H comme Hommage d’une petite fille à son institutrice

Un texte de Mauricette LESAINT

Premiers voyages pour ces jolies frimousses ! Ce jour-là, j’ai découvert la mer et son immensité, moi qui ne connaissais que notre Gâtine et ses palisses[1] qui entourent champs et prés. C’était un dimanche de juin, juste avant 1950. La plus petite, c’est moi, et la plus grande, c’est Elle, mon institutrice, Mademoiselle Morin, entourée d’enfants petits et grands, protégés par son grand chien.  Tous les garçons furent ses élèves ainsi que les trois petites filles.

Quelle belle occasion pour rendre hommage à celle qui exerça longtemps dans mon petit village de Ripère, celle qui voulait tant que ses élèves réussissent … Être institutrice de classe unique, c’était une tâche immense ! À Ripère, ces années-là, c’était avoir en face de soi, quarante enfants ou plus, filles et garçons, de cinq à quatorze ans, du petit encore tout neuf au déjà ado. C’était commencer les premiers apprentissages, lecture, calcul et poursuivre jusqu’aux connaissances indispensables pour la vie d’adulte. C’était amener ses élèves jusqu’à l’emblématique CEP, le certificat d’études primaires, le « certif », ce diplôme exigé dans les administrations et services publics. Les instituteurs étaient jugés sur le taux de réussite au CEP, non seulement par leur hiérarchie, mais aussi par la population. Quel challenge pour l’instit et ses élèves !

Je la voyais grande, imposante, exigeante, souvent sévère. Elle était le centre de notre classe. Près du tableau noir des petits, où pour chaque nouvelle lettre, elle reproduisait avec talent, textes et dessins de la page à lire, je la revois guidant la lecture du CP avec sa baguette glissant sur le mot, la phrase à découvrir. Je la revois devant les grands, faisant expliquer le texte d’un problème, et rechercher les chemins qui mènent à sa résolution. Je la revois aussi s’obstinant sur la grammaire, conjugaison et toute difficulté orthographique, pour que chaque élève passe en dessous de la barre fatidique des cinq fautes à la dictée le jour du certif. Je la revois le samedi après-midi, initiant chacun, soit aux travaux du jardin pour les garçons, soit à la couture pour les filles. L’école était mixte, mais les programmes ne prévoyaient pas le même avenir pour filles et garçons. Je la revois encore avec les grands garçons avant la classe du matin, épluchant les légumes qui allaient cuire dans le pot sur le gros poêle à bois, au milieu de notre classe. Cette soupe et ces légumes servis à midi, aux enfants des hameaux trop éloignés de l’école, complétaient le casse-croûte préparé à la maison ; le repas était pris sur une grande table au fond de la classe. Je la revois devant la caisse du bibliobus, notant les prêts de livres aux enfants et aux adultes. Je la revois, les 8 mai et 11 novembre, devant notre monument aux morts, et j’entends sa voix claire nommant chacun d’entre eux, et le « mort pour la France » des élèves qui faisait écho. Je la revois encore, lors de nos voyages, toujours un dimanche de juin, voyages qu’elle organisait avec Nelly son amie, gratuits pour les enfants de l’école, nous ouvrant de nouveaux horizons. Je me souviens de La Baule et Saint-Nazaire, La Rochelle et Royan, l’île de Noirmoutier et le passage du Gois, Saint-Jean-de-Monts, ou Azay-le-Rideau…

Nelly habitait Ripère. Elles étaient déjà amies pendant la guerre 1939-1945. C’est Nelly qui m’a raconté le vélo caché sous le lit, les petits drapeaux confectionnés pour la libération. Que je regrette de ne pas avoir été plus curieuse ! Mademoiselle Morin était très discrète. Elle habitait la maison de l’école comme tous les instituteurs. Je la revois quand elle fermait sa porte et venait à la boutique[2]. Intimidée, je me cachais avant qu’elle n’entre. Je la revois après la classe, sortant avec son chien pour une grande promenade. Et je revois aussi la voiture qui s’arrêtait parfois chez elle le soir…

La maison de l’instituteur avec la classe à l’arrière est la première maison du village quand on arrive de Parthenay.

Mais je savais peu de choses de sa vie.  Alors, j’ai cherché !

Le premier document où je l’ai retrouvée est un article du journal « l’Ouest Éclair » du 10 juillet 1928 où son nom s’affiche dans la liste des onze reçues au brevet d’enseignement supérieur, section ménagère, à Fontenay-le-Comte.

Le second document, aux Archives départementales des Deux-Sèvres, est le recensement de Louin de 1936.
 Solange Morin habitait à Ripère, était « institutrice publique », née en 1911 à Doix. C’est à Ripère, petit village d’une centaine d’habitants, de la commune de Louin, qu’elle fut nommée pour son premier poste et y enseigna jusqu’en 1954.

Puis j’ai recherché dans les Archives départementales de Vendée, pour reconstruire sa vie. Le recensement de Doix en 1928, m’a donné toute SA famille.

  • Aimé MORIN, né en 1881 à St-Pierre-le-Vieux, charron, patron
  • Louise MORIN, née en 1889 à Doix, épouse
  • Solange MORIN, née en 1911 à Doix, fille
  • Louis MORIN, né en 1913 à Doix, fils

À Doix, outre le recensement, j’ai retrouvé son acte de naissance. Toute sa vie est résumée dans cet acte de naissance et ses annotations…

  • née le 23 août 1911 d’Aimé MORIN et Louise FILLONNEAU à Doux de Doix,
  • mariée à Escoublac-La Baule en Loire Infre le 13 août 1956, avec Pierre Henri ALBRESPY,
  • décédée à la Baule, Loire-Atlantique, le 22 juin 1982

J’ai aussi retrouvé ses parents, son frère, je l’ai découverte témoin au mariage de ce frère. Son père puis son frère ont travaillé le bois, ils étaient charrons. Sa mère, veuve, est décédée à La Baule-les Pins à 98 ans, peut-être auprès d’elle.

Car c’est à La Baule-les-Pins que, des années plus tard, devenue institutrice à mon tour, j’ai rendu visite à mon instit pour lui dire merci. C’est là que je l’ai retrouvée, ainsi que le monsieur à la voiture qui s’était arrêtée pendant de nombreuses années devant l’école. Ils s’étaient mariés en 1956 à La Baule-les Pins. Lui, natif du Lot, fut médecin à Saint-Varent, à quinze kilomètres de Ripère. Elle m’a alors semblé toute petite, toute fragile, mais avec plein d’étincelles dans les yeux quand elle parlait de de ses anciens élèves.

Elle fut institutrice de la classe unique de Ripère, et MON institutrice pendant sept ans.  Et surtout, elle est celle qui a su convaincre mes parents de me laisser poursuivre mes études au cours complémentaire, pour devenir institutrice. Je l’entends essayant encore et encore, et elle a réussi ! J’y suis allée au cours complémentaire, dans ces classes pour cycles courts qui ont permis à des milliers d’enfants « d’aller à la grande école » comme disait ma grand-mère. 

Et j’emprunte cette citation à Edouard Bled dans « Mes écoles », « Le passé nous fait nous souvenir des gens d’autrefois à qui nous devons ce que nous sommes, à qui nous devons tant d’estime, gens simples, peut-être, mais d’une si grande richesse humaine, bien souvent. »

Remarque :

Le petit village de Ripère et son école furent déjà évoqués dans un précédent challenge, celui de 2019, https://genea79.wordpress.com/2019/11/14/louin-et-son-village-ripere/


[1] les palisses : « Avec ses faux airs de palissade, la palisse est une haie vive, qui se taille ».

[2] la petite épicerie d’antan, vraie caverne d’Ali Baba, tenue par mes parents.

6 commentaires sur « H comme Hommage d’une petite fille à son institutrice »

  1. Bel hommage à « mon » institutrice. J’ai surtout le plaisir de retrouver, sa camarade « Solange Divet » qui comme moi, a habité Saint-Florent-des-Bois. Merci pour ces deux femmes Mauricette

    Aimé par 1 personne

    1. L’article d’un quotidien, paru il y a 95 ans, est l’improbable fil qui nous relie. Nos deux Solange, en passant avec succès leur brevet d’enseignement supérieur auraient-elles pu l’imaginer ?

      Aimé par 1 personne

  2. Quel bel hommage et tant de souvenirs qui reviennent comme une ode à toutes ces institutrices et instituteurs d’une autre époque ! Je remarque que les bâtiments recevant les élèves et leurs maîtres étaient identiques dans probablement toutes les communes. A la Couarde, commune où je suis allée
    en primaire, on retrouve les mêmes !

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire