D comme Dunkerque et l’opération Dynamo

Un texte de Michel GRIMAULT

La photo représente des soldats munis de gilets de sauvetage à l’avant d’un bateau. Lorsqu’elle me la présenta, ma belle-mère m’expliqua qu’elle avait été prise en juin 1940, lors de l’évacuation de Dunkerque. Elle me montra Paul, son mari, sur la photo avec son casque de tankiste. Elle ne pouvait m’en dire plus, ce qui aiguillonna ma curiosité. Je n’ai pas été déçu.

Paul était infirmier au 1er RDP (Régiment de Dragons Portés), faisant partie de la 2e DLM (Division Légère Mécanisée) qui entra en Belgique, le 10 mai 1940, pour s’opposer aux armées allemandes. Il assista à la bataille de Hannut où les chars français arrêtèrent les panzers. Ce ne fut qu’un succès éphémère, car le gros des forces allemandes entra en France par la forêt des Ardennes, pourtant réputée infranchissable par l’état-major français. Pris à revers, la 1re armée française et le Corps expéditionnaire anglais refluèrent alors vers la mer, talonnés par les Allemands.

Le 29 mai, le 1er RDP atteint les environs de Dunkerque. Toute l’armée des Flandres paraît s’y retrouver. On parle de bateaux, d’embarquement par les Anglais (c’est l’opération Dynamo).  Les véhicules et l’armement sont mis hors d’usage. On arrive à l’entrée de Bray-Dunes : le régiment est regroupé et les troupes s’installent pour passer la nuit. Au-dessus de Dunkerque, de longues lueurs rouges illuminent le ciel.

Lorsque le jour se lève, la brume protège des avions ennemis, c’est toujours ça ! Il fait froid et il n’y a plus de ravitaillement. Le 1er RDP arrive sur la plage où des milliers de soldats errent dans les dunes, scrutant la mer et le ciel. Les troupes de la 1re Armée sont dirigées vers un camp de triage (le camp du Perroquet) d’où elles seront ensuite dirigées vers les points d’embarquement.

Afin de permettre l’évacuation des troupes encerclées dans Dunkerque et ses environs, les troupes françaises s’opposent à la pression des divisions allemandes avec courage, sans espoir d’être secourus et avec un stock limité de munitions. L’opération est couverte par la Royal Air Force. Les Anglais envoient des destroyers, bien sûr, mais aussi tout ce qui flotte : dragueurs de mines, ferrys, navires de pêche et de plaisance. Les navires de guerre français participent également à l’opération.

Une bonne nouvelle : les spécialistes, comprenant les troupes des unités mécanisées, seront évacués les premiers ; mais seules les entités organisées seront embarquées. Les rescapés des trois DLM (environ 15 000 hommes) sont rassemblés en groupements de 1 000 hommes, eux-mêmes répartis en groupes de 250, encadrés par les gradés. Puis ils attendent leur départ pour Dunkerque, en ordre, abrités dans des tranchées, sous le vol des avions allemands et le feu intermittent des canons de 105 mm, car le soleil ayant dissipé le voile protecteur, les bombardements ont repris, soulevant d’énormes geysers de sable. Les hommes se terrent au fond des trous hâtivement creusés ; on y est relativement à l’abri, sauf coup au but, car les obus s’enfoncent dans le sable avant d’exploser. Histoire de se remonter le moral, Paul FOUCHIER, un gars de La Couarde, à côté de Thorigné, fait ce commentaire plein d’optimisme à Paul : « O peut ben cheure sur nous, mais ô peut ben cheure à couté atou ! ».

Dans la nuit du 31 mai au 1er juin, le 1er RDP quitte ses tranchées des dunes pour se diriger vers Dunkerque éclairée par l’incendie des docks. On traverse Malo-les-Bains, désert et en ruines, puis le pont du canal séparant Malo de Dunkerque. Les canons allemands de 105 mm pilonnent la ville et le port. Il faut se frayer un chemin à travers les décombres des maisons effondrées et les carcasses de véhicules qui encombrent les rues, enjamber les cadavres de soldats anglais ou français abandonnés sans sépultures. Les hommes atteignent le port au lever du jour. Les bassins sont encombrés d’épaves. Les avions à croix noires reviennent, pourchassés par les Spitfire et la DCA anglaise. Heureusement, les avions ennemis préfèrent s’attaquer aux bateaux : des cibles plus faciles. Les tirs d’artillerie succèdent aux bombardements aériens. Rien pour s’abriter.

Les hommes du 1er RDP atteignent leur point d’embarquement sur le quai Ouest, une longue jetée qui s’avance en mer pour fermer l’avant-port de Dunkerque, ouvert au Nord. Sur la gauche, le long du quai Est, les superstructures des bâtiments coulés la veille par l’aviation allemande émergent de l’eau couverte de mazout et de débris. Ceux-là n’ont pas eu le temps de repartir. Ces épaves gênent l’accostage des navires. En face, derrière le quai de l’Embecquetage, au fond de l’avant-port, où d’autres soldats français se pressent dans l’attente de leurs sauveteurs, un énorme panache de fumée obscurcit tout le ciel : la ville brûle. Les avions anglais ont disparu et les bombardiers allemands en profitent pour attaquer les navires qui tentent d’embarquer des hommes sur la plage de Bray-Dune. Tant qu’ils sont occupés là-bas, les hommes qui attendent sur les quais sont tranquilles. Épuisés, certains s’endorment.

Un grand navire franchit enfin l’entrée de l’avant-port. C’est le Prague, imposant et élégant bâtiment de plus de cent mètres de long, à la coque noire percée de hublots, avec deux cheminées centrales inclinées vers l’arrière. C’est un ferry anglais, une malle comme on appelle ces bateaux qui faisaient régulièrement la traversée de la Manche avant la guerre.

Le Prague

 Il accoste au môle Ouest et 3 000 hommes prennent place à bord, dans le calme et en ordre. L’équipage distribue des gilets de sauvetage, mais il n’y en a pas assez pour tout le monde. Paul en a obtenu un et l’enfile. À 9 heures, lourdement chargé, le Prague quitte le port. L’aviation anglaise occupe à nouveau le ciel et tient les bombardiers allemands à distance. Les hommes se sentent légèrement euphoriques, soulagés de laisser l’enfer de Dunkerque derrière eux. C’est presque la liberté déjà. Le ferry prend la route la plus directe vers Douvres, la route X, qui traverse les champs de mines. Ce passage est dangereux, la veille, le Bourrasque, un torpilleur français chargé de 800 hommes a heurté une mine ; il n’y a eu que 300 rescapés.

Un peu avant 10 heures 30, à hauteur du bateau fanal de North Goodwin, le Prague est attaqué par des Stukas qui plongent sur lui, toutes sirènes hurlantes[1]. Les marins du bord n’ont à leur opposer qu’une mitrailleuse légère et un fusil-mitrailleur. Trois bombes ratent le navire de peu et explosent en soulevant d’énormes gerbes d’eau. Une quatrième bombe frappe le bâtiment à l’arrière. Sous le choc, le Prague se soulève et retombe lourdement. Un marin est projeté à la mer, mais il n’y a pas d’autre victime. Les dégâts matériels, eux, sont considérables. C’est le moteur tribord qui a été atteint. L’eau s’engouffre par la brèche causée par l’impact, mais heureusement, les portes étanches sont fermées, conformément aux consignes, ce qui limite la progression de l’eau.

Le capitaine appelle à l’aide à la radio et regroupe ses passagers à l’avant pour redresser le navire qui s’enfonce par l’arrière, malgré l’action des pompes (c’est la photo). Peu de temps après, le Scimitar, un destroyer anglais, accoste le ferry en détresse et prend 500 hommes à son bord, prioritairement ceux qui n’ont pas de gilet de sauvetage. C’est ensuite un dragueur de mines, l’Halcyon, qui embarque 243 soldats français. Paul est du nombre. Un pittoresque dragueur de mines à aubes, le Queen of Thanet, embarque à son tour 1 500 français. Tous ces transbordements s’effectuent dans le plus grand calme. Les hommes plaisantent entre eux, même si certains hésitent au moment de sauter à bord des navires venus à leur secours, plus bas que le Prague. Le ferry sera ensuite pris en charge par un remorqueur[2]  et échoué sur la côte du Kent, les derniers soldats restés à bord étant évacués par des chalutiers[3].

La traversée de Paul sur l’Halcyon se termine à Folkestone, près de Douvres. Dans la gare maritime un train attend, les Français y montent : direction Weymouth. Tout le long du trajet d’aimables jeunes filles leur offrent du thé chaud, des fruits, des cigarettes, etc. Un tel accueil leur fait chaud au cœur. À Weymouth, les unités sont réparties dans des locaux scolaires et sur des terrains de sport. Les hommes peuvent se laver et se reposer. Il leur est fait une abondante distribution de légumes frais et d’oranges, bienvenus après tous ces jours d’alimentation aléatoire. Ici, c’est la paix, après l’enfer pourtant si proche : un autre monde.

Réembarqué à Weymouth le 3 juin, Paul arrive à Brest le jour même. L’accueil y est sans chaleur. Paul est alors envoyé par voie ferrée sur la région d’Évreux rejoindre la 2e DLM qui s’y trouve déjà, dans l’attente de recevoir un nouveau matériel. La guerre continue.


[1] Cette partie du récit est fondée par le témoignage du capitaine Baxter, commandant du Prague, in John
    Richards : Dunkirk Revisited.

[2] Le Lady Brassey (W.J.R. Gardner : The evacuation from Dunkirk : operation Dynamo – 26 may, 4 june 1940).

[3] Le Lady Philomena et l’Olvina (W.J.R. Gardner : idem).

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