à l’hospice de Bordeaux. Jeanne a épousé à environ 65 ans un journalier. Il semble que Catherine ne se soit pas mariée. J’ai l’impression qu’Hélie n’a pas été heureuse en ménage, que ses filles n’ont pas voulu vivre la même vie, et qu’elle-même n’a pas souhaité leur imposer un mariage, quelles ques soient les conséquences de cette non-conformité. Je crois qu’Hélie a choisi la liberté pour ses enfants. Son fils aîné Jacques est devenu huissier comme son père. Et l’autre fils Simon ? Et bien Simon est parti pour le Canada, comme soldat semble-t-il, vers ce qui était alors un petit fort français, Fort-Pontchartrain, devenu par la suite anglais, puis américain. Il semble s’y être installé comme commerçant, et ce petit fort est devenu la grande ville industrielle aujourd’hui ruinée de Detroit. Simon Gendron dit Potvin y est décédé à l’âge de 97 ans ! Hélie quant à elle est décédée à l’âge de 80 ans après 35 ans de veuvage. Aux États-Unis, elle a sans doute des descendants protestants.

À travers Françoise, Marguerite, Gabrielle, Hélie, j’ai tenté d’approcher la vie des femmes des XVIIe et XVIIIe siècles, dans un milieu plutôt urbain, un monde d’artisans, de marchands, voire de petits notables, avec quelques interprétations, je l’espère, pas trop hasardeuses.

Sources :

  • Archives des Deux Sèvres et de Charente Maritime : registres paroissiaux et d’état civil, curatelle, contrats de mariage, avec l’aide du Fil d’Ariane
  • BOURRU Henri : Des épidémies qui régnèrent à Rochefort en 1694
  • MORISSON GABOREAU Marguerite : Poitevins au Canada aux XVII° et XVIII° siècles
  • TOUZERY Mireille : L’invention de l’impôt sur le revenu, la taille tarifée 1715-1789
  • VIAUD J.T. et FLEURY E.J. : Histoire de la ville et du port de Rochefort

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