S comme Sage-femme

Un texte de Sylvie Deborde, L’arbre de nos ancêtres

Avant le XIXe, peu de professions sont ouvertes aux femmes, mais le métier de sage-femme est une de celles qui leurs sont réservées.

Je compte plusieurs matrones dans mon arbre mais Catherine Moreau est la seule qui soit une de mes ancêtres directes. Catherine a vécu au XVIIIe siècle entre les paroisses de Saint-Pompain et de Payré-sur-Vendée (aujourd’hui Foussais-Payré), elle est ma sosa 185 à la 8e génération. Elle naît à Saint-Pompain en 1723, seconde d’une famille de onze enfants. Son père est laboureur à charrue et la famille s’installe bientôt à Nieul-sur-l’Autize dans l’actuelle Vendée. Catherine a 15 ans à la naissance de sa dernière sœur, comme beaucoup de filles, elle a sans doute déjà aidé sa mère à mettre au monde les nouveau-nés. À 24 ans, elle épouse Jean Babin, un tisserand. Elle lui donne deux enfants, mais Jean meurt peu de temps après la naissance de son fils. Catherine est une jeune veuve, pourtant elle va attendre cinq ans pour se remarier avec Jean Cadet, un laboureur de Payré-sur-Vendée. Ensemble, ils auront trois enfants. Je trouve mention de sa profession après son deuxième mariage, il est souhaitable d’être déjà mère pour devenir sage-femme.

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Anonyme flamand © RMN-Grand Palais

Elle va mettre au monde de nombreux enfants et même ses petits-enfants puisqu’elle est mentionnée sur l’acte de baptême de son petit-fils François Ripaud en tant que sage-femme et grand-mère. Catherine a peut-être utilisé les instruments qui commencent à apparaître dès le XVIIe siècle : le tire-tête à 3 branches, les leviers, les forceps, autant d’outils qui ont de quoi terroriser les parturientes ! Toutes les femmes appréhendent les instants difficiles et dangereux de l’accouchement. Il ne faut pas oublier qu’à la campagne, au cours de leur grossesse, elles travaillent aux champs et dans leur foyer. Comme toute la population, elles souffrent parfois de carences alimentaires et sont aussi confrontées aux aléas des épidémies et du climat. Elles arrivent souvent affaiblies à l’accouchement et l’enfantement est un moment à risque que l’on craint. À juste titre d’ailleurs car les parturientes sont nombreuses à mourir en couches ou dans les mois qui suivent puisqu’elles reprennent tout de suite leur travail.

Les hommes n’aiment guère se mêler des naissances, « ces affaires de femmes », mais ils souhaitent cependant garder un contrôle sur celles qui assument ces fonctions. L’église catholique va en être le garant en établissant un serment de sage-femme, serment prêté devant le prêtre et noté sur les registres d’état civil. Je n’ai pas retrouvé celui de Catherine Moreau mais j’ai celui de Louise Vapaille, une collatérale, le 5 juillet 1789 devant le curé de Sainte-Pezenne.

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Serment de sage-femme, 1789 Sainte-Pezenne (AD79 1786-an II, vue 72)

Ce serment nous apprend qu’elle est « reçue pour exercer l’office de sage-femme » et « suivant la forme prescrite dans le rituel ». L’église est d’autant plus concernée que, quand l’accouchement se passe mal, ce qui arrive souvent, les matrones doivent ondoyer les enfants, il ne faudrait pas qu’après leur mort ces nouveau-nés errent dans les limbes ! Et puis, elles sont aussi les témoins de la naissance, elles attestent de la véracité de la naissance. Être sage-femme, c’est avoir une influence dans la communauté, au-delà du rôle d’accoucheuse, c’est rendre compte au curé de la paroisse. Au XVIIIe siècle, dans les campagnes, on trouve souvent des matrones moins formées qu’en ville, on leur demande surtout d’être bonne catholique et d’avoir de bonnes mœurs, les connaissances en obstétrique sont secondaires. Catherine Moreau est sans doute une accoucheuse qui n’a pas reçu de formation préalable et qui doit se débrouiller seule en cas de naissance difficile ! Ici sans doute plus de pratiques empiriques que de connaissances médicales.

À cette époque, je croise d’autres sages-femmes dans mon arbre. Marie Françoise Baribaud qui exerce son métier à Béceleuf dans la 2e moitié du XVIIIe siècle. Alexandrine Jandet, qui met au monde des enfants à Saint-Maixent-de-Beugné dès l’âge de 27 ans (sa profession est notée dans l’acte de ses secondes noces) et vit jusqu’à plus de 75 ans dans cette même paroisse. Louise Vapaille, déjà évoquée, qui prête serment en 1789 à l’âge de 39 ans et qui exerce dans la ville de Niort jusqu’à son décès en 1822 à l’âge de 72 ans. Elle est la plus urbaine de mes accoucheuses.

C’est aussi vers le milieu de ce XVIIIe siècle que la société prend conscience de l’importance de la mortalité en couches et de ses conséquences pour la famille, la communauté et le pays. La remise en cause des matrones et parfois leur « ignorance crasse » entraîne les chirurgiens à s’intéresser à ce qui se passe lors des accouchements. Pourtant, si les accoucheuses ne sont pas toujours très compétentes, les premières interventions des chirurgiens ne sont pas forcément plus heureuses, certains n’ayant jamais assisté à une naissance !

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Le nouveau-né, Gil André. Musée des Beaux-Arts de Paris © RMN-Grand Palais

C’est pourtant le XIXe siècle qui voit le retour des hommes dans ce gynécée mais aussi le début d’une formation vers le métier de sage-femme, aujourd’hui encore en grande majorité féminin. Au XIXe siècle, je croise dans mon arbre Marie Louise Rolland et Marie Juliette Talbot qui, toutes les deux à Secondigny, exercent cette profession au moment de leur mariage. Avec elles, commence la professionnalisation, elles ont suivi une formation pour exercer leur métier. Enfin, je voudrais terminer avec Marie-Rose Renoux-Lainé, une sage-femme au XXe siècle, elle nait en 1908 et vit à Coulonges-sur-l’Autize. C’est elle qui m’a mise au monde dans la maison familiale de Saint-Laurs. Je suis la dernière à être née à la maison, mes frères après moi verront le jour à la maternité de Niort.

Sources :

Wikipédia
Hélène Lochey. Être sage-femme au 18e siècle
Jacques Gélis. Sages-femmes et accoucheurs : l’obstétrique populaire aux XVIIe et XVIIIe siècles.

4 commentaires sur « S comme Sage-femme »

  1. Que de sages-femmes ! Je n’en ai trouvé aucune dans ma généalogie. Mais nos aïeules s’aidaient beaucoup entre voisines, et parfois les bébés arrivaient avant la sage-femme. Ainsi une arrière-grand-mère a aidé plusieurs bébés à venir au monde dans des maisons voisines. Et une nuit un marchand forain est venu frapper à sa porte, alors qu’elle habitait dans une maison très isolée dans le marais près du pont du Brault, car sa femme était dans les douleurs. Mon arrière-grand-père ne voulait que sa femme y aille, mais elle n’a pas hésité. Elle a pris du linge, un peu de layette, bien qu’elle n’ait pas trop pour elle, et est partie dans la roulotte, où elle a aidé une petite fille à venir au monde. Ces forains faisaient un circuit annuel, et chaque année ils venaient montrer la petite fille à celle qui avait aider à sa naissance.

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  2. Toujours passionnantes les histoires de sage-femmes qui vivent ces moments à la fois magiques et tragiques de la naissance.
    Et cette contradiction du féminin sacré, la femme ne peut être prêtre mais peut sauver l’enfant des limbes en l’ondoyant, et elle est seule à accompagner le moment de la célébration d’une nouvelle vie.
    J’aimerais aussi pouvoir trouver le serment de mon aïeule matronne.
    Bravo pour ce billet

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  3. Sur les actes anciens, le nom de la sage-femme n’est souvent précisé que pour les baptêmes à la maison… Et on sait alors que la tâche fut difficile !
    Il fallait qu’elle soit une bonne chrétienne, mais elle devait aussi être très professionnelle. C’est toujours un magnifique métier.

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