V comme Vicissitudes

Un texte de Nathalie Guepet-Deret (Parentajhe à moé)

Tu es Modeste POUZIN, fillette en Bocage.

Tu es la petite dernière d’une fratrie de neuf enfants, née le 26 mars 1815 à Nueil-les-Aubiers, du mariage d’Alexis et de Jeanne MINDRON.
Tu es déclarée à l’état civil sous le prénom de Modeste.
Tu seras appelée toute ta vie Céleste.   

Tu es Céleste POUZIN, jeune mère en Bocage.

Tu as rencontré Louis ALBERTEAU, je ne sais comment ni où.
Tu donnes naissance le 2 mars 1838, hors mariage, à une petite fille prénommée Céleste.
Comme toi. Deux mêmes prénoms sur un même acte.
Tu as près de toi la petite Céleste, enfant illégitime, déclarée auprès de l’officier de l’état civil par ta propre mère.

Tu es Modeste POUZIN, épouse en Bocage.

Tu es Modeste, sur les papiers de l’état civil.
Tu es Modeste, et tu te maries au début de l’été 1838 à l’aube, dans ton village natal, avec Louis.
Tu deviens Modeste « épouse de », sous les yeux de tes parents, qui t’appellent encore Céleste.

Tu es Céleste POUZIN, mère à six reprises entre 1839 et 1856, en Bocage.

Tu es Céleste et tu donnes naissance à Louis, Jean Alexis, Marie Ozitée, Victoire, Alexandre et Victor.

Tu es Céleste POUZIN, veuve en Bocage.

Tu es Céleste, veuve ALBERTEAU.
Tu es la Modeste que quitte Louis, le 14 mai 1865, à « quatre heures du soir ».

Tu es Céleste POUZIN, cheffe de ménage en Bocage.

Tu es Céleste, cultivatrice en 1868 à la ferme des Fossettes à Brétignolles.
Tu es Céleste, tu élèves tes enfants et tu emploies des domestiques.
Parmi eux, Alexis Benjamin ALBERTEAU, le frère de ton époux défunt.

Tu es Céleste POUZIN, épouse en Bocage.

Tu es Céleste, attentive à la conservation de tes biens meubles. Tu fais rédiger un contrat de mariage avec Alexis Benjamin.
Tu crées ainsi, le 15 avril 1869 à Bressuire, une communauté réduite aux acquêts.
Tu te maries avec Alexis Benjamin quatre jours plus tard, ton beau-frère de dix ans ton cadet.
Tu es Céleste, tu redeviens – par amour ou par pragmatisme – « épouse de ».
Et ta Céleste, ta Célestine, devient, elle aussi, ce même jour, une « épouse de ».

Tu es Céleste POUZIN, veuve en Bocage, puis en Gâtine.

Tu es Céleste, tu perds ton second époux en décembre 1871.
Tu es Céleste, une grand-mère.
Tu vis chez ton fils Alexis et son épouse Constance, les nouveaux « chefs » de la ferme.
Tu es Céleste et c’est en femme, en veuve, en mère et en grand-mère que tu suis ton fils dans une autre exploitation à la Moinie de Chiché, quelques années plus tard.
Tu es Céleste POUZIN, tu décèdes le 29 mai 1898, à deux heures du soir, âgée de 83 ans.

Tu étais Céleste POUZIN, ou Modeste.
Tu étais Céleste POUZIN, une femme en Bocage.
Tu étais Céleste POUZIN, une femme comme toutes les femmes en Bocage.

Pourquoi toi ?
Au XIXe siècle, alors que les pères, les frères et les époux détiennent encore l’autorité de la famille, la vie d’une femme apparaît, peut-être plus que celle d’un homme, comme propice à de multiples virages et à d’incessants assemblages. Une vie de vicissitudes, en somme.
Les vicissitudes, ces transformations successives, cette ribambelle d’événements qui ponctuent la vie humaine.
Toi, Céleste-Modeste POUZIN, tu concentres une large partie des états et fonctions possibles pour une femme de ton époque et de ton milieu. Femme aux multiples facettes, tantôt Modeste, tantôt Céleste, tu as su composer avec ces différents statuts. Tu n’es pas si différente des autres, mais tu es de ces personnes qui, grâce à de petits hasards et quelques tours du destin, s’érige en exemple : je parle ici de toi, Céleste, tu n’es qu’une femme mais tu les évoques toutes.

19 commentaires sur « V comme Vicissitudes »

  1. Viscissitudes pour un « tu » qui fait des merveilles, et parle avec justesse des difficultés pour une femme à se construire une véritable identité, Alors Céleste modeste ou Modeste céleste ? Au moins gagne-t-elle une étape avec un second mari portant le même patronyme que le premier !
    Bravo pour cette belle approche !

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