F comme Fleurs pour Marie-Thérèse

Un texte de Claire MORISSET

À Marie-Thérèse Gachignard

Cela fait des années, que, au moment de la Toussaint, je mets des fleurs sur la tombe de ma grand-tante Marie-Thérèse. Pour être plus précise, je mets des « pensées ».
Je savais peu de chose sur elle : elle était la sœur de ma grand-mère maternelle Alphonsine, elle était très belle (les rares photos que j’avais vu  le confirmaient), elle avait été marraine de guerre de nombreux soldats pendant la guerre 1914-1918, elle était morte en couche à la naissance de son premier enfant (lui aussi décédé), et elle était enterrée à Saint-Laurs (79).
J’ai hérité de sa magnifique collection de cartes postales, et notamment de celles de ses nombreux filleuls qui lui en avaient beaucoup envoyées pendant la guerre.
Quand le challenge 2023 a été proposé sur le thème de la photographie, j’ai tout de suite su que Marie-Thérèse allait en être, au travers de ce qu’elle m’avait légué. Il me restait à choisir quel aspect m’intéressait à évoquer. J’ai rapidement trouvé.

La carte postale qui concerne les deux sœurs, a été postée le 9 novembre 1911, de Villiers-en-Plaine et représente l’église.

Je l’ai trouvé particulièrement touchante, elle est brève :

« Bons baisers. Ta sœur qui t’aime. Alphonsine.
À Mademoiselle Marie-Thérèse Gachignard, 29 Rue de Bessac, Niort, Deux-Sèvres »

Même s’il est possible que la formulation utilisée soit une figure de style, il me plaît de penser que les deux sœurs étaient proches.

J’ai cherché à comprendre ce que faisait Alphonsine à Villiers-en-Plaine (lieu à la fois représenté sur la carte postale et d’où elle a été postée) et Marie-Thérèse à Niort au 29 rue de Bessac, alors que leurs parents habitaient Saint-Laurs et qu’elles avaient respectivement 14 et 13 ans. Pourquoi étaient-elles séparées ?

Marie-Thérèse Léontine GACHIGNARD est née le 13 septembre 1898 à Chambron, commune d’Ardin, de Alphonse Baptiste Léopold GACHIGNARD (né le 8 septembre 1868 à Saint-Laurs), cultivateur et de Marie Victoire PRUNIER (née le 18 juillet 1871 à Ardin), ménagère. Alphonsine a alors 18 mois, puisqu’elle est née le 23 mars 1897, également à Chambron.

Sur le recensement de 1901, Marie-Thérèse habite avec ses parents, ses grands-parents GACHIGNARD et son oncle Auguste GACHIGNARD à la Rampière, commune de Saint-Laurs. Alphonse GACHIGNARD y est mentionné comme propriétaire exploitant. Elle est  déjà séparée de sa sœur Alphonsine puisque celle-ci habite à Ardin chez sa grand-mère maternelle Victoire DIEUMEGARD et avec sa tante Blanche PRUNIER qui a 18 ans. Pour quelle raison, je l’ignore. Était-ce habituel à cette période-là ? Comment les deux sœurs ont elles vécu cette séparation ? J’ai émis plusieurs hypothèses qui se sont révélées soit fausses, soit sans informations complémentaires pour être étayées :

  • Victoire DIEUMEGARD était chef de famille, car elle était veuve, et Alphonsine était là pour la « consoler » de son veuvage. Mais son mari, Jean-René PRUNIER est décédé le 31 juillet 1897, soit 3 à 4 ans avant le recensement de 1901. Le délai semble donc trop long.
  • Alphonse et Victoire ont des problèmes d’argent et ne peuvent pas subvenir aux besoins de leurs deux filles. C’est peu vraisemblable, car ils ont fait construire en 1928, à la Rampière de Saint-Laurs une très grande maison où les matériaux utilisés étaient de grande qualité. Cette maison fut ensuite celle de mes parents et c’est toujours un membre de ma famille qui l’habite.
  • Alphonsine est malade et, pour éviter qu’elle contamine Marie-Thérèse, elle est envoyée de Saint-Laurs à Ardin.
  • Il était habituel que l’enfant, aîné d’une famille, passe une partie de sa petite enfance chez ses grands-parents, là où il n’habitait pas habituellement.

Sur le recensement de 1906, les deux sœurs sont réunies, puisqu’elles habitent, avec leurs parents, chez leurs grands-parents GACHIGNARD à la Rampière de Saint-Laurs. Entre temps, Auguste GACHIGNARD s’est marié et vit toujours à Saint-Laurs, mais avec son épouse, dans une autre maison. Alphonse GACHIGNARD y est mentionné comme domestique chez son père. Je suis étonnée par le changement de situation d’Alphonse de «propriétaire exploitant» à «domestique» entre les deux recensements. Je pense qu’il s’agit sans doute d’un changement de dénomination plutôt que de situation.

En novembre 1911, donc, la carte postale nous indique que Marie-Thérèse est à Niort. Les lieux du 29 rue de Bessac sont, aujourd’hui, dans l’enceinte d’un collège. J’ai, pour ma part, été collégienne, puis lycéenne dans cette même rue. J’imagine alors que Marie-Thérèse était scolarisée à Niort, ce qui serait également conforme à la tradition familiale. Je sais aussi que, depuis 1868, il existe une ligne de chemin de fer qui relie Niort à Angers et qui passe par Saint-Laurs, en raison de la présence de mines de charbon dans cette commune. Il est donc probable que le train était utilisé par ma grand-tante, comme moyen de transport, quand elle rentrait chez ses parents pendant les vacances scolaires. Par contre, je n’ai pas trouvé trace de ce que faisait Alphonsine, à cette même période à Villiers-en-Plaine. Je ne sais pas non plus quelle a été la durée de la scolarité de Marie-Thérèse à Niort.

Pendant la guerre 1914-1918, Marie-Thérèse est de retour à Saint-Laurs, en témoignent les nombreuses cartes postales qui lui ont été adressées sur cette période, par ses filleuls de guerre. Elle était très courtisée car certains messages sont explicites.

Au sortir de la guerre, elle se marie le 19 avril 1920 avec Ferdinand Louis Célestin PRUNIER. Ce dernier est né le 20 juillet 1890 à Ardin (comme Marie-Thérèse). Un contrat de mariage a été fait le 5 avril 1920 devant Charles Jean Baptiste Gustave CLORY notaire à Foussais (Vendée). Le régime matrimonial retenu est celui des acquêts.  Les deux sœurs sont toujours très proches et Alphonsine est témoin le jour du mariage, ce qui n’était pas très fréquent à l’époque, pour une femme. Le jeune couple s’installe à Ardin, Marie-Thérèse est donc dans une commune qu’elle connaît déjà.

Rapidement, Marie-Thérèse est enceinte. Ce qui devait être un heureux événement se révèle une catastrophe, puisque le 6 novembre 1920, Marie-Thérèse décède en couche, au domicile de ses parents à Saint-Laurs. La déclaration de décès est faite par le garde champêtre et l’instituteur. J’imagine facilement la détresse de tous ses proches, à commencer par ses parents, sa sœur, son mari, qui ne permettait pas qu’ils fassent eux-mêmes la déclaration. Le bébé, après 6 à 7 mois de grossesse n’était, vraisemblablement, pas viable.

Alphonsine gardera toute sa vie la tristesse du décès de sa sœur chérie

Quant à moi, écrire sur Marie-Thérèse m’a permis de lui donner sa place, toute sa place, mais seulement sa place.

Au revoir Marie-Thérèse…

5 commentaires sur « F comme Fleurs pour Marie-Thérèse »

  1. Il doit bien y avoir quelque part, un objet, un secret à découvrir, qui pourrait nous en apprendre plus sur votre vie … Qui étaient tous vos filleuls de guerre ? Ferdinand en était-il un ? Si oui, pourquoi l’avoir choisi plutôt qu’un autre ? Claire a bien senti votre main peser sur son épaule !
    Ce n’est qu’un aurevoir Marie-Thérèse ! Et c’est Claire qui l’écrit !

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  2. Un tel drame laisse des traces, la preuve le fleurissement de la tombe un siècle après, l’idée du challenge. Heureusement sans doute car les personnes décédées jeunes sans enfants habituellement laissent peu de traces.
    J’envie votre héritage de cartes postales.
    Ma grand-mère a passé quelques mois chez ses grands-parents vers l’âge de 6 ans, parce que ses parents habitaient en plein marais et que ses grands-parents habitaient près d’une école. Là ça ne doit pas être la raison car Alphonsine n’a que 4 ans en 1901.

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  3. Juste sa place dites-vous ! Comme c’est important et comme la généalogie nous entraine sur des chemins détournés quelquefois, une date qui nous intrigue, ou un lieu et voilà que notre imagination ne s’arrête que si nous avons un peu de blé à moudre au moulin ! Merci beaucoup !

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